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UNE PROVINCE AU RÔLE CONTESTE
Depuis un siècle, I'apport de la Bretagne à la colonisation de la Nouvelle-France fut contesté par nos
historiens. Autrefois, on affirmait que tous les Canadiens français étaient descendants des Normands et des
Bretons et cette idée fut si profondément ancrée dans nos esprits qu'il devenait difficile de la contester.
Les premières données officielles sur l'immigration bretonne nous ont été fournies par Benjamin Sulte,
en 191 0. En guise de conclusion à son étude, il écrivait, relativement à I'apport de la Bretagne à la colonisation
de la Nouvelle-France:
<( II faut avertir mes lecteurs que mes 392 individus seraient probablement portés à 550 si les registres
disaient tout, mais on ne devrait pas accorder plus de 400 ménages (bretons) pour la période qui va de 1640 à
1770. ),
Plus tard, Sulte écrivit aussi:
A part le diocèse de Tréguier, la Bretagne était, au XVIIe siècle, sans agriculture. Les chefs de famille et
les garçons vivaient sur la mer ou occupés aux grands voyages. Cette population n'était dressée ni aux
travaux du défrichement ni à la culture des champs et ne s'avisait point de coloniser un pays aussi difficile que
le Canada sous ce double rapport. ))
En 1919, le chanoine Lionel Groulx, fondateur de l'Institut d'Histoire de l'Amérique française, reprit les
mêmes arguments que Sulte. Lors d'une conférence prononcée à l'université Laval de Québec, il déclarait:
(< Écartons tout de suite une autre légende - vous savez qu'on ne les compte plus - qui veut que nos
ancêtres soient venus principalement de Bretagne. Cette fantaisie historique s'exprime encore tous les jours
et volontiers, pour exprimer la ténacité de nos pères. ))
<( Nos registres nous révèlent la présence de 56 Bretons exactement, pour la période de 1633 à 1688.
Et, qu'est-ce encore que ces 56 perdus dans une population de 10 000 âmes attestée par le recensement de
1681? Plus tard, les immigrants de Bretagne augmenteront en nombre; il en viendra, par exemple deux cents
entre 1725 et 1760. Mais que sera-ce toujours que cette infime poussière jetée dans le creuset d'lin peuple qui
en compte alors 20 000 et 70 000 habitants? On ne devrait pas accorder plus de 400 ménages bretons pour la
période de 1640 à 1760, affirme M. Benjamin Sulte. Et, s'il est convenu d'admettre que la population du
Canada ne dépasse pas 4 000 ménages, il revient tout juste aux Bretons une contribution de dix pour cent. Le
contraire serait inexplicable. Nous n'avions aucun rapport de commerce avec la Bretagne pendant tout le
régime français. Et pour coloniser la Nouvelle-France, on peut croire que les recruteurs s'adressèrent de
préférence aux populations des provinces agricoles. >)
Même si ces affirmations ne sont basées sur aucune donnée scientifique valable, nulle autre étude ne
vient les contredire. Toutefois, les dernières recherches du père Godbout portent à 463 le nombre
d'immigrants, ce qui représente 4.6 pour cent de I'immigration française en Nouvelle-France. Jusqu'à ce jour,
ces données résultent toujours de recherches globales.
Les résultats de notre recherche ont permis de modifier considérablement un courant historique et de
redonner à la Bretagne sa juste place dans la colonisation de la Nouvelle-France. II est certain que la jeune
colonie avait besoin d'agriculteurs pour se développer et nous souscrivons aux allégations de nos
prédécesseurs qui affirment que la Bretagne n'en a fourni que très peu. En effet, de 1620 à 1765, seulement
cent onze immigrants bretons s'installèrent sur des terres.
Toutefois, pour bâtir un pays nouveau, il fallait également des artisans pour développer notre jeune
industrie et des militaires pour défendre les fermiers des attaques des Iroquois et des Anglais: voilà la
contribution de la Bretagne.