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NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
Un enclos où on faisait la vente de vaches, de bovins et de chevaux. On aperçoit la meunerie en Mon grand-père Joseph Antonio là où avait été
arrière plan, vers 1920. Archives de Gérald Racine. édifié son magasin général avant d’être ravagé par
l’incendie du village de 1919. Archives familiales
Carrière.
Lemieux et Casselman, s’ajoutèrent au sort funeste des des chevaux. Il se souvient aussi qu’on lui avait
agriculteurs qui s’y étaient établis. raconté que les chevaux, très nombreux à l’époque,
perdaient de leur utilité et de leur valeur en raison de
Alors qu’en 1897, plusieurs citoyens de langue l’apparition de véhicules et de tracteurs motorisés. Ils
anglaise choisissaient de quitter le « village des avaient, pour la plupart, été conduits à l’abattoir. Leur
conflagrations », le nouveau curé de la paroisse, viande avait été livrée à l’Île-du-Prince-Édouard pour
Joseph-Hercule Touchette, supplia les familles nourrir les renards argentés, puis en Belgique durant
canadiennes-françaises d’y demeurer. C’est à ce une crise alimentaire.
jeune prêtre de 28 ans qu’incombait la lourde tâche
de reconstruire l’église, un rôle qu’il assuma le matin Si l’histoire de ce village de l’Est ontarien, érigé autour
même de l’incendie, alors que son prédécesseur de son clocher, ressemble à celle des communautés
venait tout juste de quitter pour entrer en fonction à la avoisinantes, mes souvenirs témoignent de son
paroisse Sainte-Anne d’Ottawa. Le curé « temporaire » identité particulière.
demeura en poste pendant plus de 50 ans, soit de 1897
à 1953. Mes réminiscences et rêveries enfantines remontent à
mes étés passés au chalet familial à partir des années
C’est ainsi qu’un village majoritairement francophone 1960 alors que le quotidien revêtait un caractère
se releva de ses ruines fumantes. magique, l’instant présent se vivait spontanément et
l’insouciance guidait nos moindres gestes.
Selon les propos de Gérald Racine, camelot au
début des années 1950 pour le quotidien Le Droit Selon la légende populaire, notre chalet avait d’abord
à Casselman, 115 familles francophones étaient appartenu à Alvarez Brisson, un ancien maire du
abonnées à ce journal, alors que le village ne comptait village de 1926 à 1930. Le logement avait abrité une
que deux familles anglophones venues exercer leur douzaine de personnes durant la Grande Dépression
métier au sein du Canadien National. Et pourtant, les de 1929. Il était construit en rondins, dépourvu
élèves francophones de la bourgade n’étaient souvent d’électricité et autres commodités modernes.
munis que de manuels en langue anglaise et n’avaient
que des enseignants anglophones unilingues, ce qui En ces lieux, nous cohabitions avec de nombreux
a largement contribué ainsi à un taux de décrochage petits rongeurs. Ma mère y effectuait souvent « la
élevé. multiplication des pains » pour nourrir la parenté et
les amis qui se pointaient à l’improviste, parce que
Gérald se rappelle que vers l’âge de 12 ans, il effectuait durant la saison estivale, le fait d’accueillir quinze
ses livraisons de journaux en voiturette tirée par convives de plus ou de moins importait peu.
46 LE CHAÎNON, HIVER 2021