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VISAGES

Des recherches généalogiques récentes, menées par
sa fille (et ma mère), Marie-Claire, ont révélé cette
lignée invisible, permettant aussi de l’ancrer dans des
événements violents de l’histoire canadienne.

De ses grand-mères, Bella hériterait les traditions
orales, réelles et imaginées, du Grand Dérangement
de 1755, cette violente expulsion d’environ 10 000
Acadiens par les Britanniques de l’Acadie laissant
des traces durables sur la communauté acadienne des
siècles plus tard.

« Les bébés, arrachés aux ventres de femmes enceintes.
L’écho hurlant de la cornemuse qui jouait comme les
Acadiens furent montés de force sur les bateaux »,
disait Bella à sa fille. Bien que son récit ne concorde
pas avec les faits historiques, le traumatisme d’une
génération était évident dans sa tradition orale.

Mais ce qui est enraciné dans les faits historiques,
c’est que les hommes ont été arrachés à leurs femmes,
leurs fermes et leurs maisons incendiées. Les Acadiens
qui avaient réussi à s’évader furent traqués, chassés
et parfois tués, plusieurs protégés par les Mi’kmaq,
également la cible de violences par l’Empire.
S’ensuivirent la dispersion des familles à travers les
13 colonies américaines, les Caraïbes et l’Europe,
Bella dans sa jeunesse. Crédit : Archives familiales.
le travail à servitude, la tragédie des naufrages, la
de la grotte. J’étais ravie par les histoires de la Vierge, menace de maladies et le spectre de la mort, ainsi que
émue par la façon dont elle avait protégé un sans- l’exclusion sociale souvent cruelle qui ont suivi l’exil
abri qui avait trouvé refuge derrière la grotte pour des Acadiens.
une nuit. Amusée qu’elle fût un appel à abandonner
l’alcool pour un homme qui passait en voiture Comme beaucoup de fidèles catholiques, les Acadiens
alors que ma grand-mère allumait les lumières qui se sont tournés vers les saints, et notamment envers
éclairaient la Vierge, et qui, ivre, a pris la charge la Vierge Marie, une figure de grâce et de compassion
d’électricité bleue pour une apparition béate – et qui leur permettrait de réparer les racines brisées par
désapprobatrice – de la Sainte Mère. le Grand Dérangement. Nommée sainte patronne des
Acadiens lors du premier Congrès national acadien
C’est à la sueur de son front que ma grand-mère a en 1881, la Vierge serait un jour incarnée par la Stella
construit la grotte au début des années 1950. Mais elle Maris, l’étoile jaune vif qui orne la bande bleue du
ne s’est jamais expliquée, n’a jamais révélé pourquoi. drapeau acadien. Une étoile qui offre la direction
Seulement que c’était la réalisation d’une promesse. divine vers les rives de l’Acadie.
Dans son silence, des histoires prenaient racine. « J’ai
deux théories, racontait ma mère au fil des ans, soit De nombreux Acadiens ont échappé au Grand
son désir d’avoir des enfants, soit la maladie de mon Dérangement – ceux qui vivent aujourd’hui dans
frère. » les Maritimes sont en grande partie les descendants
de ceux qui se sont enfuis. Et bon nombre de ceux
C’est dans le nom de Bella Bourgeault, née Isabelle qui ont été déportés sont revenus de l’exil, certains à
Marie Louise Patry, que nous trouvons les germes de pied, d’autres par bateau, prenant des décennies pour
notre histoire. Bella ne le savait probablement pas, revenir dans la vallée du Saint-Laurent, au Québec et
mais elle était la descendante d’une enfant d’Acadie, en Ontario.
l’une de six générations de filles du nom d’Isabelle.

LE CHAÎNON, HIVER 2021 39