Page 92 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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les faulx et les couteaux de la faucheuse mécanique ; un feu de bois
d'érable ardent et crépitant au-dessus duquel on avait disposé un
immense chaudron de fonte noire plein d'eau. Les portes de la
grange étaient ouvertes et au-dessus de l'aire de la batterie on avait
installé une forte poutre pour accrocher les carcasses roses. Louis-
Philippe Landry avait retenu les services du meilleur saigneur de
porcs du canton : Jos Boudreau qui, malgré ses soixante-huit ans
bien comptés, avait encore la main ferme et pouvait, du premier
coup, trancher net la veine jugulaire.
De temps en temps. par le petit hublot laissé par le givre dans
le coin d'une vitre, Marie letait un regard sur la scène du carnage.
Elle était incapable de participer i cette boucherie. Ce qui l'impres-
sionnait surtout, c'était l'agitation du cochon quand on le tirait de
l'étroit enclos, et ses gémissements quasi humains qui n'ont rien de
commun avec ses grognements habituels. Elle se dernanaait s'il
n'avait pas assez de conscience pour appréhender la mort. En ob-
servant le geste des hornmes, elle était étonnée du sang-froid avec
lequel ils prennent la vie des animaux. Cette pensée la renvoyait
à des images troublantes où d'autres hommes, avec autant d'insou-
ciance. sacrifient leurs semblables. Elle se sentit glacée d'horreur
devant ce monstrueux dédoublement.
Au-dehors, l'air ambiant est saturé de vapeur, de celle de l'eau
qui bout, de celle qui s'échappe des pourceaux. de celle qui s'exhale
des hommes. L'atmosphère est imprégnée d'une odeur forte, indé-
finissable, faite de la senteur de l'urine, de celle du poil des bêtes
inondées d'eau bouillante, des chairs tranchées encore vives, du
souffle des hommes réchauffés au petit blanc. Dans ce lieu étrange,
deux femmes nettoient consciencieusement la gorge de chaque porc
immobilisé par l'assommoir ; elles tiennent ensuite la terrine pour
recueillir le jet de sang quand le bourreau retire la lame.
Deux jours plus tard, Léon Lévesque et son voisin, Pierre
Babin, arrivaient chez Louis-Philippe Landry à l'improviste, peu
après le souper. Ils étaient essoufflés: surexcités. et parlaient tous