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SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE 53
Le roi avait espéré, par ce moyen, diminuer la surabondance du
castor; le contraire arriva. Encouragés secrètement par les.marchands,
et commerçant, surtout avec les sauvages Illinois, qui leur fournissaient
une marchandise de seconde qualité, les coureurs des bois apportèrent
une quantité prodigieuse de castor; le magasin des fermiers généraux
fut bientôt remplL d'une fourrure d'inégale valeur que les chapeliers
de Francè refusèrent d'acheter à moins d'une diminution considérable
sur le prix.
Oudiette ne pouvant remplir ses obligations (1) renonça à son privi-
lège; le roi se vit dans l'obligation de lui payer 3,762,508 francs pour un
million de livre, de castors qui lui restaient.
Le roi passa, en 1687, un nouveau bail pour la ferme du domaine
d'occident et le privilège de la traite de la pelleterie fut accordé à Louis
Guigues. Dans le bail de Guigues, il était décrété que les congés seraient
abolis, et des peines sévères étaient portées contre les coureurs des bois;
ceux-ci craignant la colère du gouverneur restèrent dans les bois et ven-
dirent leurs castors aux Anglais de Manatte et d'Orange par l'inter-
médiaire des Iroquois. Ils évitaient ainsi les châtiments qui leur étaient
réservés, s'ils rentraient dans la colonie; de plus, en écoulant leurs mar-
chandises à l'étranger, ils s'exemptaient de payer les droits du quart
sur le castor et du dixième sur les peaux d'orignaux.
Les fermiers généraux se trouvaient par là même privés d'un revenu
considérable. Le nouveau fermier Guigues voulut tenir bon. Il cher-
cha à se débarrasser du castor qu'il avait acheté du roi pour la somme de
15,000 livres. Il établit une manufacture de chapeaux; fit carder et
filer du castor avec de la laine et fabriqua des draps, des flanelles, des
bas. Par malheur, ces essais lui coûtent très cher et "ne servent qu'à
convaincre davantage que les castors ne sont propres qu'à faire des
chapeaux" (2).
Ruiné, Guigues tenta un dernier effort; il demanda au roi une dimi-
nution des prix du castor sur le marché de la colonie. /ILes commerçants
et encore plus MM. les gouverneurs trouvèrent ces diminutions d'une
dangereuse conséquence non pas tant par le danger que chaque année on
fit la même tentative de diminution que par la crainte que les sauvages,
nos alliés, ne portassent leurs fourrures aux Anglais et qu'en cas de rup-
ture entre les deux couronnes ils ne prissent l'intérêt des Anglais contre
celui des Français" (3).
Le roi proposa alors aux habitants de la colonie de gérer eux-mêmes
la ferme d'Occident avec le privilège exclusif de la traite du castor.
La proposition est acceptée et deux députés, MM. Juchereau, lieute-
nant-général de Montréal et Pascaud, commerçant, sont envoyés en France
pour s'entendre avec M. Rodes, agent des fermiers généraux. Les délé-
gués réussirent au-delà de leurs espérances; ils se font céder les droits
de Louis Guigues qui leur abandonne huit cent mille livres pesant de cas-
(l)-Le débit du castor en France était tombé de 95,489 livres, en 1683, à 49,056 livres en 1694.
'et à 23,468 livres en 1685. Man. de la Nouvelle-France, 1ère série. Vol. 3, fol. 831.
(2)-Salone, Colonisation de la Nouvelle-France, p. 296.
(3)-Mémoire d'Auteuil, 1715-1719.