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NOUS AVONS LU POUR VOUS
Niagara, à la fois symbole
et plaidoyer
Nicole V. Champeau, Niagara… la voie qui y mène,
essai, Ottawa, Éditions David, hors collection, 2020,
440 pages, 29,95 $.
Paul-François Sylvestre
Dans un essai envoûtant intitulé Niagara… la voie qui y mène, publié aux
Éditions David, Nicole V. Champeau reconstruit l’histoire et la géographie
de cet endroit mythique qui, avant d’être la destination touristique
qu’on connaît, fut un haut lieu sacré pour les Premières Nations et une
cathédrale vivante du patrimoine français.
Les lieux ont porté l’empreinte des Nations Neutres, puis des Iroquois.
Il y a 117 variations du toponyme Niagara, qui vont d’Onigara à Saut di
Niagara en passant par Ungiara, Yaugree, Nyahgaah, Ny’-Euch-Gau et
T-Gah-Sgoh’-So-Wa-Nah, pour n’en nommer que quelques-uns. Chacune
évoque une dimension de sacré, de mystère ou de puissance. D’un côté, les industriels clament vouloir
« mettre au service du bien commun le magnifique
L’auteure note que les Français nous ont laissé de magnifiques cartes, cadeau fait par le Créateur ». De l’autre côté,
des comptes rendus, des relations, des mémoires de guerre, des artistes, visionnaires et amants de la nature
précieuses indications et, plus encore, un ferment d’humanité. Louis claironnent que « le Niagara n’appartenait
Hennepin parle d’une « prodigieuse cascade […] un abyme [qu’on n’ose] ni aux Canadiens, ni aux Américains, mais à
regarder qu’en frémissant ». Cavelier de la Salle écrit que « les eaux l’humanité tout entière ». En mars 1906, la
escument et bouillonnent d’une manière affreuse ». International Waterways Commission en arrive à
un compromis : la génératrice d’hydroélectricité
Nicole V. Champeau continue en citant intégralement des noms Sir Adam Beck No. 1 (1917) et No. 2 (1954).
bien connus comme le baron de Lahontan, Xavier de Charlevoix,
Chateaubriand et Alexis de Tocqueville. Chacun nous donne rendez-vous Nicole V. Champeau dose son récit de données
dans l’abrupt. Tous nous disent « que moult possibles y sont et que, tour à tour historiques, technologiques et
d’une certaine manière, ils continuent de déjouer les oracles ». poétiques. Elle cite le président de l’International
Niagara Falls Commission, Lord Kelvin, qui
Un chapitre complet est consacré au Fort Niagara et à son commandant souhaitait que les enfants de nos enfants ne
Pierre Pouchot. Il entretenait d’excellentes relations avec les voient jamais la cataracte du Niagara. Puis elle
Amérindiens et, ce qui est moins connu, était homme de théâtre à ses évoque comment « explorateurs et pèlerins partis
heures. Il présentait des pièces pour divertir les soldats mobilisés au ensemble [sont] réunis depuis un lieu pareil à un
Fort Niagara. En 1757, il a écrit et fait jouer Le Vieillard dupé, première incompréhensible infini ».
création dramatique en terre ontarienne. C’est donc un homme du
Niagara qui porte le titre de premier dramaturge franco-ontarien. La poète-essayiste a revisité Niagara en 2016,
ce qui l’amène à conclure son ouvrage en ces
Les Anglais ont souvent supplanté les toponymes français qui, eux, termes : « Niagara, obstinément, inlassablement,
avaient parfois effacé les toponymes amérindiens. Dans les années nous rappelait que tout passe. / Niagara, chaos
e
1820 et jusqu’à la fin du XIX siècle, le Niagara a éveillé la convoitise, lumineux, à la fois symbole et plaidoyer. / La
devenant dès lors objet de spéculations immobilière et commerciale. beauté parfois fait mal. / Niagara se présentait
Certains rêvent d’en faire une propriété privée, rien de moins! Puis, au encore et plus que jamais en récit de voyage. /
nom de l’hydroélectricité, d’autres proposent de faire disparaître les Niagara / L’ailleurs et le meilleur d’ici. / Lacryma
chutes sous un super barrage. mortis. »
68 LE CHAÎNON, HIVER 2021