Page 294 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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passé, le présent et l'avenir; le tout appuyé d'histoires mer-
veilleuses de curés, de seigneurs, de dos blancs et d'habits
à poches qu'elle avait rembarrés. Je lui dis à la fin que les
gens d'éducation avaient l'avantage sur lui de ne pas croire
de telles bêtises, et qu'elle n'avait rembarré, suivant son ex-
pression, que des imbéciles comme lui.
Ce fut de sa part un nouveau déluge de quolibets.
- Voulez-vous faire un marché avec moi? lui dis-je: nous
allons arrêter chez votre sorcière: si je vous prouve qu'elle
n'est pas plus sorcière que vous, ce qui n'est pas beaucoup
dire, voulez-vous me promettre de ne plus me parler pendant
le reste de la route?
- De tout mon cœur, me dit-il; mais prenez Barde: je
dois vous dire, sans vous faire de peine, qu'elle en a confondu
de plus futés que vous.
- Soit, lui dis-je, nous verrons.
C'était bien un antre de sorcière que l'habitation de la
mère Nolette: petite maison noire, basse, construite au pied
d'une côte escarpée, et aussi vierge de chaux en dehors et en
dedans que si le bois avec lequel elle avait été construite eût
encore poussé dans la forêt. Tout annonçait la pauvreté,
sans être la misère absolue.
Nous conversâmes pendant un certain temps: c'eût été de
ma part un grand manque aux usages des habitants de la
campagne que de l'entretenir immédiatement du sujet de ma
visite. La sorcière me parut une femme douce, simple et mê-
me bonasse: elle montra pourtant ensuite quelque sagacité en
tirant mon horoscope.
Est-ce bien là, pensai-je, cette femme extraordinaire dont
j'ai tant entendu parler? Est-ce bien cette sibylle dont les
prédictions merveilleuses ont étonné mon enfance? C'était
pourtant bien elle: et aujourd'hui même, après un laps d'au
moins quarante ans qu'elle a passé de vie à trépas, son nom
est encore aussi vivace dans nos campagnes de la côte du Sud,
qu'il l'était lorsque je lui rendis visite, il y a plus d'un demi-
siècle.
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