Page 65 - monseigneur
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La maison de ma mère longeait la rivière Yamaska. La
                                maison d'école était dans le voisinage et la maîtresse se retirait
                                chez ses parents. C'est ainsi que ma mère lisait bien et
                                n'écrivait pas ma! aussi. Mon père, qui avait laissé l'école
                                après sa première communion pour aider son père sur la
                                 terre, avait désappris à lire. Ma mère le lui a réappris, car il
                                 aimait lire. Dans ce temps-là, je pense que c'était le journal
                                 Le Monde, qui paraissait une fois par semaine. Avec l'ouvrage
                                 dans le jour, ça prenait toute la semaine pour passer à
                                 travers!
                                    Nous étions dix enfants, six garçons et quatre filles.
                                 L'aîné, Séraphin, était gêné comme je l'ai été, moi aussi. Le
                                 deuxième enfant, une fille, Marie-Anne, est morte jeune de la
                                 picote, maladie contagieuse apportée au Petit Chenail par la
                                 fille d'une de nos voisines, venue en promenade! Mon frère
                                 aîné, qui n'avait pas deux ans, s'en est sauvé par une prome-
                                 nade qu'on lui faisait faire à l'étable, tous les matins! On
                                 croyait, à ce moment, que la senteur des animaux était un
                                 préservatif. En tous les cas, ç'a été bon pour lui.
                                    Entre-temps, ma mère avait recueilli une vieille fille,
                                 Geneviève Chapde!aine. On disait «vieille fille» dans ce
                                 temps-là, dès l'âge de 25 ans. Elle demeurait avec ses deux
                                 frères et n'était pas heureuse. Ma mère lui a proposé de rester
                                 chez nous pour l'aider, ce qu'elle a accepté avec joie. Elle a
                                 resté chez nous pendant 16 ans, c'est-à-dire jusqu'à sa mort.
                                 Elle était bien indispensable à ma mère et adorait mon frère.
                                 Elle l'appelait «ma belle piasse ». Le troisième enfant, une
                                 fille aussi, qu'on a appelée Stéphanie en l'honneur d'une jolie
                                 tante qui portait ce nom. Le quatrième, un garçon, Cyrille.
                                 Puis, deux ans après, ç'a été moi, Florentine; la soeur de ma
                                jolie tante s'appelait de ce nom, alors... Après moi, trois gar-
                                 çons. De deux ans en deux ans, la famille prospérait! Hervé,
                                 Euclide, Edgar. A suivi une autre fille, Anita, une belle fille
                                 blonde, décédée à douze ans de l'appendicite: le médecin ne


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