Page 93 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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- Je vois, dit Jules, que tu ne connais pas tous les talents
                                      de José: c'est un faiseur de contes inépuisable. Les voisins
                                      s'assemblent dans notre cuisine pendant les longues soirées
                                      d'hiver; José leur fait souvent un conte qui dure pendant des
                                      semaines entières. Quant il est à bout d'imagination, il leur
                                      dit: Je commence à être fatigué: je vous conterai le reste
                                      un autre jour.
                                        José est aussi un poète beaucoup plus estimé que mon
                                      savant oncle le chevalier, qui s'en pique pourtant. Il ne man-
                                      que jamais de sacrifier aux muses, soit pour les jours gras,
                                      soit pour le jour de l'an. Si tu eusses été chez mon père à
                                      ces époques, tu aurais vu des émissaires arriver de toutes les
                                      parties de la paroisse pour emporter les productions de
                                      José.
                                        - Mais il ne sait pas écrire, dit Arché.
                                        - Et, répliqua Jules, ceux qui viennent les chercher ne
                                      savent pas lire que je sache. Voici comme cela se fait. On
                                      députe vers le poète un beau chanteux, comme ils disent,
                                      lequel chanteux a une excellente mémoire; et crac, dans une
                                      demi-heure au plus, il emporte la chanson dans sa tête. S'il
                                      arrive un événement funeste, on prie José de faire une com-
                                      plainte; si c'est, au contraire, quelque événement comique,
                                      c'est toujours à lui que l'on s'adresse dans ma paroisse. Ceci
                                      me rappelle l'aventure d'un pauvre diable d'amoureux qui
                                      avait mené sa belle à un bal, sans être invité; ils furent, quoi-
                                      que survenants, reçus avec politesse; mais le jeune homme
                                      eut la maladresse de faire tomber en dansant la fille de la
                                      maison, ce qui fut accueilli aux grands éclats de rire de toute
                                      la société; mais le père de la jeune fille, un peu brutal de sdn
                                      métier, et indigné de l'affront qu'elle avait reçu, ne fit ni un
                                      ni deux: il prit mon José Blais par les épaules et le jeta à la
                                      porte; il fit ensuite des excuses à la belle, et ne voulut pas
                                      la laisser partir. A cette nouvelle, l'humeur poétique de notre
                                      ami ne put y tenir, et il improvisa la chanson suivante, assez
                                      drôle dans sa naïveté:
                                          Dimanche après les vêp's. y aura bal chez Boulé,
                                          Mais il n'ira personn' que ceux qui sav'nt danser:
                                            Mon ton toa de ritaine, mon ton ton lie rité.
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