Page 12 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
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ses soixante-seize ans, Gaspé joignait à une mémoire dé-
                                     taillée des moindres événements de sa jeunesse l'inappré-
                                     ciable qualité d'une sociabilité toute française, de celle
                                     dont pouvait se piquer, au XVIIIe siècle, un honnête hom-
                                     me. Conscient, du reste, de son ascendance nobiliaire, il
                                    perpétuait en sa personne les vertus qu'un siècle « républi-
                                     cain» risquait de faire disparaître. Ainsi armé pour con-
                                     signer les faits significatifs du passé, Philippe Aubert de
                                     Gaspé était à même de faire un de ces livres, écrits sur le
                                     ton de la conversation, qui renferment l'essence d'une ci-
                                     vilisation.
                                        C'est avec une timidité bien compréhensible que Gaspé
                                     aborda la littérature. La matière de son livre, il la por-
                                     tait en lui; il s'en remit, quant à la forme que devaient
                                     prendre ses souvenirs, à la mode du jour et aux prescrip-
                                     tions du premier Aristarque canadien, l'abbé Casgrain. De
                                     ces influences divergentes sont sortis Les Anciens Cana-
                                     diens en 1863.
                                              Gérard Tougas, Histoire de la littérature cana-
                                              dienne-française, Paris, P.U.F., 1964. P. 31-32.
                                        Dès lors, il serait possible de dessiner ici (dans Les An-
                                     ciens Canadiens) le portrait moral de M. de Gaspé; il n'y
                                     aurait qu'à surprendre et à saisir sa pensée partout où elle
                                     se découvre et s·annonce. Aussi bien, parfois, et malgré la
                                     discrétion et la retenue habituelles dont il faut le louer, et
                                     qui donnent à son œuvre une suffisante mesure d'imper-
                                    sonnalité, il arrive que l'auteur des Anciens Canadiens fait
                                     lui-même, et brusquement, irruption dans son livre, se mêle
                                     aux personnages, parle pour son propre compte, rappelle
                                     ses souvenirs et prononce d'autorité ses propres jugements.
                                     Si bien que non seulement la vie des anciens Canadiens,
                                     mais la vie même de M. de Gaspé afflue dans son œuvre
                                     et s'y concentre, s'y répand et en déborde. Ce roman est,
                                     en vérité, une première série des Mémoires. Ce sont les
                                     premières confidences de l'auteur au public [00.]
                                        11 ne faut pas se dissimuler pourtant que M. de Gaspé
                                     pousse parfois jusqu'à l'excès le souci qu'il a de compo-
                                     ser sans recherche et sans cérémonie. L'on voit, par exem-
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