Page 225 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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ainsi que d'autres légendes dont les auditeurs ne se las-
saient jamais, sans égard pour les cauchemars auxquels ils
s'exposaient dans leurs rêves nocturnes.
On était à la fin d'août de la même année 1767. Le capi-
taine d'Haberville, revenant le matin de la petite rivière Port-
Joli, le fusil sur l'épaule et la gibecière bien bourrée de plu-
viers, bécasses et sarcelles, remarqua qu'une chaloupe, déta-
chée d'un navire qui avait jeté l'ancre entre la terre et le
Pilier-de-Roche, semblait se diriger vers son domaine. Il s'as-
sit sur le bord d'un rocher pour l'attendre, pensant que
c'étaient des matelots en quête de légumes, de lait ou d'au-
tres rafraîchissements (a). Il s'empressa d'aller à leur ren-
contre lorsqu'ils abordèrent le rivage, et vit avec surprise
qu'un d'entre eux, très bien mis, donnait un paquet à un des
matelots en lui montrant de la main le manoir seigneurial;
mais, à la vue de M. d'Haberville, ce gentilhomme sembla se
raviser tout à coup, s'avança vers lui, lui présenta le paquet
et lui dit:
- Je n'aurais jamais osé vous remettre moi-même ce
paquet, capitaine d'Haberville, quoiqu'il contienne des nou-
velles qui vont bien vous réjouir.
- Pourquoi, monsieur, répliqua le capitaine en cherchant
dans ses souvenirs quelle pouvait être cette personne qu'il
croyait avoir déjà vue; pourquoi, monsieur, n'auriez-vous
jamais osé me remettre ce paquet en main propre, si le ha-
sard ne m'eût fait vous rencontrer?
- Parce que, monsieur, dit l'interlocuteur en hésitant,
parce que j'aurais craint qu'il vous fût désagréable de le rece-
voir de ma main: je sais que le capitaine d'Haberville n'ou-
blie jamais ni un bienfait ni une offense.
M. d'Haberville regarda fixement l'étranger, fronça les
sourcils, ferma fortement les yeux, garda pendant quelque
temps le silence, en proie à un pénible combat intérieur;
mais, reprenant son sang-froid, il lui dit avec la plus grande
politesse:
- Laissons à la conscience de chacun les torts du passé:
vous êtes ici chez moi, capitaine de Locheill, et, en outre,
étant porteur de lettres de mon fils, vous avez droit à un bon
accueil de ma part. Toute ma famille vous reverra avec plai-
sir. Vous recevrez chez moi une hospitalité... (il allait dire
avec amertume, princière mais sentant tout ce qu'il y aurait
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