Page 16 - chainonEte2020
P. 16
SECTION SPÉCIALE – PANDÉMIE
« […] cette fois, passerons-nous au travers?
Je n’en sais rien, mais je m’y attends. »
- Élisabeth Bruyère, le 12 avril 1848 17
Le typhus est à Québec en 1855 . Sœur Ste-Croix,
18
sœur de la Charité de Québec, contractera la maladie
le 4 février et en décédera le 16 février suivant .
19
Au début du mois de mars 1855, Élisabeth Bruyère
prodigue à Marcelle Mallet, supérieure des Sœurs
Grises à Québec, les conseils de soins à donner aux
personnes atteintes du typhus : Vue de Bytown depuis l’ouest de la rue Wellington, vers 1845. Dessin :
Thomas Burrowes. Source : Archives publiques de l’Ontario, C 1-0-0-0-10 (en
[…] veuillez lui laver tout le corps avec une éponge ligne à http://passageshistoriques-heritagepassages.ca).
trempée dans de l’eau tiède, sans essuyer, répétez
la même chose tous les jours pendant longtemps, deux domestiques s’y enferment pendant deux ans
[c’est-à-dire] plusieurs jours de suite. Lui tenir les pour soigner les 114 personnes qui en ont été atteintes.
pieds chauds et de l’eau froide à la tête et bien suivre
les prescriptions du médecin, – tenez vos malades Une anecdote édifiante survenue pendant l’épidémie
seules dans une chambre bien aérée, – tenez les autres de variole de 1872 nous révèle toute la grandeur de la
à part à l’exception des gardes-malades, tâchez que charité d’Élisabeth Bruyère. Sœur Paul-Émile, sgc, la
vos Sœurs ne respirent pas l’haleine des malades, que relate avec justesse :
leurs gardes aient soin de prendre quelque chose le
matin avant de les approcher. Que toutes aient soin Un jour qu’il revient d’une de ces visites clandestines,
de ne rien manger qui leur soit contraire et faites-les [le père Tabaret] est accosté dans la rue par un passant
sortir dehors aussi souvent que vous le pourrez. Je me qui lui montre un journal dont l’article principal
permets ces observations, parce que nous soignons contient une grossière tirade contre les Soeurs. On les
presque habituellement des cas de fièvres typhoïdes. prend à partie pour ce qu’on appelle « leur manque
Votre maison étant si petite, il pourrait se faire que ce de charité, leur fuite du devoir » - « Est-ce vrai, Père,
fut une cause du long séjour des fièvres dans votre demande l’individu, que les Soeurs ne veulent pas
maison, tenez du chlorure de chaux dans tous vos soigner les picotés? ... Est-ce vrai ? »
appartements, dortoir, réfectoire, communauté. Lieux […] Le père Tabaret fait appeler Élisabeth Bruyère
communs et surtout et ne videz pas les pots dans les pour savoir s’il peut satisfaire semblable question
lieux communs à l’usage de la Com[munau]té; faites sans compromettre l’œuvre. [Élisabeth Bruyère] lit
un trou un peu plus loin et entretenez-y un peu de l’article, regarde le Père et, doucement, sans aucune
chaux vive; mettez-en aussi dans votre cour et autour émotion : « Non, mon Père, laissez dire. Dieu nous
de la maison. Ce sont les précautions qu’on nous voit, cela suffit . »
22
a apprises, nous y tenons, c’est de la part d’un bon
Docteur, et nous nous en sommes bien trouvées […] .
20
La variole s’invitera de nouveau à Bytown en 1874-
1875. Cette fois, 102 personnes contracteront la
Après les ravages du typhus (1847-1848) et du choléra 23
(1849, 1850, 1854, 1857) , c’est la variole qui s’est mise maladie .
21
de la partie, en 1872. Dans la cour du couvent, les
soins sont prodigués en catimini. Cinq religieuses et ***
Remarquons qu’Élisabeth Bruyère a commencé son
17 Sœur Jeanne d’Arc Lortie, op. cit, p. 412.
18 Ibid., p. 346 et 349. obédience comme supérieure des Sœurs Grises de
19 Sœur Jeanne d’Arc Lortie, Lettres d’Élisabeth Bruyère, volume II, Bytown avec l’épidémie de typhus et qu’elle l’a
18501856, Montréal, Éditions Paulines, 1989, p. 346. terminée avec une autre épidémie, celle de la variole.
20 Ibid., p. 349 (les passages en italique le sont dans le texte original). La Entre ces deux grandes épidémies, il y a eu encore
correspondance d’Élisabeth Bruyère pour l’année 1855 ne mentionne
aucun autre passage sur le typhus. En raison de la pandémie de une fois le typhus et plusieurs fois le choléra. Dans
coronavirus, la consultation en salle d’archives est interdite. Nous tous les sens du terme, une chose est sûre, c’est que
aurions peut-être pu trouver d’autres informations à ce sujet en le supériorat d’Élisabeth Bruyère n’a ressemblé à rien
consultant les chroniques des Sœurs Grises de Bytown/d’Ottawa, parce
qu’Élisabeth Bruyère les a écrites tous les jours jusqu’à son décès, à d’une sinécure…
l’âge de 58 ans, le 5 avril 1876.
21 John H. Taylor, « Fire, Disease and Water in Ottawa. An Introduction », 22 Sœur Paul-Émile, op. cit., p. 272.
Revue d’histoire urbaine, vol. 8, n 1, 1979, p. 737. 23 Ibid., p. 271.
o
14 LE CHAÎNON, ÉTÉ 2020