Page 252 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 252
- Ah f mon cher Arché, dit Jules, l'éternel railleur: quan-
tùm mutatus ab iIIo 1 comme dirait mon cher oncle Raoul,
s'il eût pris la parole avant moi, ou comme tu dirais toi-
même. Qu'as-tu donc fait de tes grandes jambes dont tu étais
jadis si fier dans cette même savane? ont-elles perdu leur
force et leur agilité depuis le 28 avril 1760? Tu t'en étais
pourtant furieusement servi dans la retraite, comme je te
l'avais prédit.
- Il est vrai, réplique de Locheill en riant aux éclats,
qu'elles ne me firent pas défaut dans la retraite de 1760,
comme tu l'appelles par égard pour ma modestie; mais, mon
cher Jules, tu dois aussi avoir eu à te louer des tiennes, tou-
tes courtes qu'elles sont, dans la retraite de 1759. Une poli-
tesse se rend par une autre, comme tu sais; toujours par
égard pour la modestie du soldat.
- Vous n'y êtes pas, mon cher, il y a erreur dans les
rôles. Une égratignure, que j'avais reçue d'une balle anglaise
qui m'avait effleuré les côtes, ralentissait considérablement
mon pas de retraite, lorsqu'un grenadier, qui m'avait pris
en affection singulière (je ne sais pourquoi), me jeta sur son
épaule sans plus de respect pour son officier que s'il eût
été un havresac, et toujours courant, me déposa dans l'en-
ceinte même des murs de Québec. Il était temps: le brutal,
dans son zèle, m'avait transporté la tête pendante sur ses
chiens de reins, comme un veau qu'on mène à la boucherie,
en sorte que j'étais suffoqué lorsqu'il se déchargea de son
fardeau. Croirais-tu que le coquin eut l'audace, à quelque
temps de là, de me demander un pourboire pour lui et ses
amis, charmés de voir leur petit grenadier encore une fois
sur ses jambes, et que je fus assez sot pour le régaler lui et
ses compagnons 1Je n'ai jamais pu conserver rancune à per-
sonne, ajouta Jules avec un grand sérieux. Mais voici ton
dîner tout fumant, que ton amie Lisette avait gardé sur ses
fourneaux; il est vrai que pour l'anxiété que tu nous as cau-
sée (car la fête n'aurait point été complète sans toi), tu méri-
terais de prendre ton repas sur le billot; mais amnistie pour
le présent, et à table (c). Voici José qui t'apporte le coup
d'appétit en usage chez toutes les nations civilisées: il est si
charmé de te voir, le vieux, qu'il montre ses dents d'une
oreille à l'autre. Je t'assure qu'il n'est pas manchot quand
- 253-