Page 144 - monseigneur
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revenus. Impossible pour Armand de le faire aller plus loin.
Le tour n'avait pas été long et nous avons bien ri.
En 1908, j'avais 18 ans et j'enseignais au Petit Chenail.
Un midi, après le dîner, mon père, qui était un peu malade
depuis quelque temps, est allé se coucher. Sortant de table, ma
mère entendait du bruit dans leur chambre. Elle a trouvé
mon père qui essayait de parler et qui voulait se lever aussi.
Mais il ne pouvait plus se faire comprendre; il était paralysé
de tout un côté. C'était pitoyable! Comme c'était l'heure du
dîner, j'étais à la maison ainsi que mes frères et soeurs.
Upton était là aussi, peut-être était-il arrêté en passant. Nous
nous sommes mis à genoux, ne sachant que faire, et mon
frère aîné est parti chercher le médecin. Ç'a été toute une
alerte. Mon père a pris un peu de temps à pouvoir se faire
comprendre. Il se mêlait dans ses mots. Plus tard, avec une
canne, il a recommencé à marcher, en traînant la jambe et en
ramassant son bras qui pendait. Il a été six ans paralysé.
Maman faisait l'ouvrage avec mon frère et ma belle-soeur,
tout en ayant soin de mon père. Ç'a été une dure épreuve
pour toute la famille, mais surtout pour ma mère.
Et c'est durant ce temps-là que l'amour s'est développé
entre Upton et moi. Lui faisait des confidences à mon frère
et à ma belle-soeur, à savoir qu'il m'aimait bien. Ceux-ci
me disaient: «Tu sais, il s'intéresse à toi, il t'aime! »Mais je
Je connaissais trop pour avoir foi en lui tout de suite! Comme
j'étais indépendante et orgueilleuse aussi, je ne voulais pas
qu'il prenne avantage de rire de moi!
Tout de même, des indices se faisaient jour et j'ai com-
mencé à y croire un peu. Un soir qu'il était à la maison (il y
était tous les soirs), j'ai demandé à ma mère: «Venez donc
faire un tour chez des voisins. » Je me suis aperçue qu'il
n'avait pas aimé ça ! Que voulez-vous, la vengeance est douce
au coeur de l'Indien! II nous en avait tellement fait voir de
toutes les couleurs que je n'étais pas fâchée d'avoir un peu
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