Page 37 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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charmantes bêtes. Alors, après une autre journée ou plus,
                                     si l'animal n'est pas trop opiniâtre, si le montagnard a assez
                                     de patience, il se met en route et arrive même quelquefois
                                     au terme de son voyage.
                                       -  Certes, dit de Locheill, tu as bel air à te moquer de mes
                                     montagnards! tu dois être fier aujourd'hui de ton équipage
                                     princier! la postérité aura de la peine à croire que le haut
                                     et puissant seigneur d'Haberville ait envoyé chercher l'héri-
                                     tier présomptif de ses vastes domaines dans un traîneau à
                                     charroyer le fumier 1 Sans doute qu'il expédiera ses piqueurs
                                     au-devant de nous, afin que rien ne manque à notre entrée
                                     triomphale au manoir de Saint-Jean-Port-Joli.
                                       -  Bravo! de Locheill, fit Jules: te voilà sauvé, mon frère.
                                     Bien riposté 1Coups de griffes pour coups de griffes, comme
                                     disait un jour un saint de ton pays, ou des environs, aux prises
                                     avec sa majesté satanique.
                                       José, pendant ce colloque, se grattait la tête d'un air
                                     piteux. Semblable au Caleb Balderstone, de Walter Scott,
                                     dans sa Bride 0/ Lammermoor, il était très sensible à tout ce
                                     qu'il croyait toucher à l'honneur de son maître. Aussi s'écria-
                                     t-il, d'un ton lamentable:
                                       -  Chien d'animal, bête que j'ai été! c'est toute ma faute
                                     à moi 1 Le seigneur a quatre carrioles dans sa remise, dont
                                     deux, toutes flambant neuves, sont vernies comme des vio-
                                     lons; si bien qu'ayant cassé mon miroir, dimanche dernier,
                                     je me suis fait la barbe en me mirant dans la plus belle.
                                     Si donc, quand le seigneur me dit, avant-hier au matin:
                                     c Mets-toi faraud, José, car tu vas aller chercher monsieur
                                     mon fils à Québec, ainsi que son ami, monsieur de Lochei1l;
                                     aie bien soin, tu entends, de prendre une voiture convena-
                                     b1e lt 1 moi, bête d'animal 1 je me dis, voyant l'état des che-
                                     mins, la seule voiture convenable est un traîneau sans lisses.
                                     Ah 1 oui 1 je vais en recevoir un savon! j'en serai quitte
                                     à bon marché, s'il ne me retranche pas mon eau-de-vie pen-
                                     dant un mois... A trois coups par jour, ajouta José en bran-
                                     lant la tête, ça fait toujours bien quatre-vingt-dix bons coups
                                     de retranchés, sans compter les adons (casualités, politesses);
                                     mais c'est égal, je n'aurai pas volé ma punition.
                                       Les jeunes gens s'amusèrent beaucoup de l'ingénieux men-
                                     songe de José pour sauver l'honneur de son maître.
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