Page 295 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Je finis par lui dire que je désirais la consulter, ayant en-
tendu parler d'elle comme d'une femme savante.
-- Souhaitez-vous, fit-elle, m'entretenir privément, ou en
pré~ence de votre compagnon de voyage?
-- En présence de monsieur, répondis-je.
lIt je vois encore la figure triomphalement insolente de
mon habitant.
I.a vieille nous fit passer dans une espèce de bouge obscur
où elle alluma une chandelle de suif aussi jaune que du
safran, s'assit près d'une table dont elle tira un jeu de cartes
qui devait avoir servi à charmer les loisirs du malheureux:
Ch~lrles VI, tant il était vieux et tout rapetassé avec du fil
jadis blanc, mais, alors, aussi noir que les cartes mêmes. Les
figures étaient différentes de toutes celles que j'avais vues
auparavant; et je n'en ai point vues de semblables depuis.
Un grand chat noir, maigre, efflanqué, orné d'une queue
longue et traînante, sortant, ie ne sais d'où, fit alors son appa-
rition. Après avoir fait un long détour en nous regardant
avel: ses yeux fauves et sournois, il sauta sur les genoux:
de !,a maîtresse. C'était bien la mise en scène d'un bon drame
de sorcellerie: tout était prêt pour la conjuration. Mon
compagnon me regardait en clignotant de l'œil; je com-
pris... cela signifiait: Enfoncé l'habit à poches 1
J'avais eu soin de me placer en face de mon habitant, afin
de pouvoir intercepter au besoin tout signe télégraphique
entre la sorcière et lui.
-- Que souh~itez-vous savoir? me dit la sibylle.
-- Je suis parti d'Halifax, répondis-je, il y a plus d'un mois,
et jt~ suis très inquiet de ma femme et de mes enfants.
La vieille remua les cartes, les étendit sur la table et me
dit:
-- Vous avez eu bien de la misère dans votre voyage 1
-- Ah 1 oui, la mère, lui dis-je: on en mange de la misère,
quand on est réduit à faire souvent huit lieues sur des ra-
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