Page 34 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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En tournant pour prendre le chemin qui mène au 7, il aperçut,
derrière la maison, deux voitures américaines de récents modèles.
Un instant il s'amusa à deviner le nom des propriétaires. La Buick
flamboyante, pense-t-il, ça ne peut être qu'à Émile ; on chuchote
dans le canton qu'il prend plus de soin de son auto que de sa femme.
Et la Ford, elle pourrait bien appartenir à Edgar, un autre des fils
de Jean-Baptiste Savoie. La réponse fut immédiate : les deux frères
discutaient et gesticulaient près d'une longue pile de billes de rési-
neux. Du même coup, Louis-Philippe comprit la raison dc la visite
dans ces parages du commerçant qu'il avait rencontré.
Ces deux anciens cultivateurs de Terre-Haute - ils habitaient
au 7 - sont maintenant propriétaires de lourds camions utilisés à
transporter du bois à la scierie des Quatre-Chemins et à des travaux
de voirie. Tout le pays connaît leur habileté à tirer les ficelles du
patronage politique.
Tout en conduisant en automate: Louis-Philippe songeait aux
jeunes gens qui, à l'instar des fils de Jean-Baptiste Savoie, décident
de rester dans ce pays insensé. Les emplois sûrs se faisant de plus
en plus rares, ils ont recours à des expédients de toutes sortes et la
plupart s'installent dans un système de survie qui fonctionne au jour
le jour. 11 s'inquiétait de la valeur d'un peuple qui accepte, sans
s'insurger, une telle fatalité, quand il s'aperçut qu'il était rendu au 7.
Il continua tout droit : le chemin aboutit à un sentier forestier.
Arrivé à la lisière du bois, il s'arrêta quelques instants pour observer
les changements survenus dans ce territoire depuis le printemps.
C'est la partie de la paroisse la plus planche et celle où l'on
trouve le moins de roches. Le sol arable y est assez profond et
facile à cultiver. Louis-Philippe se rappelle y avoir admiré des
prairies où le mil atteignait le sommet des clôtures. En ce temps-là,
on y comptait une vingtaine de terres bien organisées.
Maisons, granges, poulaillers, porcheries, clôtures, tout a été
démoli. Les buldozers du Gouvernement ont rasé les fondations,
rempli les caves. Il ne reste plus aucun vestige de présence humaine.
Pour aider à s'y retrouver, il y a le chemin, ct le ravin où s'agite
un ruisseau turbulent.