Page 26 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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-  Crois-tu, fit Jules, crois-tu que, pour un coup de pied
                                   de plus ou de moins, je laisserais un écolier dans l'embarras
                                   et exposé à la brutalité de son aimable père? Il est bien vrai
                                   que tu m'as presque éreinté, mais c'est une autre affaire à
                                   régler en temps et lieu. Combien te faut-il?
                                     - Ah 1 mon cher Jules, répliqua Dubuc, ce serait abu-
                                   ser de ta générosité. Il me faudrait une forte somme, et je
                                   sais que tu n'es pas en fonds dans le moment: tu as vidé ta
                                   bourse pour assister cette pauvre veuve dont le mari a été tué
                                   par accident.
                                     - En voilà un caribou celui-là, dit Jules, comme si l'on
                                   ne trouve pas toujours de l'argent pour soustraire un ami à
                                   la colère d'un père avare et brutal, qui peut lui casser la
                                   barre du cou 1 Combien te faut-il ?
                                     - Cinquante francs.
                                     - Tu les auras ce soir, fit l'enfant.
                                     Jules, fils unique, Jules, appartenant à une famille riche,
                                   Jules, l'enfant gâté de tout le monde, avait toujours de l'ar-
                                   gent à pleines poches; père, mère, oncles, tantes, parrain et
                                   marraine, tout en proclamant bien baut cette maxime, qu'il
                                   est dangereux de laisser les enfants disposer de trop fortes
                                   sommes, lui en donnaient cependant à qui mieux mieux, à
                                   l'insu les uns des autres !
                                     Dubuc avait pourtant dit vrai: sa bourse était à sec dans
                                   le moment. C'était, d'ailleurs, alors une forte somme que
                                   cinquante francs. Le roi de France ne payait à ses alliés sau-
                                   vages que cinquante francs la chevelure d'un Anglais; le
                                   monarque anglais, plus riche, ou plus généreux, en donnait
                                   cent pour une chevelure française!
                                     Jules avait trop de délicatesse pour s'adresser à ses oncles
                                   et à ses tantes, seuls parents qu'il eut à Québec. Sa première
                                   idée fut d'emprunter cinquante francs en mettant en gage sa
                                   montre d'or, laquelle valait vingt-cinq louis. Se ravisant
                                   ensuite, il pensa à une vieille femme, ancienne servante que
                                   son père avait dotée en la mariant, et à laquelle il avait ensui-
                                   te avancé un petit fonds de commerce, qui avait prospéré
                                   entre ses mains: elle était riche, veuve et sans enfants.
                                     Il y avait bien des difficultés à surmonter: la vieille était
                                   avare et acariâtre; d'aiJleurs Jules et elle ne s'étaient pas
                                   laissés dans les meilleurs termes possibles à la dernière visite
                                   qu'il lui avait faite; elle l'avait même poursuivi avec son
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