Page 87 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Il pouvait être dix heures du soir; nous étions assis, mon
frère et moi, au milieu de nos ennemis, dans une petite clai-
rière entourée de bois touffus, lorsque nous entendîmes la
voix de mon père qui nous criait: c Couchez-vous à plat
ventre.» Je saisis aussitôt par le cou mon petit frère qui
pleurait et que je tâchais de consoler, et je l'aplatis avec moi
sur la terre. Les Iroquois étaient à peine sur leurs pieds
que quatre coups de fusil bien visés en abattirent quatre qui
se roulèrent à terre comme des anguilles. Les autres canoua-
ches (nom de mépris) ne voulant pas, je suppose, tirer au
hasard, sur des ennemis invisibles auxquels ils serviraient
de cible, firent un mouvement pour chercher l'abri des arbres;
mais nos libérateurs ne leur en donnèrent pas le temps, car,
tombant sur eux à coups de casse-tête, ils en abattirent trois
d'un vire-main, et les autres se sauvèrent sans qu'ils songeas-
sent à les poursuivre. Le plus pressé était de nous ramener
à notre mère, qui pensa mourir de joie en nous embrassant.
De Locheill racontait aussi au pauvre malade les com-
bats des montagnards écossais, leurs mœurs, leurs coutumes,
leurs usages, les exploits quasi fabuleux de son héros Wal-
lace; tandis que Jules l'amusait par le récit de ses espiègle-
ries; ou lui rapportait quelques traits d'histoire qui pouvaient
l'intéresser.
Lorsque les jeunes gens firent leurs adieux à Dumais, il dit
à Arché, les larmes aux yeux:
- Il est probable, monsieur, que je ne vous reverrai ja-
mais; mais soyez certain que je vous porte dans mon cœur, et
que moi, ma femme et mes enfants nous prierons le bon
Dieu pour vous tous les jours de notre vie. Il m'est doulou-
reux de penser, qu'en supposant même votre retour dans la
Nouvelle-France, un pauvre homme comme moi n'aurait
aucune occasion de vous prouver sa gratitude.
- Qui sait? dit de Locheill; peut-être ferez-vous plus pour
moi que je n'ai fait pour vous.
Le montagnard écossais possédait-il la seconde vue dont se
vantent ses compatriotes? C'est ce que la suite de ce récit
fera voir.
Les voyageurs laissèrent leurs amis de Saint-Thomas le
trente d'avril, vers dix heures du matin, par un temps magni-
fique, mais des che.mins, af~reux. Ils avaie~t six lieues à
parcourir avant d'arnver a Samt-Jean-Port-Job, terme de leur
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