Page 169 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 169
malheurs de la famille qui l'avait nourri. De Locheill crut
que ces cris plaintifs étaient à son adresse; que ce fidèle
animal lui reprochait son ingratitude envers ses anciens
amis, et il pleura amèrement.
- Voilà donc, s'écria-t-i1 avec amertume, les fruits de ce
que nous appelons code d'honneur chez les nations civili-
sées 1 Sont-ce là aussi les fruits des préceptes qu'enseigne
l'Evangile à tous ceux qui professent la religion chrétienne,
cette religion toute d'amour et de pitié, même pour des
ennemis. Si j'eusse fait partie d'une expédition commandée
par un chef de ces aborigènes que nous traitons de barbares
sur cet hémisphère, et que je lui eusse dit: e Epargne cette
e maison, car elle appartient à mes amis; j'étais errant et fu-
e gitif, et ils m'ont accueilli dans leur famille, où j'ai trouvé
e un père et des frères,» le chef indien m'aurait répondu:
c C'est bien: épargne tes amis: il n'y a que le serpent qui
c mord ceux qui l'ont réchauffé près de leur feu. »
J'ai toujours vécu, continua de Locheill, dans l'espoir de
rejoindre un jour mes amis du Canada, d'embrasser cette
famille que j'ai tant aimée et que j'aime encore davantage,
aujourd'hui, s'il est possible. Une réconciliation n'était pas
même nécessaire: il était trop naturel que j'eusse cherché à
rentrer dans ma patrie, à recueillir les débris de la fortune
de mes ancêtres, presque réduite à néant par les confisca-
tions du gouvernement britannique. Il ne me restait d'autre
ressource que l'armée, seule carrière digne d'un Cameron of
LocheiIl. J'avais retrouvé la claymore de mon vaillant père,
qu'un de mes amis avait rachetée parmi le butin fait par les
Anglais sur le malheureux champ de bataille de Culloden.
Avec cette arme, qui n'a jamais trahi un homme de ma race,
je rêvais une carrière glorieuse. J'ai bien été peiné, lorsque
j'ai appris que mon régiment devait joindre cette expédition
dirigée contre la Nouvelle-France; mais un soldat ne pouvait
Iésigner sans déshonneur, en temps de guerre: mes amis l'au-
laient compris. Plus d'espoir maintenant pour l'ingrat qui a
brûlé les propriétés de ses bienfaiteurs 1 Jules d'Haberville,
celui que j'appelais jadis mon frère, sa bonne et sainte mère,
qui était aussi la mienne par adoption, cette belle et douce
jeune fille, que j'appelais ma sœur, pour cacher un sentiment
plus tendre que la gratitude du pauvre orphelin l'obligeait à
- 170-