Page 42 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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cochon, sous votre respect, qu'ils faisaient jouer à demande.
tantÔt à droite, tantÔt à gauche de leur grande dent: c'était,
je suppose, pour l'affiler. J'allais oublier une grande queue,
deux fois longue comme celle d'une vache, qui leur pendait
dans le dos, et qui leur servait, je pense, à chasser les mous-
tiques.
Ce qu'il y avait de drôle, c'est qu'ils n'avaient que trois
yeux par couple de fantômes. Ceux qui n'avaient qu'un seul
œil au milieu du front, comme ces cyriclopes (cyclopes) dont
votre oncle le chevalier, M. Jules, qui est un savant, lui.
nous lisait dans un gros livre, tout latin comme un bréviaire
de curé, qu'il appelle son Vigile; ceux donc qui n'avaient
qu'un seul œil, tenaient par la griffe deux acolytes qui avaient
bin, eux, les damnés, tous leurs yeux. De tous ces yeux
sortaient des flammes qui éclairaient l'île d'Orléans comme
en plein jour. Ces derniers semblaient avoir de grands égards
pour leurs voisins, qui étaient, comme qui dirait, borgnes; ils
les saluaient, s'en rapprochaient, se trémoussaient les bras et
les jambes, comme des chrétiens qui font le carré d'un
menuette (menuet).
Les yeux de mon défunt père lui en sortaient de la tête.
Ce fut bin pire quand ils commencèrent à sauter, à danser,
sans pourtant changer de place, et à entonner, d'Une voix
enrouée comme des bœufs qu'on étrangle, la chanson sui-
vante:
Allons' gai, compèr' lutin 1
Allons, gai, mon cher voisin 1
Allons, gai, compèr' qui fouille,
Compèr' crétin la grenouille 1
Des chrétiens, des chrétiens,
J'en f'rons un bon festin.
- Ah 1 les misérables carnibales (cannibales), dit mon dé-
funt père. voyez si un honnête homme peut être un moment
sûr de son bien. Non content de m'avoir volé ma plus belle
chanson que je réservais toujours pour la dernière dans les
noces et les festins, voyez comme ils me l'ont étriquée 1 c'est
à ne plus s'y reconnaître. Au lieu de bon vin, ce sont des
chrétiens dont ils veulent se régaler, les indignes 1
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