Page 202 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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le permettre, si madame veut oublier un instant les liens de
tendre affection qui l'attachent à sa famille, si madame la
supérieure veut se poser en juge impartial entre moi et une
famille qui lui serait étrangère, j'oserais alors entamer une
justification, avec espoir de réussite.
- Parlez, monsieur de Locheill, repartit la supérieure; par-
lez, je vous écoute, non comme une d'Haberville, mais comme
un parfaite étrangère à ce nom: c'est mon devoir, comme
chrétienne, de le faire; c'est mon désir d'écouter, avec im-
partialité, tout ce qui pourrait pallier votre conduite cruelle
9t barbare envers une famille qui vous aimait tant.
Une rougeur subite, suivie d'une pâleur cadavéreuse, em-
preinte sur les traits du jeune homme, fit croire à la supé-
rieure qu'il allait s'évanouir. Il saisit des deux mains la
grille qui le séparait de son interlocutrice, s'y appuya la
tête pendant quelques instants; puis, maîtrisant son émo-
tion, il fit le récit que le lecteur connaît déjà par les chapitres
précédents.
Arché entra dans les détails les plus minutieux; il raconta
ses regrets d'avoir pris du service dans l'armée anglaise,
lorsqu'il apprit que son régiment devait faire partie de l'ex-
pédition dirigée contre le Canada; il parla de la haine héré-
ditaire des Montgomery contre les Cameron of Locheill; il
représenta le major acharné à sa perte, épiant toutes ses ac-
tions pour y réussir; il s'accusa de lâcheté de n'avoir pas
sacrifié l'honneur même à la reconnaissance qu'il devait à la
famille qui l'avait adopté dans son exil. Il n'omit rien: il
raconta la scène chez le vieillard de Sainte-Anne; son hu-
manité en faisant prévenir d'avance les malheureuses familles
canadiennes du sort qui les menaçait; ses angoisses, son
désespoir sur la côte de Port-Joli, avant d'incendier le ma-
noir seigneurial; ses prières inutiles pour fléchir son ennemi
le plus cruel; ses imprécations, ses projets de vengeance
contre Montgomery à la fontaine du promontoire, après avoir
accompli l'acte barbare de destruction; son désespoir à la
vue des ruines fumantes qu'il avait faites; sa capture par les
Abénaquis, ses réflexions amères, son retour à Dieu qu'il
avait SI grièvement offensé en se livrant à tous les mouve-
ments de haine et de rage que le désespoir peut inspirer. TI
raconta la scène sur les plaines d'Abraham, ses angoisses
dévorantes à la vue de Jules, qui pouvait avoir reçu des
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