Page 40 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Tous avaient  saisi  l'allusion.  Alfred  Daigle  n'a  rien  connu  des
                               tourments  et  des  privations  des  commencements.  Il  ne  s'est  pas
                               éreinté  à  bûcher,  à  essoucher,  à entasser,  ni  à  épierrer.  Par  l'entre-
                               mise  du  secrétaire  du  conseil  de comté,  qui  est  aussi  le  cousin  de
                               sa femme, il  a  obtenu terre et bâtiments pour cent  cinquante dollars.
                               C'était  le montant des arrérages de taxes  scolaires et municipales  dû
                               par L'ancien propriétaire qui avait émigré en ville.  Ce qui offusque les
                               anciens, c'est  que le Gouvernement  lui offre  quatre  mille  cinq  cents
                               dollars pour  une  propriété  acquise  avec si peu  d'efforts.
                                   Eugène  Soucy  est  un  petit  homme  sec  et  brun,  comme  un
                               hareng boucané.  Il  n'est  pas nerveux  - pas  extérieurement  - et
                               très  discret  sur  ses  sentiments.  À  soixante  ans,  il  est  resté  agile,
                               et  droit  comme  une  épinette  noire.  II  conserve  une  toison  grison-
                               nante et, sous des sourcils en broussailles,  pétillent  des yeux  couleur
                               d'acier.  Il  observe  et  écoute  beaucoup.  Quand  il  parle,  c'est  tou-
                               jours  d'une  voix  pleine  d'assurance.
                                    Sa  femme, Hortense,  jouit  d'un  tempérament  tout  à  fait  diffé-
                               rent.  Grassouillette  et  gaie  comme  la  source  qui  chante  sur  les
                               galets,  elle  est  toujours  disposée  à  rendre  service,  si  bien  que  les
                               voisines  en  abusent  parfois.  N'allez  pas  lui  demander  si  elle  est
                               heureuse.  Elle  vous  répondra  en  égrenant  son rire  métallique.  Elle
                               n'a  jamais  eu  le temps de se poser  la  question.  Elle  vit.

                                   Dans  un  laisser-aller  qui  caractérise  les  travailleurs  de la  terre
                               et de la forêt, les hommes  s'étaient  installés  confortablement  dans la
                               cuisine.  À  la  vue  de cet  envahissement, Hortense  avait  entraîné les
                               femmes  au  salon.  Pendant  un  bon  moment,  elles  oublièrent  les
                               tiraillements  de  l'inquiétude  pour  parler  recettes  et  tricots.  Quel-
                               ques-unes  succombèrent  à  la  tentation  facile  de  se  plaindre  de  la
                               désinvolture  des  jeunes  et  de  leur  mépris  des  conventions  sociales.
                               Si  l'on  avait  tendu  l'oreille,  on  aurait  pu  saisir  les  propos  amers
                               d'Émélia.  la  sccur  d'Alexis,  qui,  à  trente-cinq  ans,  n'a  pas  encore
                               trouvé  mari  :

                                   - Avez-vous  vu  comme  la  Julie  à  Louis  Berthelot  aime  à  se
                               montrer  les  cuisses ?  Les  hommes,  et  pas  les  plus  jeunes,  en vien-
                               nent  les  yeux  tout  ronds.  Dans  notre  temps  ...
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