Page 50 - La Généalogie retrouver ses ancêtres
P. 50

sèches, comme des griffes d'ours, qui lui serrent les épaules:
                                   il se retourne tout effarouché, et se trouve face à face avec
                                   la Corriveau, qui se grapignait amont lui. Elle avait passé
                                   les mains à travers les barreaux de sa cage de fer, et s'effor-
                                   çait de lui grimper sur le dos; mais la cage était pesante, et,
                                   à chaque élan qu'elle prenait, elle retombait à terre avec un
                                   bruit rauque, sans lâcher pourtant les épaules de mon pauvre
                                   défunt père, qui pliait sous le fardeau. S'il ne s'était pas
                                   tenu solidement avec ses deux mains à la clôture, il aurait
                                   écrasé sous la charge. Mon pauvre défunt père était si saisi
                                   d'horreur, qu'on aurait entendu l'eau qui lui coulait de la
                                   tête tomber sur la clôture, comme des grains de gros plomb
                                   à canard.
                                     -  Mon cher François, dit la Corriveau, fais-moi le plai-
                                   sir de me mener danser avec mes amis de l'île d'Orléans.
                                     -  Ah ! satanée bigre de chienne 1 cria mon défunt père
                                   (c'était le seul jurement dont il usait, le saint homme, et
                                   encore dans les grandes traverses).
                                     -  Diable 1 dit Jules, il me semble que l'occasion était
                                   favorable 1 quant à moi, j'aurais juré comme un païen.
                                     -  Et moi, reprit Arché, comme un Anglais.
                                     - Je croyais avoir pourtant beaucoup dit, répliqua d'Ha-
                                   berviIle.
                                     - Tu es dans l'erreur, mon cher Jules 1 Il faut cependant
                                   avouer que messieurs les païens s'en acquittaient passable-
                                   ment, mais les Anglais! les Anglais 1 Le Roux qui, après sa
                                   sortie du collège, lisait tous les mauvais livres qui lui tom-
                                   baient sous la main, nous disait, si tu t'en souviens, que ce
                                   polisson de Voltaire, comme mon oncle le Jésuite l'appelait,
                                   avait écrit dans un ouvrage qui traite d'événements arrivés
                                   en France sous le règne de Charles VII, lorsque ce prince
                                   en chassait ces insulaires, maîtres de presque tout son royau-
                                   me; Le Roux nous disait que Voltaire avait écrit que c tout
                                   Anglais jure:o. Eh bien, mon fils, ces événements se pas-
                                   saient vers l'année 1445; disons qu'il y ait trois cents ans
                                   depuis cette époque mémorable et juge toi-même quels jurons
                                   formidables une nation d'humeur morose peut avoir inventés
                                   pendant l'espace de trois siècles 1
                                     - Je rends les armes, dit Jules; mais continue, mon cher
                                   José.
                                                        -  51 -
   45   46   47   48   49   50   51   52   53   54   55