Page 195 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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On aurait cru, pendant cette troisième charge, que tous
les sentiments qui font aimer la vie étaient éteints dans
l'âme du jeune d'Haberville, qui, le cœur ulcéré par l'amitié
trahie, par la ruine totale de sa famille, paraissait implorer
la mort comme un bienfait. Aussi dès que l'ordre avait été
donné de marcher en avant pour la troisième fois, bondis-
sant comme un tigre, et poussant le cri de guerre de sa fa-
mille: c A moi grenadiers 1. il s'était précipité seul sur les
Anglais, qu'il avait attaqués comme un insensé. L'œuvre de
carnage avait recommencé avec une nouvelle fureur, et, lors-
que les Français étaient restés maîtres de la position, ils
avaient retiré Jules d'un monceau de morts et de blessés.
Comme il donnait signe de vie, deux grenadiers le portèrent
sur les bords d'un petit ruisseau près du moulin, où un peu
d'eau fraîche lui fit reprendre connaissance. C'était plutôt
la perte du sang qui avait causé la syncope, que la grièveté
de la blessure: un coup de sabre, qui avait fendu son cas-
que, avait coupé la chair sans fracturer l'os de la tête. Un
soldat arrêta l'effusion du sang, et dit à Jules, qui voulait
retourner au combat:
- Pas pour le petit quart d'heure, notre officier: vous
en avez votre suffisance pour le moment; le soleil chauffe
en diable sur la butte, ce qui est dangereux pour les blessu-
res de tête. Nous allons vous porter à l'ombre de ce bois,
où vous trouverez des lurons qui ont aussi quelques égrati-
gnures. D'Haberville, trop faible pour opposer aucune résis-
tance, se trouva bien vite au milieu de nombreux blessés, qui
avaient eu assez de force pour se traîner jusqu'au bocage de
sapins.
Tout le monde connaît l'issue de la seconde bataille des
plaines d'Abraham; la victoire fut achetée bien chèrement par
les Français et les Canadiens, dont la perte fut aussi grande
que celle de l'ennemi. Ce fut, de la part des vainqueurs, effu-
sion inutile de sang. La Nouvelle-France, abandonnée de la
mère patrie, fut cédée à l'Angleterre par le nonchalant
Louis XV, trois ans après cette glorieuse bataille qui aurait
pu sauver la colonie.
De Locheill s'était vengé noblement des soupçons inju-
rieux à sa loyauté, que son ennemi Montgomery avait essayé
d'inspirer aux officiers supérieurs de l'armée britannique.
Ses connaissances étendues, le temps qu'il consacrait à
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