Page 115 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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députés, avala d'un trait leur verre d'eau-de-vie, qu'il déclara
excellente, et, prenant le fusil, s'achemina vers la porte, suivi
de tous les assistants.
Aussitôt que le seigneur d'Haberville parut sur le seuil de
la porte, un jeune homme, montant jusqu'au sommet du mai
avec l'agilité d'un écureuil, fit faire trois tours· à la girouette
en criant: Vive le roi 1 vive le seigneur d'Haberville 1 Et
toute la foule répéta de toute la vigueur de ses poumons:
Vive le roi 1 vive le seigneur d'Haberville 1 Pendant ce temps,
le jeune gars descendait avec la même agilité, en coupant avec
un casse-tête, qu'il tira de sa ceinture, tous les coins et jalons
du mai.
Dès que le seigneur d'Haberville eut noirci le mai en
déchargeant dessus son fusil chargé à poudre, on présenta
successivement un fusil à tous les membres de sa famille, en
commençant par la seigneuresse; et les femmes firent le coup
de fusil comme les hommes 1.
Ce fut ensuite un feu de joie bien nourri qui dura une
bonne demi-heure. On aurait pu croire le manoir assiégé par
l'ennemi. Le malheureux arbre, si blanc avant cette furieuse
attaque, semblait avoir été peint subitement en noir, tant était
grand le zèle de chacun pour lui faire honneur. En effet, plus
il se brûlait de poudre, plus le compliment était supposé
flatteur pour celui auquel le mai était présenté.
Comme tout plaisir prend fin, même celui de jeter sa pou-
dre au vent, M. d'Haberville profita d'un moment où la
fusillade semblait se ralentir, pour inviter tout le monde à
déjeuner. Chacun s'empressa alors de décharger son fusil
pour faire un adieu temporaire au pauvre arbre, dont quel-
ques éclats jonchaient la terre; et tout rentra dans le si-
lence 2.
Le seigneur, les dames et une douzaine des principaux
habitants choisis parmi les plus âgés, prirent place à une
table dressée dans la salle à manger habituelle de la famille.
1. Les Canadiennes, sans cesse exposées aux surprises des sau-
vages savaient au besoin se servir des armes à feu.
2 Cette coutume de mutiler les mais, qui existait pendant l'en-
fan~e de l'auteur, a cessé lorsque les habitants leur substituèrent
ensuite les beaux mâts, équarris sur huit faces, dont quelques-uns
subsistent encore aujourd'hui.
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