Page 187 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 187

leur dire que Talamousse et lui avaient bien le droit de dis-
                                        poser de la moitié de leur captif; qu'une moitié une fois
                                        libre a emporté l'autre; qu'ils se dépêchent de courir, que
                                        le prisonnier chargé de leur butin ne peut se sauver bien
                                        vite; ou d'autres farces semblables toujours bien accueillies
                                        des sauvages. Enfin, ce qui est encore probable, c'est qu'il
                                        va leur parler de mon aventure aux chutes de Saint-Thomas,
                                        que tous les Abénaquis connaissent, leur dire que c'est à
                                        votre dévouement que je dois la vie; et, comme les sauvages
                                        n'oublient jamais un service, ils s'écrieront: Mes frères ont
                                        bien fait de relâcher le sauveur de notre ami le visage-
                                        pâle 1
                                          De Locheill voulut entrer dans de longs détails pour se
                                        disculper aux yeux de Dumais de sa conduite cruelle le jour
                                        précédent; mais celui-ci l'arrêta.
                                          -  Un homme comme vous, monsieur Archibald de Lo-
                                        cheill, dit Dumais, ne me doit aucune explication. Ce n'est
                                        pas celui qui, au péril de sa vie, n'a pas hésité un seul ins-
                                        tant à s'exposer à la rage des éléments déchaînés pour secou-
                                        rir un inconnu, ce n'est pas un si noble cœur que l'on peut
                                        soupçonner de manquer aux premiers sentiments de l'huma-
                                        nité et de la reconnaissance. Je suis soldat et je connais toute
                                        l'étendue des devoirs qu'impose la discipline militaire. J'ai
                                        assisté à bien des scènes d'horreur de la part de nos bar-
                                        bares alliés, qu'en ma qualité de sergent, commandant quel-
                                        quefois un parti plus fort que le leur, j'aurais pu empêcher,
                                        si des ordres supérieurs ne m'eussent lié les mains: c'est un
                                        rude métier que le nôtre pour des cœurs sensibles.
                                          J'ai été témoin d'un spectacle qui me fait encore fré-
                                        mir d'horreur quand j'y pense. J'ai vu ces barbares brûler
                                        une Anglaise: c'était une jeune femme d'une beauté ravis-
                                        sante. Il me semble toujours la voir liée au poteau où ils la
                                        martyrisèrent pendant huit mortelles heures. Je la vois en-
                                        core cette pauvre femme au milieu de ses bourreaux, n'ayant,
                                        comme notre mère Eve, pour voile que ses longs cheveux,
                                        blonds comme de la filasse, qui lui couvraient la moitié du
                                        corps. Il me semble entendre sans cesse son cri déchirant
                                        oe: mein Gott / mein Gott / Nous fîmes tout ce que nous
                                        pûmes pour la racheter, mais sans y réussir; car, malheu-
                                        reusement pour elle, son père, son mari et ses frères en la
                                                            -  188-
   182   183   184   185   186   187   188   189   190   191   192