Page 49 - chainonEte2020
P. 49
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
Bucherons. Archives de Gérald Racine. Le chalet familial de mes parents, Yvon et Marguerite Carrière, environ début des
années 1960. Archives familiales Carrière.
L’eau glaciale et sulfureuse qui émanait de la pompe Et que dire de nos randonnées pédestres en ce site
à eau manuelle, située à l’extérieur du chalet, nous enchanteur, où la curiosité, l’audace, l’émerveillement
incitait à faire notre toilette rapidement, jusqu’à ce et la désinvolture nous transformaient en grands
qu’une pluie chaude nous invitât à prendre une aventuriers. En plus des balades en famille dans les
douche ou à nous baigner dans la rivière. De plus, boisés sur des sentiers tracés par mon père et nos
l’heure du lever ou du coucher coïncidait avec celle promenades santé effectuées pieds nus sur un chemin
du soleil; la chasse aux maringouins devenait LE sablonneux, nos circuits nous menaient au cœur du
sport familial; les dodos en compagnie de cousins et village situé à quelques kilomètres du chalet. Avec
cousines cordés comme des sardines sur des matelas quelques ‘cennes noires’ en poche et munies d’un sac
bosselés favorisaient la rigolade, jusqu’à ce que la en bandoulière, deux de mes cousines, ma sœur et moi
grosse voix du patriarche nous invite à nous taire; les partions à «vélo pattes» sans but précis.
chansons à répondre se fredonnaient gaiement autour
d’un feu de camp; nos quelques nuits passées sous la On empruntait gaiement la 5 concession en chantant.
e
tente éclairée par des lucioles étaient rythmées par le Puis, immanquablement, au moment d’effectuer
croassement des ouaouarons; de savoureuses rôties la traversée du pont Percy-Laflèche, la panique
grillées sur le poêle à bois, tartinées de confitures s’installait, je figeais et mes larmes jaillissaient. Il faut
maison, se dégustaient au quotidien; les jeux de société comprendre que le pont d’acier étroit et chancelant,
servaient de divertissement durant les jours pluvieux; construit en 1921, ne pouvait accommoder qu’une
et… le fameux passage obligé vers les bécosses voiture à la fois, et ce, dans une seule direction. De
délabrées et malodorantes constituait un vrai périple! plus, les nombreuses fissures créées par les planches
pourries du trottoir de bois adjacent alimentaient
Je me rappelle nos tours de bateau sur la rivière mon imaginaire un peu trop fertile. Elles me laissaient
quand nous apprenions à nager. Le rude mode croire que si j’avançais, j’allais sombrer dans des
d’apprentissage était simple et efficace. Après avoir eaux profondes où se déversaient les égouts et dans
enfilé un vieux gilet de sauvetage beaucoup trop lesquelles se régalaient des rats velus et dodus. Après
grand, on s’assoyait sagement dans la chaloupe s’être assurée qu’il n’y avait pas d’autos, ma sœur
jusqu’à ce que quelqu’un nous « garroche » par- exaspérée m’empoignait solidement le poignet pour
dessus bord et attende quelques secondes pour voir me faire traverser le pont à grandes enjambées du
si on nageait ou si on coulait. Étrangement, après côté asphalté. Mes yeux demeuraient mi-clos et la
avoir ingurgité quelques gorgées d’eau vaseuse, ‘braillarde’ que j’étais hoquetait tout le long en tentant
on ne tardait pas à s’improviser une technique de de refouler ses pleurs, jusqu’à qu’on arrive de l’autre
nage salvatrice, même si elle manquait de grâce et côté de la berge et que ma quiétude revienne. Ce
d’élégance. pont a été remplacé en 1977 et rebaptisé Paul-Émile-
Lévesque.
LE CHAÎNON, HIVER 2021 47