Page 188 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 188

défendant avec le courage du désespoir, avaient tué plusieurs
                                    sauvages et entre autres un de leurs chefs et son fils. Nous
                                    n'étions qu'une quinzaine de Canadiens contre au moins deux:
                                    cents Indiens. J'étais bien jeune alors, et je pleurais comme
                                    un enfant. Ducros dit Laterreur cria à Francœur en écu-
                                    mant de rage: Quoi! sergent, nous, des hommes, nous souf-
                                    frirons qu'on brûle une pauvre créature devant nos yeux sans
                                    la défendre! nous, des Français 1 Donnez l'ordre, sergent,
                                    et j'en déchire pour ma part dix: de ces chiens de canaouas
                                    avant qu'ils aient même le temps de se mettre en défense. Et
                                    il l'aurait fait comme il le disait, car c'était un maître
                                    homme que Laterreur, et vif comme un poisson. L'Ours-
                                    Noir, un de leurs guerriers les plus redoutables, se retourna
                                    de notre côté en ricanant. Ducros s'élança sur lui le casse-
                                    tête levé en lui criant: Prends ta hache, l'Ours-Noir, et tu
                                    verras, lâche, que tu n'auras pas affaire à une faible fem-
                                    me ! L'Indien haussa les épaules d'un air de pitié, et se con-
                                    tenta de dire lentement: Le visage-pâle est bête; il tuerait son
                                    ami pour défendre la squaw d'un chien d'Anglais son enne-
                                    mi. Le sergent mit fin à cette altercation en ordonnant à
                                    Ducros de rejoindre notre petit groupe. C'était un brave
                                    et franc cœur que ce sergent, comme son nom l'attestait.
                                    II nous dit, les larmes aux yeux: «Il me serait inutile d'en-
                                    freindre mes ordres; nous ne pourrions sauver cette pauvre
                                    femme en nous faisant tous massacrer. Quelle en serait en-
                                    suite la conséquence? La puissante tribu des Abénaquis se
                                    détacherait de l'alliance des Français, deviendrait notre enne-
                                    mie, et combien alors de nos femmes et de nos enfants subi-
                                    raient le sort de cette malheureuse Anglaise 1 Et je serais
                                    responsable de tout le sang qui serait répandu_.
                                      Eh bien 1 monsieur Arché, six mois même après cette scè-
                                    ne horrible, je me réveillais en sursaut, tout trempé de sueur:
                                    il me semblait la voir, cette pauvre victime, au milieu de ces
                                    bêtes féroces; il me semblait sans cesse entendre ses cris
                                    déchirants de mein Gatt! mein Gatt! On s'est étonné de
                                    mon sang-froid, et de mon courage, lorsque les glaces m'en-
                                    traînaient vers les chutes de Saint-Thomas; en voici la prin-
                                    cipale cause. Au moment où la débâcle se fit, et que les gla-
                                    ces éclataient avec un bruit épouvantable, je crus entendre,
                                    parmi les voix puissantes de la tempête, les cris déchirants
                                                        -   189 -
   183   184   185   186   187   188   189   190   191   192   193