Page 174 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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nité ? Et il se courba avec résignation sous la main de Dieu.
Les trois guerriers, assis en rond à une douzaine de pieds
de Locheill, fumaient la pipe en silence. Les sauvages sont
naturellement peu expansifs, et considèrent d'ailleurs les
entretiens frivoles comme indignes d'hommes raisonnables;
bons, tout au plus, pour les femmes et les enfants. Cepen-
dant Talamousse, l'un d'eux, s'adressant à l'homme de l'îlot,
lui dit:
- Mon frère va+il attendre longtemps ici les guerriers du
portage?
- Trois jours, répondit celui-ci, en élevant trois doigts: la
Grand' Loutre et Talamousse pourront partir demain avec le
prisonnier; le Français ira les rejoindre au grand campe-
ment du capitaine Launière.
- C'est bien, dit la Grand' Loutre en étendant la main
vers le sud, nous allons mener le prisonnier au campement
du Petit-Marigotte, où nous attendrons pendant trois jours
mon frère avec les guerriers du portage, pour aller au grand
campement du capitaine Launière 1.
De Locheill crut s'apercevoir pour la première fois que
le son de voix de l'homme au bonnet de renard n'était pas
le même que celui des deux autres, quoiqu'il parlât leur
langue avec facilité. Il avait souffert jusque-là les tourments
d'une soif brûlante sans proférer une seule parole: c'était
bien le supplice de Tantale, à la vue des eaux si fraîches et si
limpides du beau lac qui dormait à ses pieds; mais sous l'im-
pression que cet homme pouvait être Français, il se hasarda
à dire:
- S'il est un chrétien parmi vous, pour l'amour de Dieu
qu'il me donne à boire.
- Que veut le chien? dit la Grand' Loutre à son compa-
gnon.
L'homme interpellé fut quelque temps sans répondre; tout
son corps tressaillit, une pâleur livide se répandit sur son
visage, une sueur froide inonda son front; mais, faisant un
grand effort sur lui-même, il répondit de sa voix naturelle:
- Le prisonnier demande à boire.
1. Le Petit-Marigotte est un étang giboyeux, situé à environ
un mille au sud du lac des Trois-Saumons: les anciens préten-
daient que c'était l'œuvre des castors.
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