Page 24 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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Sans trop s'en rendre compte, Louis-Philippe était devenu le
porte-parole des récalcitrants qui refusaient les conditions de relo-
gement des agents du Gouvernement. On s'était groupé autour de
lui, spontanément. On avait confiance en lui parce qu'il est le plus
instruit parmi eux, peut-être aussi à cause de i'assurance et de la
ténacité qui le caractérisent. Mais cela n'allait pas sans inconvé-
nient. Souvent seule, Marie se morfondait dans l'ennui et la soli-
tude.
Quand les deux époux se retrouvaient dans leur grande maison
vide de ses rires et de ses chansons, ils ne s'y sentaient plus à i'aisc.
comme autrefois. Certains silences pesaient tellement lourd. qu'ils
se sentaient écrasés comme sous une immense fourchée de mil échap-
pée sur l'aire un jour de fenaison. Longtemps, Marie avait réussi à
cacher I'angoisse qui l'habitait. Préoceupé du sort des derniers
habitants de Terre-Haute, Louis-Philippe était resté inconscient des
sentiments profonds de sa femme. II avait fallu le départ d'Agathe,
la femme d'Isidore Lavoie, pour lui dessiler les yeux. C'était la
meilleure amie de Marie et sa eonfidente. Depuis ce temps, elle
n'avait plus été la même. Seul son corps logeait encore sur la mon-
tagne.
Cette année-là, plus de vingt familles avaient quitté. Jamais
on n'avait vu un aussi grand dérangement. Ça rappelait aux anciens
le printemps de 1935, mais le voyage se faisait en sens inverse.
L'automne, l'évêque avait rappelé le dernier curé ; on avait dissous
le conseil municipal. La vie communautaire en fut profondément
perturbée.
Quand on avait demandé à Louis-Philippe pourquoi il ne par-
tait pas, lui aussi, il s'était contenté de hausser les ipaules en disant
d'un air sombre :
- Pour aller où ?
À cette question, Marie n'avait pas trouvé de réponse satis-
faisante.
Louis-Philippe ne manquait jamais d'écouter les nouvelles à
la télévision ou à la radio. Cela lui donnait i'illusion de se rappro-