Page 232 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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venait au manoir pendant les vacances de collège avec Jules
                                   qu'eUe avait élevé; et les sanglots lui coupèrent la voix.
                                     Cette mulâtresse, que le capitaine avait achetée à l'âge
                                   de quatre ans, était, malgré ses défauts, très attachée à toute
                                   la famille. Elle ne craignait un peu que le maître; quant à
                                   la maîtresse, sur le principe qu'elle était plus ancienne qu'ene
                                   dans la maison, elle ne lui obéissait qu'en temps et lieux.
                                   Blanche et son frère étaient les seuls qui, par la douceur,
                                   lui faisaient faire ce qu'ils voulaient: et quoique Jules la fit
                                   endiabler très souvent, eUe ne faisait que rire de ses espiè-
                                   gleries; toujours prête, en outre, à cacher ses fredaines et à
                                   prendre sa défense quand ses parents le grondaient 1.
                                     M. d'Haberville, à bout de patience, l'avait depuis long-
                                   temps émancipée; mais c elle se moquait de son émancipa-
                                   tion comme de ça ", disait-elle, en se faisant claquer les
                                   doigts, «car elle avait autant droit de rester à la maison où
                                   elle avait été élevée, que lui et tous les siens ". Si son
                                   maître exaspéré la mettait dehors par la porte -du nord, elle
                                   rentrait aussitôt par la porte du sud, et vice versa.
                                     Cette même femme, d'un caractère indomptable, avait
                                   néanmoins été aussi affectée des malheurs de ses maîtres,
                                   que si elle eût été leur propre fille; et, chose étrange, tout
                                   le temps qu'elle vit le capitaine en proie aux noires vapeurs
                                   qui le dévoraient, ene fut soumise et obéissante à tous les
                                   ordres qu'elle recevait, se multipliant pour faire seule la beso-
                                   gne de deux servantes. Quand ene était seule avec Blanche,
                                   elle se jetait souvent à son cou en sanglotant, et la, noble
                                   demoiselle faisait trêve à ses chagrins pour consoler la pau-
                                   vre esclave. Il faut dire à la louange de Lisette qu'aussitôt
                                   le bonheur revenu dans la famille, ene redevint aussi volon-
                                   taire qu'auparavant.
                                     De LocheiIl, en sortant de la cuisine, courut au-devant de
                                   José, qui revenait du jardin en chantant, chargé de légumes
                                   et de fruits.
                                     -  Faites excuse, lui dit José, si je ne vous présente que la
                                   gauche; j'ai oublié l'autre sur les plaines d'Abraham. Je n'ai
                                   pas, d'ailleurs, de reproche à faire à la petite jupe (sauf le

                                     1. Lisette est ici le type d'une mulâtresse que mon grand-père
                                   avait achetée lorsqu'elle n'était âgée que de quatre ans.
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