Page 96 - monseigneur
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y avait des bleus sur les jambes et les habits étaient en triste
                              état! Qu'importe, c'était excitant au possible. Le hockey res-
                              semble un peu à ça.
                                  J'éparpille mes souvenirs de jeunesse et j'ai oublié de par-
                              ler de nos randonnées en raquettes à travers les champs. La
                              neige étant à la hauteur des clôtures, nous nous rendions jus-
                              qu'au Bois de Maska. Dans ces mêmes champs, l'été, quand
                              nous chantions à pleine tête Le Credo du paysan, entourés
                              de toutes les maisons que nous voyions de loin, le bois, les ani-
                              maux et le firmament, nous frissonnions de bonheur! De
                              même, quand nous chantions Jadis la France. Nous savions
                              que c'était le pays de nos ancêtres, et que c'était bien loin et un
                              bien beau pays ! Quand nous finissions la chanson par: «En-
                              semble, crions à genoux: Vive la France! », notre pensée
                              était bien loin du Canada. Il me semble que nous nous
                              ennuyions de ce pays et que nous en rêvions. Des enfants, ça
                              peut bâtir un monde, rien qu'en rêve!
                                  Il me revient d'autres faits de mon enfance, que je vais ra-
                              conter puisqu'ils font partie de mes souvenirs. La communion
                              se faisait au mois de mai, et dans cet hiver-là (1900), un
                              grand événement était survenu dans notre famille. Un des
                              frères de mon père, l'oncle Émile, était parti du Petit Che-
                              nail depuis l'âge de dix-sept ans, pour aller gagner sa vie. Il
                              s'était rendu au Yukon, à Dawson City, au pays de l'or! Il
                              avait écrit une fois ou deux; mes grands-parents ne pensaient
                              pas Je revoir, eux. Pour nous, il était un inconnu. Un soir, il
                              faisait une tempête, je pense, c'était en janvier. Nous étions à
                              veiller, quand une voiture s'est arrêtée à la porte en arrière.
                              Des personnes sont entrées dans l'allonge en se secouant. Ces
                              gens parlaient, mais nous ne comprenions rien. Le charretier,
                              étant entré le premier (nous le connaissions), nous a expliqué
                              qu'il nous emmenait un voyageur, qui se disait un Morvan,
                              mais qu'il ne parlait qu'anglais. Il ne disait que quelques mots
                              seulement dans un français presque impossible à com-


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