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SECTION SPÉCIALE : LES CONTES ET LÉGENDES DE L’ONTARIO FRANÇAIS













                    manches de pelle qui fallait que tu fasses, c’était un château qui va sur mer, p’is sur
                    terre ». Robert était bien découragé, mais la famille réussit à vendre tous les manches
                    de pelle au marché, pour se faire un peu d’argent pour être capable de manger
                    encore une autre semaine.


                    Puis un beau jour, Charles, le deuxième de la famille, dit à sa mère, « Moé, M’man,
                    j’aimerais ça m’essayer de construire un château qui va sur mer p’is sur terre ». Mais
                    elle lui dit, « Robert a pas été capable, p’is y’é b’en plus vieux que toé, j’sais b’en
                    pas comment toé, tu pourrais faire ça? » « Je pense que j’vais être capable. » « Ah
                    b’en! J’vais te faire un lunch pour demain matin ». Charles affila donc sa hache et se
                    coucha très tôt. Pendant ce temps, sa mère grattait la miche à pain pour la deuxième
                    fois, pour faire sortir un p’tit peu de mie pour faire un p’tit lunch, « paré pour le
                    lendemain ».

                    À l’aurore, Charles agrippa sa hache et son p’tit lunch. Arrivé à l’orée du bois, il
                    rencontra la vieille femme… la même vieille femme que Robert avait rencontrée
                    auparavant. Une trrrrrès viiieille femme, avec un trrrrrès grrrrrand nez, p’is sur le
                    bout de son nez il y avait un gros bouton noir, p’is sur le bouton noir il y avait trois
                    poils noirs. La vieille lui demanda, «  Où c’est que tu t’en vas avec ta hache, p’is ton
                    p’tit lunch? » Charles, qui ne voulait pas lui dire ce qu’il voulait faire, lui répondit,
                    «  J’m’en va faire des barouettes  ». « Des barouettes? s’écria-t’elle. Mais, mon petit
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                    homme, t’as pas assez de nourriture dans ton p’tit lunch pour pouvoir bûcher toute
                    une journée de temps pour faire ça. Si ça te dérange pas, tu pourrais l’échanger avec
                    le mien ». Elle lui montra donc son lunch, qui était rempli de gâteaux et de biscuits.
                    Il lui dit sans hésiter, « Ah oui!!! je veux b’en échanger avec vous ». Elle lui dit ensuite
                    tout doucement, « Mon homme, tout arbre que tu jetteras par terre se changera en
                    barouette ».

                    Mais Charles s’enfonçait déjà plus creux dans le bois, sans vraiment porter
                    attention à ses paroles. Il s’attela peu après et commença à bûcher de toutes ses
                    forces sur un gros arbre et quand l’arbre tomba par terre, Boum! il n’y vit que des
                    barouettes, rien que des barouettes, des manches et des roues de barouettes. Il en
                    était d-é-c-o-u-r-a-g-é. À la fin de la journée, il n’avait taillé que des barouettes. Il
                    était en tabarouette (!!!) d’avoir fait que des brouettes. Il les empila une sur l’autre
                    et sortit de là avec des tonnes de brouettes. Quand sa mère le vit, elle s’est mise à
                    rire, « Mais mon beau Charles, c’est pas des barouettes que tu étais censé faire, c’est
                    un château qui va sur mer et sur terre. » Heureusement, la famille réussit à vendre
                    toutes ses brouettes pour faire un peu d’argent pour subsister une autre semaine.






                    1  Le nom plus usuel est brouette, un petit véhicule à une roue muni de deux brancards, qui sert à transporter des
                       fardeaux à bras d’homme, dictionnaire Le Robert.






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