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CONTES À PARTAGER













                          Puis au bout d’une autre semaine, du haut de ses trois pommes, Ti-Jean, le
                          benjamin, dit à sa mère en se gonflant la poitrine, « Ouin, b’en moé itou j’aimerais
                          ça m’essayer ». Sa mère lui dit, « Tes deux grands frères n’ont pas été capables. Je
                          doute que tu sois capable de faire un château qui va sur mer et sur terre. » Mais, il
                          insista, « J’aimerais bien m’essayer quand même », à quoi elle répondit, « Tu peux
                          b’en ». Ti-Jean ne se fit pas prier et affila aussitôt sa hache. Elle était tellement affilée
                          que lorsqu’il frôla le journal, les lettres se mirent tomber à terre sans même couper le
                          papier. Fier de lui, il s’est couché. Pour sa part, sa mère grattait et grattait de plus en
                          plus le fond de la miche à pain, pour y faire un p’tit sandwich pas de beurre.

                          Au lever du jour, il partit avec sa hache et son sandwich à la main. Rendu à l’orée du
                          bois, il aperçut la vieille, et oui, la vieille au grrrand nez croche, avec sur le bout du
                          nez un bouton noir avec trois poils noirs dessus. Elle ne tarda pas à lui demander,
                          « Où c’est que tu t’en vas mon p’tit homme avec ta hache, p‘is ton petit lunch? » Il
                          lui répondit avec candeur, « Moi j’m’en vais faire un château qui va sur mer p’is
                          sur terre. » « Aaaah! C’est un grand projet pour un p’tit homme comme toé, p’is je
                          vois que t’as rien qu’un petit lunch… est-ce que tu l’échangerais avec le mien? » Et
                          l’échange se fit. Mais quand fut le temps de partir, la vieille lui dit, « Tout arbre que
                          tu jetteras par terre se changera en château qui va sur mer et sur terre. »

                          Aussitôt arrivé dans le bois, Ti-Jean se mit à couper un arbre et puis, Boum! l’arbre se
                          changea en grosses roues. Là, il était encouragé. Il s’est mis à couper de plus belle,
                          tous les arbres sur son passage. Ainsi tombaient partout, des roues, des essieux, des
                          murs, un toit, et plus encore. À la fin de la journée, il assembla un beau château qui
                          pouvait aller sur mer et sur terre.

                          Fière de sa réussite, il monta dans son château, derrière son grand gouvernail, tira le
                          levier et le château se mit à avancer. Il était tellement gros que les arbres se pliaient
                          et tombaient sur son passage. Quand sa mère l’a aperçu au volant de son château qui
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                          va sur mer et sur terre, la mâchoire lui a littéralement « démanché  ». « Mon Ti-Jean,
                          t’as été capable de faire un château? » « Aaah oui! c’était facile, t’a juste besoin de
                          couper des arbres. Mais là, ch’us fatigué. Demain, j’irai voir le roi pour y montrer
                          mon beau château. »

                          Inutile de dire que le lendemain matin, Ti-Jean se replaça fièrement derrière le
                          gouvernail de son château, tira le levier et partit à la rencontre du roi. À peine parti,
                          il aperçut un homme sur le bord du chemin qui tendait l’oreille attentivement. Il
                          lui demanda, « Qu’est-ce que tu fais là? » « Moi j’écoute mon blé pousser. J’ai rien
                          à faire, ça fait que pour passer le temps, j’écoute pousser mon blé. » « T’as rien à
                          faire? Tu pourrais monter avec moé. J’ai besoin du monde pour travailler avec moé.
                          J’ai un gros château, p’is je suis tout seul. » « Ouin b’en, je pourrais b’en faire ça. »
                          Il rembarqua et ils se mirent en route.


                          2  Se détacher






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