Page 261 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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JUles est capable de tout 1 Sous cette impression, tremblante
de joie, elle pince une oreille: un cri de douleur s'échappe,
un sourd grognement se fait entendre, suivi d'un aboiement
formidable. Elise arrache son bandeau et se trouve face à
faœ d'une rangée de dents menaçantes: c'était Niger. Com-
m~ chez le fermier Detmont de Walter Scott, dont tous les
chiens s'appelaient Pepper, chez les d'Haberville, toute la
race canine s'appelait Niger ou Nigra, suivant le sexe, en
souvenir de deux de leurs aïeux que Jules avait ainsi nom-
més, lors de ses premières études au collège, pour preuve de
ses progrès.
Elise, sans se déconcerter, ôte son soulier à haut talon, et
tombe sur Jules, qui tenait toujours Niger à bras-le-corps,
s'en servant comme d'un bouclier, et le poursuit de chambre
en chambre, suivie des assistants riant aux éclats.
Heureux temps, ,où la gaieté folle suppléait le plus souvent
à l'esprit, qui ne faisait pourtant pas défaut à la race fran-
çaise 1Heureux temps, où l'accueil gracieux des maîtres sup-
pléait au luxe des meubles de ménage, aux ornements dis-
pendieux des tables, chez les Canadiens ruinés par la conquê-
te 1 Les maisons semblaient s'élargir pour les devoirs de
l'hospitalité, comme le cœur de ceux qui les habitaient 1 On
improvisait des dortoirs pour l'occasion; on cédait aux dames
tout ce que l'on pouvait réunir de plus confortable, et le
villlin sexe, relégué n'importe où, s'accommodait de tout ce
qui lui tombait sous la main.
Ces hommes, qui avaient passé la moitié de leur vie à
bivouaquer dans les forêts pendant les saisons les plus rigou-
reuses de l'année, qui avaient fait quatre ou cinq cents lieues
sur des raquettes, couchant le plus souvent dans des trous
qu'ils creusaient dans la neige, comme ils firent lorsqu'ils
alRrent surprendre les Anglais dans l'Acadie, ces hommes de
fer se passaient bien de l'édredon pour leur couche noc-
tur:l1e.
]_a folle gaieté ne cessait que pendant le sommeil, et
renaissait le matin. Comme tout le monde portait alors de la
poudre, les plus adroits s'érigeaient en perruquiers, voire mê-
me en barbiers. Le patient, entouré d'un ample peignoir, s'as-
seyait gravement sur une chaise; le coiffeur improvisé man-
qUflit rarement alors d'ajouter à son rôle, soit en traçant avec
la houppe à poudrer une immense paire de favoris à ceux
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