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Le lendemain matin, vendredi, M. l'abbé Doucet, curé de La Malbaie, accompagné
du shérif se rendit auprès du prisonnier pour lui annoncer la fatale nouvelle et lui donner
les secours de la rleUgion. En IlIPPrenant son sort, le condamnè parut ai!aissé pendant
quelques minutes, puis il dit aux personnes présentes : "Qu'il est terrible de mourir par
la main des hommes et de savoir que dans quelques heures, je serai enterré vivant! Les
hommes peuvallt me sauver et ils ne le font pas! J'ai rendu souvent des services et j'ai
sauvé d'une mort certaine des personnes qui auraient péri, si je ne leur avais servi de
pilote! .. , Ces personnes n'ont pas eu d'égards pour moi et ne sont pas venu me sauver
lorsque la mort me menaçait !
Jusqu'à ce moment, Poitras conserva l'espoir d'une évasion. Il sollicita des personnes
qui l'approchaient les moyens de lui procurer la liberté en léur promettant que jamais
personne ne le reverrait dans le pays ni ailleurs. Voyant l'inutilité de ses tentatives, il
ne pensa plus qu'à se préparer à la mort. Depuis le samedi, jusqu'au moment de son
exécution, 'les B.iffaires de son salut l'occupèrent eJOClusivement et il eut de longues et
fréquentes entrevues avec son confesseur.
Le dimanche, M. le Curé recommanda, à peu près en ces teI'lffies, aux prières des fidèles,
Eugène Poitras qui devait mourir sur l'échafaud le lendemain à 10 heures. Pour la
première fois en cette paroisse, dit-il, nous avons la pénible tâche d'annoncer à l'avance
la mort d'une personne. C'est que le malheureux doit mourir pour le crime qu'il a commis.
Notre devoir, mes frères, en cette circonstance, c'est de faire preuve de charité chrétienne.
Vous devez prier pour le salut de son âme. L'Eglise vous donne un bel exemple, en
entourant le condamné à mort des soins les plus affectueux et en lui fournissant les
moyens de sauver son âme.
Depuis sa sentence, nous nous sommes fréquemment rendu auprès du prisonnier pour
l'exhorter à terminer ses jours d'une manière digne d'un chrétien. Nous avons la satisfaction
de vous annoncer aujourd'hui que Poitras est décidé à donner de bon coeur sa vie pour
expier ses fautes. Demandez donc à Dieu que le condamné ait le courage et les forces
nécessrures pour maroher courageusement à son supplice. Cette nuit, Ia dernière qu'il
doit passer ici-bas, nous irons l'a&Sister et lui off'rir les s.ecaurs de notre ministère. Les
angoisses de celui qui voit une mort inévitable le menacer sont difficiles à supporter. A
sept heures, demain matin, nous dirons une messe basse dans la salle de la prison. Le
condamné assistera à cette messe.
Nous recommandons aux personnes qui assisteront à l'exécution d'observer le bon
ordre et de ne pas franchir les limites qui leur seront assignées. Vous devez vous y rendre,
non comme à un spectacle, mais bien pour y puiser de salutaires enseignements pour vous
et pour vos enfants. Vous devez vous former une idée de l'énormité du péChé et la position
terrible qui attend le pécheur au jugement dernier. Vous pouvez donner à vos enfants
des leçons précieuses, leur faire observer que l'on ne devient pas grand criminel, en un
jour et que la voie qui conduit à l'échafaud a pour première étape les moindres fautes
non corrigées et l'oubili des préceptes religierux."
A sept heures, le soir, des centaines de personnes se rendirent à l'église pour prier
une dernière fois aux intentions de POÎJUras. A neuf heures, Monsieur le OUré Doucet, et
les abbés Godin, curé de St-Fidèle, J. Bureau, curé de Ste-Agnès, J.-R. Desjardins, du
collège de Ste-Anne-de-Ia-Pocatière, ainsi que Monsieur C. Bérubé, vicaire de la paroisse
se rendirent auprès du prisonnier pour prier avec lui. Le condamné, débarra&Sé de ses
fers, fut conduit à la salle des prisonniers. Il eut quelque difficulté pour se rendre à cet
appartement et il fallut le soutenir. Un autel avait été dressé. Poitras écrivit une longue
lettre à sa femme, puis au cours de la soirée, il ne cessa de manifester des sentiments
de piété. Souvent il exprima le désir de voir arriver l'heure fatale.
Vers 51,1, heures, se trouvant seul avec Monsieur le Curé, les douleurs morales se
manifestèrent par des sanglots, des soubresauts nerveux et un 'tremblement de tous les
membres. Les paroles de consolation que le prêtre lui prodigua réussirent à le calmer.
A l'heure de la messe, Poitras s'agenouilla au pied de l'autel. Il portait un complet noir.
Sa contenance calme e.t réSignée contrastait 'beaucoop asvec l'agitation qu'il avait mani.iestée
pendant son procès. Au lieu des spasmes qui contractaient en tous sens sa figure et qui
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