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vindicatif . . . au demeurant le meilleur homme au monde, aurait ajouté le cynique
François Villon.
Un jour de septembre 1867, Jean-Baptiste Ouellet, originaire de la Rivière-Ouelle,
se trouva à l'Anse St-Jean et désirant descendre à Moisie demanda un passage à Poitras
qui conduisait justement la berge de Théodore Lamontagne dans ces parages. Ce Ouellet
était un homme de 24 ans, de 5 pieds et demi de stature, à la barbe rousse et aux cheveux
d'un blond plus pâle que la barbe. Fluet et d'une capacité moyenne, il était d'un caractère
doux, aimant la solitude et ne parlant que très peu.
Joseph Malloney, neveu de Poitras et témoin au procès, déclara que Ouellet revenant
de la pêche à la Rivière-aux-Renards, vint passer une huitaine de jours chez son père
Pitre Malloney. "Il nous quitta, ajouta-t-il, pour aller rejoindre Eugène Poitras. A ce
moment, il portait une paire de pantalons en drap de pilote tirant sur le noir, une chemise
de flanelle carreautée rouge-viné et noir, une blouse noire en étoffe du pays, une paire
de bottes françaises et un chapeau de toile jaune ciré à larges bords. Il avait en plus,
un fusil, une poire à poudre, un sac en cuir noir contenant des plombs de (lhasse et dans
son porte-monnaie une vingtaine de louis en argent qu'il disait être le produit du transport
d'un certain nombre de passagers qu'il avait descendus de la Rivière-Ouelle à raison de
dix chelins par tête. Avec quelques acomptes reçus de ses créanciers et la vente de sa
dernière pêche, il se trouvait possesseur d'une somme assez rondelette pour un homme
de sa condition.
Les deux v;oyageurs quittèTeont l'Anse st-Jean, après avoir salué au riv,age, François
Poitras et son épouse, Adéla~de Lafontaine e,t un pécheur du nom de Fr.ançois Gagné.
La mer était houleuse et leur berge voguait dans les parages des Ilets de Mai. Poitras,
qui n'était pas sans savoir que son hôte transportait une petite fortune, prétexta l'approche
de la tempête et fit atterrir sur la grève de l'île. Prompt comme l'éclair, il se rua sUT son
compagnon. Il l'assomma puis l'acheva en lui enfonçant son couteau de chasse en plein
coeur. Son forfait accompli, il creusa à la hâte, une fosse peu profonde, y jeta la victime
et la recouvrit d'une mince couche de sable. Cette même nuit, il quitta le lieu du crime
et se rendit aux Caillets (Kayes) Rouges", chez Antoine Riverin qui explOitait une pêche
à la morue.
Là, il rencontra Joseph et Pierre Dugas, ses cousins-germains ainsi que quelques
membres de la famille d'Alexis Parent. Joseph Dugas lui raconta qu'il avait suivi sa berge
de près et qu'arrivé non loin de l'endroit qu'il crût être les Ilets Caribou, il avait entendu
crier. "La brume, dit-il, était si dense, qu'on ne voyait pas à 25 pieds. J'ai cru que c'était
deux hommes qui se battaient. Plusieurs fois, j'ai lancé le cri : Allo! et l'écho seul
renvoya le son de ma voix." Poitras!lui avoua "qu'en effet, il était venu traverser un
homme à Moisie, mais que la mer avait été si mauvaise qu'il avait été obligé de le laisser
aux environs des Ilets de Mai" Dugas déclara au procès que pendant que Poitras lui parlait,
il avait les yeux tout égarés et son aspect était terrifiant.
Des semaines se passèrent et l'on se mit à s'inquiéter de la disparition de Jean-
Baptiste Ouellet. Une enquête s'ouvrit, Poitras fut arrêté mais faute de preuves, il fut
relâché. Depuis Cain, les meurtriers ne jouissent pas impunément de leur crime. Un
incident tout fortuit permit à la justice humaine de se satisfaire et de trouver le coupable.
Vers la fin de juin 1868, Luc et Agapit Gagnon revenaient en berge de Manicouagan.
La pêche aux loups-marins avait été infructueuse. Un Soir, ils décidèrent de faire halte
aux Ilets de Mai, car une forte tempête s'annonçait pour la nuit. Pendant que Luc
préparait un bon feu, son frère s'éloigna pour aller chercher du bois sec. Il fut surpris
d'apercevoir à l'orée du bois un endroit où la terre avait été remuée depuis peu et où
l'on apercevait point d'herbe ou de pois sauvages comme à l'entour. Il crut d'abord qu'il
s'agissait d'un trou de marmotte. Il appela Luc, qui vint en toute hâte. En posant les
pieds SUT ce sol meuble, ils entendirent lcomme un gérn.issemlent et aussitôt s'eXhalèrent
des gaz qui firent soupçonner la présence d'un cadavre. Ayant écarté le sable, Luc retira
un bras humain, puis il vit la forme d'un être humain couché partie sur le dos, partie
sur le côté droit, la tête tournée vers le sud-ouest, les pieds vers l'est et le dos au nord.
Comme il faisait déjà noir, l'enquête fut remise au lendemain.
Aux premières lueurs du jour, nos deux marins coururent au lieu du sinistre. Ils
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