Page 122 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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milieu des cris de joie, des coups de fusil des assistants, qui
                                   ne se dispersaient que lorsque le tout était entièrement con-
                                   sumé.
                                     Blanche d'Habervil1e, son frère Jules et de Locheill
                                   n'avaient pas manqué d'assister à cette joyeuse cérémonie,
                                   avec mon oncle Raoul, à qui il incombait de représenter
                                   son frère, que les devoirs d'hospitalité devaient nécessaire-
                                   ment retenir à son manoir. Un critique malicieux, en contem-
                                   plant le cher oncle appuyé sur son épée, un peu en avant
                                   de la foule, aurait peut-être été tenté de lui trouver quelque
                                   ressemblance avec feu Vulcain, de boiteuse mémoire, lorsque
                                   la lueur du bûcher enluminait toute sa personne d'un reflet
                                   pourpre: ce qui n'empêchait pas mon oncle Raoul de se consi-
                                   dérer comme le personnage le plus important de la fête.
                                     Mon oncle Raoul avait encore une raison bien puissante
                                   d'assister au feu de joie: c'était la vente de saumon qui se
                                   faisait ce jour-là. En effet, chaque habitant qui tendait une
                                   pêche, vendait à la porte de l'église le premier saumon qu'i!
                                   prenait, au bénéfice des bonnes âmes, c'est-à-dire, qu'il fai-
                                   sait dire une messe, du produit de ce poisson, pour la déli-
                                   vrance des âmes du purgatoire 1. Le crieur annonçant le
                                   but de la vente, chacun s'empressait de surenchérir. Rien
                                   de plus touchant que cette communion des catholiques avec
                                   ceux de leurs parents et amis que la mort a enlevés, que cette
                                   sollicitude qui s'étend jusqu'au monde invisible. Nos frères
                                   des autres cultes versent bien, comme nous, des larmes amè-
                                   res sur le tombeau qui recèle ce qu'ils ont de plus cher au
                                   monde, mais là s'arrêtent les soins de leur tendresse!
                                     Ma mère, quand j'étais enfant, me faisait terminer mes
                                   prières par cet appel à la miséricorde divine: «Donnez, ô
                                   mon Dieu! votre saint paradis à mes grand-père et grand-
                                   mère! » Je priais alors pour des parents inconnus et en bien
                                   petit nombre; combien, hélas! à la fin d'une longue carrière.
                                   en aurais-je à ajouter, s'il me fallait énumérer tous les êtres
                                   chéris qui ne sont plus!

                                     1. Cette coutume, si générale autrefois, n'est pas tout à fait
                                   tombée en désuétude: nos habitants vendent encore pour les
                                    mêmes fins, à la porte de l'église, à l'issue des offices, les pré-
                                   mices des produits de leurs terres, pour remercier Dieu de leur
                                    réussite.
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