Page 41 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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La cuisine des Soucy est aussi grande, à elle seule, que tout un
logement de ville. Ils ont conservé la coutume du pays : c'est dans
cette pièce que se déroulent les principaux événements de la vie
familiale. On n'ouvrait le salon que dans les grandes occasions :
visite du curé, du député. de l'oncle Arthur de Montréal.
Eugènc Soucy tira sa berceuse près de la grande table en bois
de pin aux angl'es arrondis et à la surface vernissée par trente ans
&sage ininterrompu. Il posa sa pipe dans la soucoupe blanche
servant de cendrier puis, avec autant d'aisance que s'il s'agissait
d'effardocher ou de labourer, il se mit en frais de diriger la discus-
sion. Comme préambule, il dit :
- Asteur qu'on est entre hommes, mettez-vous à votre aise,
surtout qu'i fait chaud icitte-dans : la vieille a bondé le poêle.
Ils ne se firent pas prier deux fois pour tomber la vestc. Quel-
ques-uns approchèrent de la table un long banc de bois peint en
gris ; deux ou trois s'assirent à cheval sur des chaises, lcs bras
croisés sur le dossier, pipe ou cigarette aux lèvres. Après quelques
instants de remue-ménage, les bottes cessèrent de racler le plancher
et tous les yeux se fixèrent sur lc meneur d'assemblée. Au mêmc
instant, une rumeur venant du salon rappelait aux hommes qu'ils
n'étaient pas seuls dans I'aventure.
Eugène Soucy parla de nouveau :
-Je sais que vous avez ben des choses à dire. Faudra se limi-
ter si on veut finir vers quatre heures et dcmie à cause des femmes
qui ont le souper à préparer.
Après s'être concentré un moment, il continua :
-Y a des choses qui pressent plus que d'autres. La première, à
mon point de vue, c'est de savoir si on va passer l'hiver icitte. Selon
que ça sera oui ou non, on décidera ce qu'y a à faire.
Aux signes de tête de ceux qui mâchuraient le tuyau de Ieur
pipe et aux grognements approbateurs des autres, il en conclut qu'ils
étaient tous d'accord.