Page 316 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Un voyageur arrive au village de Saint-Thomas, dans une
calèche, avec sa famille. Métivier, le seul et unique batelier,
demeure de l'autre côté de la rivière, et il n'est pas toujours
d'humeur accostable; je dois, cependant, lui rendre la justice
de dire qu'après maints signaux, et lorsque le requérant a
les poumons vides, ou peu s'en faut, le batelier se décide à
donner signe de vie en quittant la rive opposée dans une
espèce de coque de noix qu'il affirme être un canot.
Le plus difficile, d'abord, est de traverser la calèche,
beaucoup trop large pour entrer dans la barque; cependant,
Métivier, après avoir beaucoup pesté contre les voyageurs
en général qui se servent de voitures en dehors de toutes
proportions légitimes, et contre sa chienne de pratique en
particulier, finit par poser la calèche sur le haut du canot,
les roues traînantes dans l'eau de chaque côté d'icelui. Il a
beau protester ensuite qu'il n'y a aucun danger à faire
le trajet avec une compagne aussi aimable, pourvu que l'on
sache bien garder l'équilibre, personne ne veut en courir
les risques; et cela sous le vain prétexte que la rivière est très
rapide et que l'on entend le bruit de la cataracte qui mugit
comme un taureau en fureur à quelques arpents au-dessous
du débarcadère. Comme personne n'a voulu servir de lest
vivant, Métivier, 1 après avoir voué les peureux à tous les
diables, jette quelques grosses pierres au fond du canot; et,
comme l'acrobate Blondin, il sait bien conserver l'équilibre,
malgré les oscillations de la calèche, qui franchit, sans plus
de danger que lui, sinon le Niagara, du moins la rivière du
Sud.
Et le cheval maintenant 1 Ah ! le cheval! c'est une autre
affaire. Il regarde tout, d'un air inquiet, il renâcle fré-
quemment, tandis qu'on le tient poliment par la bride, seule
1. Que la terre qui recouvre le brave et honnête Métivier, lui
soit légère! que ses mânes me pardonnent d'avoir évoqué son
souvenir! Si le voyageur ingrat l'a oublié, je me plais, moi, à
le faire revivre dans cette note: il a fait rétrograder de soixante
et quelques années l'ombre qui marque les heures sur le cadran
de ma vie. Ce n'a été, il est vrai, que pendant un instant; mais
quel instant précieux pour le vieillard que celui qui lui rappelle
quelques bonnes jouissances de sa jeunesse 1
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