Page 134 - monseigneur
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moins bien entretenus. La charrue passait et faisait deux tra-
                              ces, en laissant une lisière de neige entre les deux. Alors, les
                               hommes devaient déplacer le timon et le pousser de côté pour
                               que le cheval marche dans une trace. Nous appelions ça les
                              chemins croches. Donc, un soir que Donat, le frère de ma
                               belle-soeur, est venu nous chercher, ses nièces et moi, il a fait
                               tourner la jument, que nous appelions «la queue courte »car
                               ils la lui avaient coupée, et a échappé les guides. Lajument est
                               partie à l'épouvante, les guides traînant à côté et nous trois
                              dans le bob-sleigh. Donat s'en est revenu à pied et les petites
                               filles riaient de tout leur coeur, inconscientes du danger, mais
                               moi, je n'étais pas grosse. La charrue faisait de gros remparts
                              de chaque côté du chemin. J'aurais pu sauter si j'avais été
                               seule, mais ce n'était pas possible. Il y avait une assez bonne
                              distance sans maisons avant d'arriver aux bâtiments des for-
                               cier. Cependant, il y avait des cahots et à chacun, les
                              chtons... (Nous appelions ça comme ça : des chevilles de fer
                               après l'attelage et qui rentraient dans des trous après les
                               ménoires (les deux brancarts) qui tenaient la voiture. C'est du
                               «joual» mais je ne connais pas d'autre mot approprié.) Donc,
                               à chaque cahot, la jument allant au galop, les chtons
                              sortaient un peu plus de leurs trous. On s'est quand même ren-
                              dues jusqu'aux bâtiments qui précédaient la maison. La
                              jument a tourné pour aller à l'écurie et les deux ménoires
                              sont tombés à terre! Nous étions rendues saines et sauves.
                               Donat a rattelé « la queue courte» pour venir me reconduire
                              et ramener ma belle-soeu r chez elle. Une vraie aventure!
                                  Cette chère belle-soeur, Elmire, après son mariage, est
                              demeurée quelque temps chez nous. Elle était petite, fragile et
                              fière, et elle chantait très bien. Cependant, pour travailler
                              avec ma mère, elle devait se forcer et tous les gens pensaient
                              qu'elle ne ferait pas de vieux os ! Elle a fait plusieurs fausses
                              couches: le cinquième mois de grossesse lui était fatal. Ma
                              mère l'aimait bien. elle la traitait comme sa fille. Ce n'est


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