Prix unitaire au Canada : 15 $
Abonnement au Canada : 1 an, 40 $
Hiver 2023
Volume 41, numéro 1
Le Chaînon, hiver 2023 Volume 41, numéro 1Le Chaînon, hiver 2023 Volume 41, numéro 1
50e anniversaire de
La Nuit sur létang
Disparition en 1945
Périple au pays de Rose-Aimée Bélanger
Ferdinand Larose et sa forêt
De la France à l’Ontario
La légende de la Sirène du lac Supérieur
Date limite : 1er mai
Détails : https://bourses.uottawa.ca/p/a/18036
Vous étudiez à la maîtrise ou au doctorat
à l’Université d’Ottawa et vous vous
intéressez à l’histoire, au patrimoine
ou à la géographie de la grande région
de la capitale fédérale, de l’Outaouais
et de l’Est ontarien?
CETTE BOURSE EST POUR VOUS!
BOURSE
MICHEL-PRÉVOST
EN ÉTUDES RÉGIONALES (10 000 $)
LE CHAÎNON, HIVER 2023 1
Sommaire
Volume 41, numéro 1, hiver 2023
Secrétariat provincial
Téléphone : 613-729-5769
Sans frais : 1-866-307-9995
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Équipe de rédaction
Éditeur : Réseau du patrimoine
franco-ontarien (RPFO)
Coordination :
Dominique Lajoie
Révision : Catherine Beaulieu
Monique Brulé
Danielle Carrière-Paris
Pierre Chartrand
Michel Prévost
Révision nale : Dominique Lajoie
Graphisme : Chantal Lalonde Design
Impression : Trico Printing
Consignes aux auteurs :
Le Chaînon accepte des articles traitant d’histoire, de
généalogie ou de patrimoine pour publication tout au
long de l’année. Les auteurs sont priés d’envoyer leurs
textes et illustrations par courriel à l’adresse suivante :
lechainon@rpfo.ca.
Léquipe de rédaction se réserve le droit d’adapter
les textes soumis et de choisir le moment de leur
publication.
An d’obtenir les lignes directrices pour la soumission
d’un article, veuillez consulter le site Web ou
communiquer avec la rédaction.
Responsabilité :
Les textes publiés et l’intégralité de leur contenu
demeurent l’entière responsabilité des auteurs. En
soumettant un article, les auteurs conrment que leur
texte, y compris toutes illustrations jointes (photos,
cartes, etc.), nenfreignent aucun droit d’auteur existant.
Reproduction :
Toute reproduction intégrale ou partielle du contenu
de la présente revue est interdite sans le consentement
exprès et écrit d’un représentant autorisé du RPFO.
Dépôt légal :
Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa
ISSN 0823-6186
Abonnement :
Abonnement au Canada 40 $ pour 1 an,
25 $ par année pour la version électronique.
Jean-Pierre Gendreau-Hétu
Porté disparu le 28 janvier 1945 : le mitrailleur
Fernand Léo Jolicœur et l’histoire inachevée du Lancaster K. B. 770
Alain Nabarra
La Sirène du lac Supérieur
Marcel Vaillancourt
50 ans de La Nuit sur l’étang : un témoignage
Roger Pommainville
Souvenirs d’un intervenant au cours de la crise du verglas de 1998
Danielle Carrière-Paris
Mon merveilleux périple au « pays de Rose-Aimée Bélanger »
Roger Pommainville
J. Omer Gour – défenseur de la classe moyenne
Michel Prévost
Ferdinand Larose : le premier agronome franco-ontarien
Danielle Carrière-Paris
Jérôme Tremblay, un ami de la francophonie et de la jeunesse,
s’éteint mais son legs inoubliable survit
Agathe Camiré
Ma vie sur les bords de la Mattawishkwia : un récit
autobiographique
Alexandre Gauthier et Batoul Atwi
Gilles Provost, pionnier du théâtre dans la région de la
capitale nationale du Canada
Suzanne Benoit
De la France à l’Ontario
Jean-François Born
Sur les traces de nos racines au Nord-Pas-De-Calais
Histoires d’immigration
Les porte-paroles franco-ontariens
Les erreurs dans les cartes
Page couverture :
Source : Pixabay.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
2
Dominique Lajoie
Coordonnatrice des articles
Mot de la
coordonnatrice
J’entends souvent dire, autour de moi, qu’on vit dans un monde incertain.
C’est vrai qu’il y a une certaine inquiétude généralisée qui plane et qui
s’intensie depuis le début de ces « années 20 » du 21e siècle. Face à cette
anxiété, ils sont nombreux à chercher des réponses dans notre passé collectif.
À cet égard, la technologie actuelle leur offre la possibilité de fouiller plus
profondément dans leur histoire familiale via la résonnance magnétique, ou
encore, via l’ADN. Elle sert aussi à préserver des anciens documents en les
numérisant. Ainsi, on démocratise la recherche historique et généalogique,
et on permet à chacun d’aller trouver ses racines, d’analyser son passé
génétique, de chercher dans les registres paroissiaux, même si on n’habite
plus les lieux d’origines de nos ancêtres.
Sans être le thème ofciel de ce numéro de l’hiver 2023, plusieurs articles
portent sur la recherche d’antécédents. Que cette quête soit liée aux premiers
colonisateurs arrivés en Nouvelle-France, ou aux membres de la famille
qu’on retourne visiter après avoir immigré, 55 ans plus tôt, ou encore, à
un grand-oncle décédé sur un champ de bataille, en Europe, il est toujours
fascinant de situer nos ancêtres par rapport à des chapitres historiques
marquants. Ainsi, notre petite histoire prend vie sous nos yeux et elle nous
permet, plus aisément, de s’identier à la GRANDE histoire de l’humanité.
De plus, pour calmer notre angoisse dans notre monde incertain, il est
apaisant de savoir que notre patrimoine perdure. En 2023, le festival
musical La Nuit sur l’étang fête ses 50 ans d’existence! La forêt Larose,
conceptualisée et plantée manuellement, reste un joyau de l’Est ontarien. Le
théâtre franco-ontarien est en plein essor dans la région d’Ottawa-Gatineau
grâce aux efforts de Gilles Provost qui a mis en place des bases solides. Vous
découvrirez aussi d’autres personnalités qui ont laissé des traces indélébiles
dans leur communauté : J. Omer Gour dans l’Est ontarien, Jérôme Tremblay
dans la région de North Bay et Simone Lecour Camiré dans la région de
Hearst.
En ce début d’année, pleine de promesses et d’espoir, je vous souhaite bonne
lecture!
Dominique Lajoie
Coordonnatrice du magazine
Le Chaînon tient à remercier le ministère de la Culture de l’Ontario, le ministère du Patrimoine canadien
et l’Oce des aaires francophones de l’Ontario de leur appui au RPFO.
Le Chaînon est er de compter
sur de précieux collaborateurs
réguliers issus d’organismes voués à la
préservation et à la diusion du
patrimoine franco-ontarien :
www.crccf.uottawa.ca
LE CHAÎNON, HIVER 2023 3
NOUVELLES DU RÉSEAU
Cette section met en lumière les réalisations du Réseau du patrimoine
franco-ontarien et certains dossiers importants pour la province.
Mois du patrimoine 2023
Le Réseau du patrimoine franco-ontarien organise,
annuellement, au mois de février, des activités dans le
cadre du Mois du patrimoine en Ontario français. Lethème
retenu pour cette année est :
«Léducation secondaire
en Ontario français ».
Les Prix du patrimoine 2023
Ce thème a été choisi an de commémorer deux jalons
dans l’histoire de l’éducation de langue française dans notre
communauté: les 50 ans des crises scolaires pour l’obtention
de nos écoles secondaires en français, de même que le
25eanniversaire de la création de nos conseils scolaires
francophones actuels.
Tout au long du mois de février, le RPFO a présenté
10batailles, de partout en province, pour l’obtention de nos
écoles secondaires qui ont marqué notre communauté.
Le Mois du patrimoine en Ontario français a été couronné
par une cérémonie virtuelle, le 28 février, où ont été
décernés les Prix du patrimoine du RPFO. Plus de détails sur
les lauréats seront disponibles dans le numéro de l’été 2023.
Le Prix Roger-Bernard est remis, aux deux ans, par le RPFO à
un organisme ou comité communautaire ayant contribué
de façon remarquable à la préservation et à la mise en valeur
d’un ou de plusieurs éléments du patrimoine de l’Ontario
français.
Le Prix Huguette-Parent est remis, aux deux ans, par le RPFO
à une personne ayant contribué de façon remarquable à
la préservation et à la mise en valeur d’un ou de plusieurs
éléments du patrimoine de l’Ontario français.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
4
NOUVELLES DU RÉSEAU
AGA et conseil
d’administration du
Réseau du patrimoine
franco-ontarien
La 42e assemblée générale annuelle du
RPFO, tenue le 29septembre 2022, a permis
d’élire de nouveaux administrateurs et
administratrices. Les membres du conseil
d’administration 2022-2023 du RPFO sont :
Francis Thériault, coprésident
Brigitte Murray, coprésidente
Amadou Ba, vice-président
Dorcas Gnandi, trésorière
Joel Belliveau, secrétaire
Isabelle Bourgeault-Tassé, administratrice
Patrick Breton, administrateur
Félix Saint-Denis, administrateur
Stagiaire d’hiver
Léquipe du RPFO est heureuse d’accueillir
Amélie Binnie, stagiaire jusquen mars 2023,
grâce au programme Carrière vouée au
patrimoine de Jeunesse Canada au travail.
Amélie considère ce poste comme un
retour aux sources. Dans ses expériences
précédentes, cette Franco-Ontarienne de
Toronto et d’Ottawa, a fait la promotion
du patrimoine francophone sur le plan
international auprès de la Bibliothèque du
Parlement et de l’Ambassade de France.
La coordination d’activités patrimoniales à l’échelle provinciale s’avère
donc une nouvelle expérience pour elle. Amélie nous arrive empreinte de
connaissances acquises au cours de ses études en relations publiques à
l’Université d’Ottawa et de sa formation artistique au Centre d’excellence
artistique de lOntario. Dans son présent mandat, elle soccupe du Mois du
patrimoine et souhaite renouer avec la communauté dans laquelle elle a
grandi et envers laquelle elle entretient un fort sentiment d’appartenance.
Comité des conférences
Au moment de sa création, les membres du
Comité des conférences ont décidé que le but
premier de leur regroupement serait d’orir
une opportunité de visibilité et de diusion
provinciale aux organismes membres du
RPFO en les mettant davantage en relation
et en brisant les barrières (géographique
ou autres) an de susciter davantage la
collaboration, l’entraide et le partage.
Présentement, les membres du comité
préparent une programmation de
conférences et sont à la recherche de
contributions. Le Comité des conférences
invite les organismes membres du RPFO
qui voudraient, par exemple, organiser une
conférence, une causerie, un atelier, un panel
ou une table ronde, à leur faire parvenir un
synopsis de leur idée à l’adresse courriel
suivante : agent@rpfo.ca. SVP indiquer le nom
de l’organisme, la région où l’organisme est
établi en province, le titre, le thème, la durée
et la date prévue de l’activité.
Il est également possible de se joindre au
Comité des conférences du RPFO, en tout
temps, en envoyant un courriel à
agent@rpfo.ca.
Comité du patrimoine bâti et religieux
Composé de bénévoles de partout en province, le Comité s’est doté d’un
mandat provincial qui a comme objectif d’œuvrer à la sensibilisation et à
l’éducation dans le domaine du patrimoine bâti et religieux de l’Ontario
français. Le Comité peut également suggérer, prendre des initiatives
ou collaborer avec tous les organismes ou personnes qui œuvrent à la
protection et à la valorisation, à la préservation et à la conservation du
patrimoine bâti et religieux de l’Ontario français.
À l’automne 2021, un premier dossier d’actualité a retenu l’attention des
membres du comité: l’avenir de la Maison Théophile Brunelle, à Lafontaine,
menacée de démolition. Deux lettres ont été acheminées aux autorités
municipales et le Comité a réagi dans une demi-douzaine d’articles parus
dans les médias, francophone comme anglophone. Un nouveau dossier qui
occupe les membres du comité est l’avenir de l’ancienne église Christ-Roi
à Ottawa, qui est présentement en vente. Ils souhaitent une désignation
patrimoniale pour cette église.
Les membres du comité se réunissent mensuellement et continuent
d’accueillir toute personne intéressée par le patrimoine bâti ou religieux
franco-ontarien, particulièrement des régions du Nord ou du Centre-Sud-
Ouest de la province, qui sont issus de la diversité ethnoculturelle ou en
situation de handicap ou qui sont dans la jeunesse. On peut obtenir de plus
amples renseignements en écrivant à l’adresse courriel suivante :
agent@rpfo.ca.
Le Comité invite aussi le public à signaler tout dossier actuel d’intérêt
patrimonial franco-ontarien qui nécessiterait son appui à l’adresse suivante :
agent@rpfo.ca.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 5
NOUVELLES DU RÉSEAU
Par Patrick Breton, directeur général du CFOF
50 ans et toutes ses dents!
Nouvelles de nos partenaires
Pour célébrer ses 50 ans, en 2022, le Centre franco-ontarien de
folklore (CFOF) avait plusieurs projets en place. Nous vous en
présentons deux.
Sur les épaules d’un géant
Une équipe d’amis du CFOF, des anciens membres du conseil
d’administration et d’anciennes directions générales ont travaillé
à développer un album souvenir. Dans le cadre de ce projet, nous
avons réussi à rejoindre une cinquantaine d’anciens collaborateurs,
d’informateurs, de bénévoles ou d’employés et leur avons demandé
d’écrire un témoignage sur le CFOF ou le fondateur, le père Germain
Lemieux, s.j.
Ce livre a été lancé le 14 octobre dernier lors d’un colloque portant
sur le 50e anniversaire du CFOF (dont nous espérons publier les
actes au cours des prochains mois). L’album se veut une collection
de souvenirs de tout genre touchant le CFOF. Le titre Sur les épaules
d’un géant fait référence à une citation du fondateur du CFOF, le père
Germain Lemieux, s.j.
Lors du colloque de 1991, qui célébrait son œuvre, le père Lemieux
indiquait, dans son allocution intitulée Mon projet folklorique,
cinquante ans plus tard : « [Je] voudrais que vous reteniez ceci : je me
considère un peu comme un nain juché sur les épaules d’un géant
muet, et la tête du nain émergeant de la foule, grâce à la charité des
voisins et [des] amis de cet homme fort qui ne peut pas s’exprimer ».
Dans l’avant-propos du livre, Jean-Pierre Pichette précise : « Ainsi,
l’image du « géant muet » symbolisait toutes ces brigades
d’adhérents, mobilisés dans l’ombre, qui, dans la mesure de leurs
moyens, soutenaient l’œuvre du chercheur. Animé de pareilles
dispositions, un groupe d’amis du Centre franco-ontarien de folklore
a résolu de mettre en lumière les innombrables partenaires qui ont
discrètement apporté leur pierre à l’édice du fondateur ». Le livre
vient souligner le travail des 1067 collaborateurs, dont 11 directions
générales, 805 informateurs, 44 assistants, des bénévoles, des
membres de conseil d’administration, des partenaires bailleurs de
fonds, etc.
Diusion de capsules traditionnelles
Depuis le début de l’été 2022, le CFOF diuse sur
sa page Facebook, à chaque semaine, une capsule
vidéo provenant de ses archives, dont une grande
partie est tirée du projet documentaire Mémoires de
la route 11. Ainsi, tout au long de l’année, on célèbre
les traditions et le savoir-faire appris de nos ancêtres.
Quoi de mieux pour célébrer le 50e anniversaire d’un
organisme voué au patrimoine oral franco-ontarien!
Le livre est disponible au CFOF et les capsules
sont diusées sur notre page Facebook.com/
CFOFSudbury.
Bonne lecture et bonne écoute à tous!
LE CHAÎNON, HIVER 2023
6
NOUVELLES DU RÉSEAU
Des nouvelles de l’Association
du patrimoine familial
francophone de l’Ontario
Depuis la tenue de notre 6e AGA, le 25 août dernier, nous n’avons
pas chômé! Notre livre collectif Histoires de famille, contenant une
vingtaine d’histoires rédigées par nos membres, est très populaire.
Nos 100premières copies se sont envolées comme des petits pains
chauds. Nous avons alors pris la décision de faire réimprimer le
collectif. D’autres exemplaires sont maintenant disponibles au coût
de 10 $ auprès de Francine Gougeon au 613-741-6216 ou de notre
secrétaire à l’adresse courriel suivante : apo2015@outlook.com. Vous aimeriez être à l’aût
des activités et des projets de
l’APFFO?
Nous vous invitons à devenir membre de notre
organisme.
Adhésion annuelle : 20 $ pour les adultes
10 $ pour les étudiants
Il est possible de payer en argent comptant, par
chèque ou par virement bancaire.
Formulaire d’adhésion et demandes de
renseignements : apo2015@outlook.com.
Francine Gougeon, présidente-fondatrice
de l’APFFO : 613-741-6216.
Site web : https://apo.org/
Au plaisir de vous servir.
Vous aimeriez vous engager dans
l’APFFO?
Chaque talent contribue à la croissance
orissante de l’APFFO. C’est dans une ambiance
conviviale et chaleureuse que les membres du
conseil d’administration et les membres du
comité de projets se réunissent environ aux
deux mois pour faire progresser les diverses
initiatives ainsi que pour assurer la croissance
de l’organisme.
Pour ce faire, veuillez communiquer votre
intérêt à la présidente, Francine Gougeon, au
numéro de téléphone suivant : 613-741-6216.
Au plaisir de vous compter parmi nous.
LAPFFO est un organisme provincial sans but lucratif
qui œuvre de façon active auprès des familles
franco-ontariennes pour les inciter à sauvegarder, à
transmettre et à communiquer l’héritage familial au
bénéce des générations actuelles et à venir.
Plusieurs activités sont prévues pour célébrer le Mois du patrimoine
à travers toute la province. Pour l’occasion, le jeudi 23 février, notre
organisme a organisé un souper avec les membres et des invités chez
Gabriel Pizza, à Orléans. Nous avons eu le plaisir d’accueillir Christine
Landry Matamoros, une férue d’histoire et de généalogie. Elle nous a
entretenus du quotidien de son aïeule en Nouvelle-France.
Le 22 mars 2023, l’organisme Retraite en Action organise une
rencontre avec quelques-uns des auteurs et des autrices du livre
collectif de l’APFFO pour faire connaitre l’organisme et pour faire
revivre des moments marquants de leur vie. Cet événement sera
en présentiel, à 13h30 au Patro d’Ottawa (40 rue Cobourg). Avis aux
intéressés.
LAPFFO continue ses activités avec ses conférences spéciales, dont
une présentée par Nicole Robert et portant sur les procurations.
Pour connaitre la date et les détails, suivez-nous sur notre site web
(apo.org) et sur Facebook (https://www.facebook.com).
LE CHAÎNON, HIVER 2023 7
Porté disparule 28 janvier 1945:
le mitrailleur Fernand Léo Jolicœur
et l’histoire inachevée
du Lancaster K. B. 770
La Seconde Guerre mondiale aura coûté la vie à 44 090 militaires
canadiens, dont 17 397 de l’Aviation royale du Canada. Le nom de
Fernand Léo Jolicœur s’ajoute à la liste des victimes lorsque son avion
Lancaster disparaît dans le sud-ouest de l’Allemagne, à quelques mois de
la n du conit. L’aviation alliée bombarde alors lourdement la ville de
Stuttgart, dans le Bade-Wurtemberg.
Les nombreux raids nocturnes lancés sur cet important centre industriel
connaissent cependant des pertes tragiques sur lesquelles il reste parfois
à faire la lumière. Le 28 janvier 1945, vers 20 h 40, l’avion de Jolicœur est
touché par la défense allemande, au sud de Stuttgart. Les moteurs en feu
du bombardier de la Royal Canadian Air Force tracent sa descente dans
la nuit. Le vol lourdement décéléré du Lancaster traverse les hauteurs de
la petite ville de Waldenbuch avant de tomber en pleine forêt, à environ
un kilomètre de la zone habitée alors plongée dans l’obscurité du
couvre-feu.
Six membres d’équipage du K. B. 770.
Fernand Léo Jolicœur est marqué d’une croix.
Photo: Bibliothèque et archives Canada.
Jean-Pierre Gendreau-Hétu
est linguiste et possède
une scolarité de doctorat
de l’Université de Montréal.
Originaire de Québec, il
s’intéresse à la population
laurentienne avec un intérêt
particulier pour les noms de
lieux et les noms de famille, sous
l’angle des données génétiques
notamment. Il a développé une
expertise pour la généalogie par
ADN qui se traduit, depuis une
décennie, par des conférences et
des publications, dans le cadre
universitaire autant que pour un
large public.
Jean-Pierre Gendreau-Hétu
LA GRANDE HISTOIRE
Cette section traite de sujets qui touchent une histoire plus large. Ces
articles ont non seulement des liens avec la francophonie, mais leurs sujets
peuvent aussi dépasser les frontières de l’Ontario.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
8
Sept membres d’équipage, six Canadiens et un Gallois,
sont à bord du Lancaster K. B. 770. Le bombardier
s’est envolé de l’aéroport de Teesside, une importante
base militaire située dans le nord de l’Angleterre.
Fernand Léo Jolicœur est le plus jeune à bord, avec ses
20 ans tout juste révolus le 10 décembre précédent. Le
natif d’Ottawa est le cadet d’une fratrie de 13 enfants
élevés aux abords de la rivière Rideau. Leur maison,
aujourd’hui disparue, était sise au 635 de la rue
Saint-Patrick : la cour arrière donnait sur le vieux
pont piétonnier de l’île Porter. Fernand a deux frères
qui combattent aussi en Europe, Roger et Jean-Louis.
Si ceux-ci survivent à la guerre, non sans y laisser
beaucoup de leur santé, le sort du jeune aviateur
continuera cependant de hanter la famille, restée aux
prises avec plusieurs interrogations.
Le 31 janvier 1945, un télégramme de la Canadian
Pacic parvient à « MRS J GENDREAU » et apporte
à la famille la terrible nouvelle : « REGRETTE VOUS
APPRENDRE QUE VOTRE FRERE R DEUX ZERO QUATRE
ZERO DEUX SEPT LE SERGENT DE SECTION FERNAND
LEO JOLICŒUR EST PORTE DISPARU APRES DES
OPERATIONS AERIENNES OUTRE MER LE VINGT NEUF
JANVIER [sic]1 ». Les années n’apporteront pas les
réponses attendues, et cette disparition se doublera
de confusion quant à l’identication des victimes. La
famille est bouleversée. Brisée de douleur, la mère
de Fernand meurt le 16 février suivant. Un court
métrage familial, tourné en 1938, promettait pourtant
des temps plus heureux2 : le 4 juillet de cette année-là,
le mariage de Rosaline Jolicœur et Joseph Camille
Gendreau réunissait les parentés des époux à l’église
Sacré-Cœur, puis à la propriété familiale d’été située
1 Voir la photo du télégramme.
2 Archives de famille. Secondes 52-55 d’un lm mis en ligne par Philippe
Gendreau et diusé sur la chaîne Youtube. https://www.youtube.com/
watch?v=GhYk1_QnD8E&ab_channel=GendreauBergeron, [consulté le
26 mai 2022].
à Manotick, au sud d’Ottawa. Le lm en capte les
réjouissances et une émouvante séquence, croquée
au passage, distille la complicité qui unit « la petite
mère » Rosaline à son plus jeune frère, Fernand.
Près de 12 ans séparaient la mariée de ce petit frère
enlevé par la guerre. Les époux Gendreau et Jolicœur
quitteront la capitale, en 1950, pour s’établir à Québec.
Quatre enfants y grandissent, puis les enfants de ceux-
ci. L’auteur appartient à cette dernière génération,
nourrie des condences de sa grand-mère maternelle
sur un drame de guerre inachevé. Sans doute est-il
revenu à Rosaline quelque chose de Fernand dans
son rapport avec ses enfants, puis avec ses petits-ls
les plus âgés, dont elle s’est tendrement occupée.
L’un d’eux est resté habité par le sort du grand-oncle
abattu et a voulu en savoir plus, alors que les progrès
techniques facilitaient dorénavant la réouverture
du dossier. Près de huit décennies après les faits, de
précieuses collaborations ont permis de découvrir
de nouveaux éléments sur l’écrasement du Lancaster
K. B. 770.
À la recherche du site de l’écrasement
Le bombardier Lancaster K. B. 770 appartient à
l’escadron connu sous le nom de 428e Escadron de
bombardiers, aussi appelé 428e Escadron fantôme.
Cette formation de l’Aviation royale canadienne,
basée à Teesside, dans le Yorkshire, en Angleterre,
rassemblait des bombardiers de nuit engagés dans
des bombardements stratégiques. Le 28 janvier 1945
marque le dernier raid des bombardiers de la Royal
Air Force sur la région de Stuttgart, au sud-ouest
de l’Allemagne. La météo n’est pas propice à cette
opération et contraint les navigateurs à de longs
détours. Les conditions de vol difciles provoquent
des écrasements et mettent plusieurs bombardiers en
danger. Une première vague déferle dès l’obscurité,
entre 20 h 35 et 20 h 54, puis une seconde, entre 23 h 30
et 23 h 48. La mission mobilise un total d’environ
800 bombardiers, dont 539 atteignent leurs objectifs.
Approximativement 10 500 explosifs et bombes
incendiaires sont largués.
Les victimes au sol de ce raid du 28 janvier se chiffrent
à 119 morts et 78 blessés. Les dommages provoqués
privent d’abri environ 5500 personnes. De son
côté, la mission du bombardier Lancaster K. B. 770
tourne mal et se termine dans la forêt de Lindhalde,
à l’ouest de Waldenbuch. Les archives militaires
du Canada en conservent la description des faits.
L’enquêteur C. B. Parsons mentionne, dans un courrier
LA GRANDE HISTOIRE
Télégramme annonçant la disparition de Fernand Léo Jolicœur.
Photo: Archives familiales.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 9
LA GRANDE HISTOIRE
du 18 avril 1947, plusieurs éléments entourant cet
écrasement dont on voulait maintenant relocaliser les
victimes. Les morts des armées du Commonwealth
sur le territoire allemand doivent alors être exhumés et
identiés en vue de leur rassemblement au cimetière
militaire de Dürnbach, en Bavière. L’ofcier Parsons se
trouve en l’occurrence chargé de repérer les dépouilles
de l’équipage du Lancaster, que les autorités locales
signalent avoir enterrées au cimetière de Waldenbuch,
le 1er février 1945, à 8 h 30.
C. B. Parsons explique sa décision de ne pas se rendre
en forêt de Lindhalde, puisque presque plus rien
de l’avion ne resterait sur les lieux de l’écrasement.
Le métal aura vite été récupéré par l’industrie de
guerre allemande en crise d’approvisionnement.
Rien dans les archives n’aura au nal permis de
localiser l’emplacement précis où s’est achevé le vol
du Lancaster K. B. 770 ainsi que la vie de plusieurs
des hommes à son bord. Cette question, envisagée
sans succès par l’auteur en 20143, a pu cependant
compter sur le relais crucial de Wolfgang Härtel, du
groupe de recherche Alt-Waldenbuch. Ce spécialiste
d’histoire locale s’est intéressé au sort du Lancaster
aussitôt qu’il a été informé des recherches en cours.
Härtel a d’emblée demandé à consulter les photos
aériennes prises de la région vers la n de la guerre.
L’analyse de ces photos s’est toutefois révélée vaine,
3 « Missing, presumed – but never proven? – dead? », article du Ottawa
Citizen du 6 juillet 2014. https://ottawacitizen.com/news/local-news/
missing-presumed-but-never-proven-dead, [consulté le 6 décembre
2022].
en raison de leur trop basse dénition. Les environs
de Waldenbuch ne devaient pas représenter un intérêt
militaire sufsant pour justier des images de grande
précision.
À défaut de documentation archivée sur l’endroit dans
la forêt de Lindhalde où était tombé le Lancaster K.
B. 770, il restait à consulter la population de laquelle
émaneraient peut-être quelques informations. Il fallait
croire que le caractère spectaculaire de cet événement
avait dû marquer les esprits du temps, et c’est le
pari qu’a lancé Wolfgang Härtel avec son collectif de
recherche. En février 2021, trois journaux des environs
et la page Facebook du groupe « Waldenbuch » ont
repris le cas du bombardier allié, avec l’espoir de
remuer les mémoires et de reconnaître l’emplacement
de son écrasement : le nombre de réactions à cet
appel a largement dépassé les attentes, alors que plus
de 30 témoins se sont exprimés! Parmi eux, Ursula
Niebel, âgée de 92 ans, dont le vif souvenir d’un seul
regard s’avère bouleversant.
De précieux témoignages
Wolfgang Härtel a organisé le travail de terrain,
conduit l’enquête et recueilli sur place les témoignages
à propos du Lancaster K. B. 770. Un grand mérite
revient à Alt-Waldenbuch d’avoir ainsi sauvé de l’oubli
des expériences qui ont pourtant marqué l’enfance
de plusieurs Allemands. Les souvenirs récoltés chez
les plus âgés contrastaient avec la surprise de la
plupart des habitants de la ville et de ses environs,
qui ignoraient tout du géant des airs tombé au-dessus
Lieu de l’écrasement du K. B.770
dans la forêt de Lindhalde, à l’ouest
de Waldenbuch. Image créée par
Wolfgang Härtel.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
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la ville en 1945. Le comble de la situation revenait au
garde-forestier de Lindhalde, récemment retraité, qui
n’avait jamais entendu l’histoire de ce bombardier,
malgré une carrière passée à arpenter cette forêt!
La vieille génération pouvait libérer sa parole et se
remémorer l’événement, chacun à sa façon. L’appel a
déclenché nombre de souvenirs enfouis, ajoutant pêle-
mêle nombre d’informations évocatrices. Le caractère
souvent personnel de ces récits signale l’urgence qu’il
y avait de les consigner, comme l’illustre la sélection
des témoignages qui suit.
Ursula Niebel, de Waldenbuch, née en 1929 : « J’étais
avec mes amis et nous suivions le sentier de la forêt
vers le lieu d’écrasement. Je me souviens de la vue
d‘un aviateur mort, gisant au sol. Son corps était
couvert d’un parachute. J’ai soulevé une portion de la
toile et j’ai aperçu le visage d’un très jeune homme. Je
ne suis pas retournée à la carcasse de l’avion. »
Hans Hartmann, de Waldenbuch, né en 1936 : « Le
soir en question, j’étais un garçon de neuf ans, qui se
trouvait avec sa famille à l’abri chez le voisin, au sous-
sol, parce que des bombardements continus étaient
prévus. Nous n’avons donc qu’entendu l’écrasement
de l’avion. Ce fut un gros bruit. L’écrasement avait
eu lieu tout près, pas très loin de notre grange. Mon
père et moi nous y sommes rendus après coup. Il
ne restait que des parties de l’avion, un moteur et
différentes composantes. Nous avons récupéré des
vis, puisqu’elles se faisaient rares à l’époque. Ces vis
ne convenaient malheureusement pas, comme leur
fabrication répondait au système impérial anglais. »
Hermann Adam, de Plieningen, né en 1936 : « L’avion
se déplaçait de l’est vers l’ouest, et volait très bas
et lentement. Il était criblé de tous les côtés. Par la
défense antiaérienne allemande, apparemment.
La DCA se trouvait à Leinefelden et aux abords de
l’aéroport. Il a alors pensé que l’avion ne pourrait
se rendre loin. On pouvait voir que l’avion peinait.
Il était déjà atteint. Il a poursuivi sa route, droit sur
Waldenbuch. Les moteurs n’étaient cependant pas
encore en feu. »
Helmut Hanselmann, de Steinenbronn, né en 1930 :
« Le lundi à midi nous avons couru de Steinenbronn à
Waldenbuch jusqu’au lieu de l’écrasement de l’avion.
Le nez de la carcasse pointait vers la route de Weil
im Schönbuch. Il y avait des soldats partout. La trace
laissée par l’écrasement est restée visible pendant des
années. »
Résultats matériels de la recherche
Le collaborateur Wolfgang Härtel remarque que les
journaux locaux n’ont jamais fait état de l’écrasement
de ce bombardier et du sort de son équipage. La
censure de guerre exigeait sans aucun doute ce silence.
Plusieurs témoins mentionnent néanmoins que, par
la suite, les habitants de Waldenbuch ont fréquenté le
site de l’écrasement et que quantité de morceaux de
l’avion ont ainsi disparu des lieux. On raconte, entre
autres, que de grands réservoirs ont été récupérés par
des fermiers, et qu’ils les ont utilisés comme barils à
fumier. Quant à la carcasse de l’avion, on sait que la
Wehrmacht est rapidement intervenue pour la dégager
de la forêt. La connaissance de l’événement s’est
néanmoins perpétuée grâce à quelques individus. Un
habitant de Waldenbuch, qui a demandé l’anonymat,
s’est en particulier intéressé au site de l’écrasement au
tournant des années 2000.
Sous le sceau de la condence, cet amateur d’histoire
militaire a raconté avoir réalisé, il y a deux décennies,
un balayage magnétique du terrain où s’était
immobilisée la carcasse de l’avion. Cette opération lui
avait alors permis de recueillir plusieurs pièces. Ce
passionné, toujours à l’affût des reliques d’aviation
de la Seconde Guerre mondiale, a conclu que la partie
centrale du Lancaster K. B. 770 avait dû brûler, au vu
des indices observés au sol. La section de la queue
de l’avion devait, en revanche, avoir été assez bien
préservée. Une grande quantité d’éclats métalliques
parsemait encore les lieux. On a trouvé également des
fragments de plexiglas probablement de la cabine de
pilotage et d’une tête pivotante, sans doute celle de
la position de tir inférieure. La morphologie des lieux
suggère que l’avion aurait perdu son erre d’aller et
chuté comme une masse. Il serait tombé presqu’à plat,
sans dérapage.
Aux dires d’un autre témoin, Ernst Kayser, maintenant
décédé, les deux ailes avaient peu été touchées. On a
emporté ces ailes, en février 1945, en les faisant glisser
par la pente vers le nord, jusqu’à la route de la forêt.
Ces témoignages de contemporains de l’événement
et les traces matérielles permettaient nalement
d’identier avec la plus grande conance l’endroit où
s’était écrasé le Lancaster K. B. 770. L’inspection du
terrain est venue conrmer cette conclusion. Wolfgang
Härtel a dirigé un nouvel examen, par détection
métallique, qui lui a permis de recueillir sur place
quelques pièces ensuite identiées par des spécialistes
comme composantes intégrantes du Lancaster.
LA GRANDE HISTOIRE
LE CHAÎNON, HIVER 2023 11
Un mémorial de guerre a été inauguré dans la forêt de
Lindhalde le 17 mars 2022 et il se trouve à proximité
du site exact de l’écrasement qui sera toutefois gardé
condentiel an de favoriser la conservation des lieux.
La plaque historique, posée par la municipalité de
Waldenbuch, rappelle désormais cette page d’histoire,
à la fois locale et internationale, de la Seconde Guerre
mondiale.
Deux survivants gravement blessés
L’équipage habituel d’un Avro Lancaster se
composait de sept membres : le pilote, le navigateur,
le bombardier, le mécanicien navigant, l’opérateur
radio et deux mitrailleurs. Les tirs de la défense
allemande qui ont eu raison du K. B. 770 n’ont épargné
personne à bord. Les hommes se retrouvent touchés à
différents degrés. Le navigateur Robert L. Stapleford
et le mitrailleur arrière Edward F. Ossington s’en
tirent cependant mieux que les autres membres
d’équipage et parviennent à s’échapper en plein vol
de leur avion en dépit de leurs blessures. Les deux
aviateurs se retrouveront, par la suite, à l’hôpital
d’Esslingen am Neckar, au sud-est de Stuttgart, an
d’y recevoir des soins appropriés. L’auteur se doutait
que des témoignages pourraient avoir subsisté de ces
deux rescapés, à la condition évidente que Stapleford
et Ossington aient eu des familles à qui se coner...
Ces efforts d’identication ont porté fruit et permis
la communication de souvenirs autour de ce vol
fatidique du K. B. 770. Mais il aura d’abord fallu
découvrir que ces deux aviateurs sont retournés au
Canada à la n de la guerre et qu’ils y ont fondé des
foyers.
Robert L. Stapleford s’est marié en 1949 et
trois enfants sont nés de cette union. On se souvient
des condences à ses proches au cours desquelles il
disait avoir été aspiré hors de l’avion en perdition. Le
parachute du navigateur blessé s’est alors engouffré
dans le ciel noir de janvier. Le Canadien mal en point
n’a pas oublié le vieux couple d’Allemands venu le
trouver au sol, peut-être alerté par la n de course
désespérée du bombardier. Prenant leur courage à
deux mains, ils ont ramené l’aviateur ennemi chez eux
pour lui prodiguer les premiers soins. Les recherches
en vue d’identier ce couple n’ont malheureusement
pas abouti. Au petit matin, ces valeureux habitants ont
discrètement laissé Stapleford à la porte de l’hôpital
local, où il a été trouvé... gisant dans une brouette. Les
blessures du Canadien l’ont rapidement conduit à la
table d’opération. L’aviateur était touché au niveau
des genoux, des mains et du fessier par des éclats
de shrapnel. La tradition orale chez les Stapleford
témoigne d’un fait troublant : le chirurgien allemand
aurait glissé une arme dans la main du Canadien
blessé et lui aurait intimé de se suicider si la Gestapo
devait se pointer. Le détail est évocateur, surtout
qu’une source militaire indique que des soldats
Waffen-SS auraient passé Stapleford à tabac, par la
suite4.
Robert L. Stapleford a par après été interné au nord
de Francfort, dans un camp central d’interrogation
nommé Dulag-Luft-West. Cet établissement carcéral,
situé dans la petite ville de Wetzlar-Klosterwald, a
rassemblé tous les aviateurs alliés abattus et faits
prisonniers par les forces allemandes sur leur sol.
Le navigateur du Lancaster K. B. 770 sera libéré
par l’armée américaine, en avril 1945. Le retour de
Stapleford en Grande-Bretagne s’est accompagné
d’un compte-rendu de l’écrasement qui ne semble pas
avoir été conservé. Les communications de l’Aviation
royale du Canada avec la famille Jolicoeur font, par
contre, référence à plusieurs éléments de ce document.
Le témoignage livré par le navigateur mentionne
notamment que cinq des membres de l’équipage se
sont écrasés avec l’avion et n’ont probablement pas
survécu. On y apprend qu’à l’hôpital les Allemands lui
ont présenté en guise de preuves du décès une veste
et un anneau provenant de son camarade Fernand Léo
Jolicœur.
Décédé en 1990, l’ancien combattant Stapleford
s’est toujours souvenu avec reconnaissance de la
courageuse aide fournie par des inconnus la nuit de
l’écrasement. Le secours porté par ces bonnes âmes
aura sauvé une vie qui s’est multipliée depuis.
Le mitrailleur arrière Edward (Ted) Ossington a
quant à lui pu se parachuter dans les environs de
Nellingen. Les archives de l’hôpital d’Esslingen am
Neckar mentionnent son nom, le 31 janvier 1945, en
lien avec des opérations chirurgicales. On y indique
que le Canadien est blessé à la cheville par des éclats
de shrapnel. Le mitrailleur est aussi demeuré en
Allemagne quelque temps comme prisonnier de
guerre, jusqu’à sa libération et son retour au Canada.
Ossington est mort en 1978 à l’âge de 60 ans. Ce retour
inattendu sur l’écrasement du Lancaster K. B. 770 a
amené Rita Ossington, belle-lle de Bryan, second ls
de Ted Ossington, à se coner sur les traumatismes
4 Historical Section of the Royal Canadian Air Force, The R.C.A.F. Overseas.
The Sixth Year, Toronto : Oxford University Press, 1949, p.117.
LA GRANDE HISTOIRE
LE CHAÎNON, HIVER 2023
12
vécus : « Comme tant d’autres, le rappel de la guerre
lui revenait chaque jour par ces éclats de shrapnel
dans les jambes et comment ces blessures pourraient
guérir, ainsi que tous ces souvenirs qu’il n’a pas voulu
partager. »
Membres de l’équipage qui ne sont pas
revenus
1. John Wilfred Blades (J.35935), opérateur radio/
mitrailleur d’aviation (Wop/AG), lieutenant
d’aviation, Canadien, Aviation royale du Canada,
35 ans. Fils de W. Blades, époux de Christina
Hawthorne, Fort William, Ontario, Canada.
2. Reginald William Gullick (1895420) mécanicien
navigant (F/E), sergent, Britannique, volontaire
de la réserve de la Royal Air Force, 31 ans. Fils
de William Gullick et Ellen Gullick, de Newport,
Monmouthshire, Pays de Galles, Grande-Bretagne.
3. Fernand Léo Jolicœur (J.95345 / R204027)
mitrailleur dorsal/mitrailleur d’aviation (MU/
AG), sergent de section, Aviation royale du
Canada, Canadien, 20 ans. Fils de Arthur et
Eugénie Jolicœur, d’Ottawa, Ontario, Canada.
4. Harry Leslie Kay (C/888) Pilote, chef d’escadrille
de l’Aviation royale du Canada, Canadien,
32 ans. Fils du Dr. Amos Frank Kay et de Carolyn
Kay; époux de Ruth Norma Kay, de Pittsburgh,
Pennsylvanie, États-Unis. Le sort a voulu qu’il
soit tué lors de sa première mission comme chef
d’escadrille.
5. Gerald Joseph Liney (J.40040), bombardier
d’aviation (A/B), lieutenant d’aviation, Canadien,
âge inconnu. Enrôlement dans l’Aviation royale
du Canada en 1941. Fils d’Isabella Liney et de John
Liney, Toronto, Ontario, Canada.
La documentation archivée par les armées alliées
précise que des membres de la Luftwaffe et de la
police locale se sont rapidement présentés sur les lieux
de l’écrasement et en ont bouclé le site. Les aviateurs
décédés ont été enterrés au cimetière de Waldenbuch,
dans un grand cercueil commun, trois jours après
l’écrasement. Ces restes ont toutefois été exhumés,
en 1947, an qu’ils soient transférés au cimetière
militaire de Dürnbach, près du lac de Tegernsee, en
Bavière, où reposent depuis les dépouilles recueillies.
L’auteur s’interroge néanmoins quant au véritable
lieu de repos de son grand-oncle Fernand. La grand-
mère de l’auteur, Rosaline Jolicœur, n’a jamais été
convaincue de l’identication de son frère, et l’étude
de la documentation pourrait lui donner raison, car
une incohérence signicative en ressort.
La comparaison des documents d’archives de
Waldenbuch et du Commonwealth révèle que le
nombre de corps inhumés varie. L’exhumation des
restes, réunis dans un seul cercueil à Waldenbuch,
a mené à leur transfert au cimetière militaire
de Dürnbach. Or, le registre des sépultures de
Waldenbuch en 1945 constate l’enterrement de
quatre corps, un total d’ailleurs repris par le rapport
d’enquête de la commission alliée en 1947. On compte
cependant cinq noms inscrits à la fosse commune
de Dürnbach. Il ne semble pas certain, à la lumière
de cette contradiction, que les dépouilles de tous les
aviateurs du Lancaster K. B. 770 se trouvent bel et
bien dans la fosse commune à Dürnbach : comment
cinq individus peuvent-ils s’y trouver quand on n’en
comptait que quatre à Waldenbuch? Il faut s’étonner
que les autorités du Commonwealth, en 1948, arrivent
à un compte différent de celui des témoins allemands,
en 1945.
On ne peut pas, par contre, douter que les quatre
corps inhumés à Waldenbuch appartiennent bien à
l’équipage du Lancaster K. B. 770. On sait, en outre,
qu’un seul corps a été sorti du bombardier avant
que les ammes n’engouffrent la carcasse. Tout
indique que cet aviateur était Fernand Léo Jolicœur,
en raison de ses possessions récupérées et montrées
à Robert L. Stapleford par les forces allemandes.
Ce fait prouve que les objets en question avaient
échappé au brasier. Le rapport de Parsons signale
de surcroît que le corps de Jolicœur (alors identié
par erreur comme « Wagmann ») « was not badly
burnt ». Cette identication de Jolicœur concorde,
d’autre part, avec le touchant témoignage de Ursula
Niebel, restée marquée par le souvenir du jeune visage
découvert sous le parachute. On doit en déduire que
les autres aviateurs à bord ont brûlé avec l’incendie
qui a consumé l’avion, à la suite de l’explosion des
munitions.
Seules des analyses génétiques pourraient faire
la lumière sur le mystère du cinquième corps, si
seulement il était possible de recourir aux données
ADN. Les armées du Commonwealth ne pratiquent
toutefois pas cette identication posthume si un corps
possède déjà sa sépulture, qu’elle soit individuelle ou
commune. L’auteur et sa parenté ont néanmoins tenu
LA GRANDE HISTOIRE
LE CHAÎNON, HIVER 2023 13
LA GRANDE HISTOIRE
à établir le prol génétique de leur parent disparu si la Commonwealth
War Graves Commission devait, un jour, se pencher sur cette énième
énigme de la Seconde Guerre mondiale. Ce prol subsiste au sein de la
parenté Jolicœur grâce au recoupement ADN du chromosome Y et des
mitochondries. Personne n’aime se rendre dans un cimetière militaire
sans avoir la conviction que s’y trouve vraiment celui qui est tombé
au combat. Le lieu de l’écrasement du K. B. 770 aura, néanmoins, été
identié avec précision et la forêt de Lindhalde peut désormais libérer la
charge émotive dont elle est investie.
En août 2021, l’auteur s’est d’abord rendu à Waldenbuch pour y
reconnaître les lieux et faire la connaissance de Wolfgang Härtel, qu’il
n’avait jusque-là connu qu’à distance. L’auteur et son collaborateur
Témoignage de l’auteur sur le site de l’écrasement. Photo : Marcus Fichtl, US Army Garrison, Stuttgart.
Rencontre en septembre 2022 : l’auteur en compagnie de R. Stapleford (casquette) et W. Härtel (béret).
Photo: Stephanie Schlecht.
allemand se sont revus en
septembre 2022, cette fois pour
recevoir l’Ontarien Robert
Stapleford, un des ls du
navigateur dont la descendance
n’avait été localisée qu’avec peine
au cours des mois précédents. Des
proches des aviateurs Jolicoeur et
Stapleford ont alors pu s’émouvoir
de la plaque commémorative
du K. B. 770 et remercier les
autorités de Waldenbuch d’avoir
publiquement immortalisé cette
page d’histoire.
L’événement avait toutefois
acquis une nouvelle résonance
entre les deux séjours de l’auteur.
Cet hommage à l’équipage du
Lancaster survenait 75 ans après
que le malheur eut frappé, mais les
victimes de 1945 n’apparaissaient
soudainement plus si lointaines
maintenant qu’on meurt en Ukraine
dans le contexte d’une nouvelle
guerre. Se souvenir des guerres
d’hier semble plus nécessaire que
jamais si le rappel de l’horreur peut
servir à désamorcer les humeurs
guerrières de l’humanité.
Remerciements
Mes rencontres à Waldenbuch
avec Wolfgang Härtel ont
permis de sceller une relation
de travail qui en est devenue
une d’amitié, non seulement
entre deux individus, mais entre
deux familles. Cette recherche
lui doit beaucoup, ainsi qu’à
l’équipe de chercheurs et
de généreux témoins quil a
mobilisée. Tous ont enrichi,
avec brio, les travaux solitaires
amorcés par l’auteur. Les
lecteurs sont invités à visiter
en ligne le récit de cette étude
diusé par le blogue
Alt-Waldenbuch.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
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La Sirène du
lacSupérieur
Tous ceux qui ont été en mer, sur les eaux, sur les lacs ou au long des
euves et des rivières, ont vu des sirènes. Christophe Colomb, en avait
vu au large de la baie d’Hispaniola1 et le note dans son journal, tout en
s’étonnant qu’elles n’eussent quand même pas la ressemblance avec
la femme que les auteurs et les peintres ont coutume de leur prêter.
Henry Hudson en a aussi vu quand il cherchait dans l’Arctique le «
passage du Nord-Ouest » qui devait mener jusqu’en Chine2; ou encore
William Munro, instituteur à Thurso, au nord de l’Écosse dont le Times
de Londres, dans son numéro du 8 septembre 1809, publiait sa lettre
il afrmait avoir vu, sur la plage de Caithness, une sirène. Il la
décrivait longuement, en détail, avant
d’ajouter pour terminer: « Si mon récit
peut contribuer à établir la réalité d’un
phénomène que les naturalistes ont
jusqu’à présent persisté à considérer comme
imaginaire, ou à ébranler le scepticisme
de ceux qui nient par principe tout ce qui
dépasse leur entendement, je m’estimerai
largement récompensé3 ». Quant aux voyageurs
qui remontaient, autrefois, le euve Saint-Laurent
vers les pays d’en haut, ils afrmaient aussi en avoir vu,
ou cru voir, ou en tout cas en avoir entendu parler, rapporté
et afrmé par un des leurs qui, lui, l’avait vue, de ses
yeux vus, la sirène du lac Supérieur. Il est vrai aussi
qu’un voyageur n’a jamais vu de petit loup! Bref,
voilà beaucoup de témoins oculaires, cependant, pour
ce qui n’existerait que dans notre imagination.
Au point même que Venant Saint-Germain, un des
voyageurs les plus chevronnés,
qui avait passé près de 30 ans
dans les pays d’en haut, retiré
sur sa seigneurie des îles Bouchard
et membre du Beaver Club qui
réunissait l’aristocratie des Westerners4,
se crut obligé de sortir de sa retraite pour
demander à témoigner ofciellement de ce
qu’il avait vu, 30 ans plus tôt, un jour de mai 1782.
1 Aujourd’hui c’est l’île où se trouve Haïti et la République dominicaine.
2 Douglas Hunter, «Henry Hudson», Encyclopédie canadienne, https://www.
thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/hudson-henry, [consulté le 18 décembre 2022].
3 Cette lettre de William Munro fut publiée dans l’édition du The Times, du 8 septembre 1809.
4 LeBeaver Clubest unclub socialfondé en 1785 à Montréal par laCompagnie du Nord-Ouest. Il
regroupait des marchands principalement anglophones mais également francophones engagés
activement dans latraite des fourrures. Il cesse d’exister en 1827. «Beaver Club», Wikipédia, https://
fr.wikipedia.org/wiki/Beaver_Club, [consulté le 18 novembre 2022].
Alain Nabarra
Photo tirée de
Pixabay.
Professeur émérite et ancien
directeur du Département
des langues de l’Université
Lakehead à Thunder Bay,
diplômé de la Sorbonne,
Alain Nabarra est spécialiste
du 18esiècle, de l’histoire de
l’écrit et notamment de
celui des journaux et autres
publications périodiques.
Il s’est aussi attaché à
découvrir, à retrouver et à
faire connaître le riche passé
francophone du Nord-
Ouest de l’Ontario.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 15
« Le 13 novembre 1812, devant les Honorables P. L. Panet et J. Ogden, juges de la Cour du Banc
du Roi pour le district de Montréal, est comparu à sa demande, Monsieur Vernance Lemaire dit
Venant St Germain, marchand-voyageur à Repentigny, qui, après avoir prêté solennellement
serment, a déclaré ce qui suit5 :
Le 3 mai 1782, j’avais pris le chemin du retour. J’étais parti le matin du Grand Portage, en route
pour Michilimakinac, et nous arrivions à la pointe sud de l’île Pâté. Nous décidâmes – j’avais trois
voyageurs avec moi, trois Canadiens qui conrmeront mes dires, plus une vieille Amérindienne
qui m’avait demandé passage dans mon canot; nous décidâmes donc de nous arrêter dans l’île et
d’établir le camp sur la petite plage au pied de la falaise faisant face au sud. Le temps était clair
et serein, doux, sans vent. Je décidais d’aller tendre quelques lignes. Revenant au camp, un peu
après que le soleil se fut couché, je débarquais, et, me retournant machinalement vers le lac, j’ai
aperçu dans l’eau, à à peu près un arpent, ou trois quarts d’arpent de moi, une forme, un animal
peut-être, sans doute, bien que la partie supérieure du corps, hors de l’eau, m’apparut exactement
formée comme dans l’espèce humaine. J’eus comme un sursaut; puis, revenant de ma surprise, je
m’avançais jusqu’au bord de l’eau pour l’examiner avec soin. Le corps de cet animal me parut de
la grandeur de celui d’un enfant de sept à huit ans. Il avait un bras élevé en l’air, et sa main me
parut composée de doigts absolument semblables à ceux de l’homme. Tandis que son bras droit
était ainsi tenu en l’air, le gauche était caché sous l’eau, en apparence, me semblait-il, comme
appuyé sur la hanche. Je vis bien la face et les traits de… cet animal; ils ressemblaient exactement
à ceux d’un visage humain. Les yeux étaient très très brillants; le nez petit, mais bien formé; la
bouche et les oreilles également bien formées, et proportionnées au reste du visage. Le teint était
foncé, noirâtre, un peu comme celui d’un jeune noir. Je n’ai pas pu voir s’il avait des cheveux;
plutôt ça me semblait, sur le haut de la tête, comme une substance laineuse, d’un pouce à peu
près de long; là encore un peu comme les cheveux crépus des Noirs. L’animal, la créature, me
regardait directement, en face, avec un air qui indiquait à la fois la crainte et la curiosité. Mes
trois autres compagnons et la vieille femme, me voyant immobile, tourné vers le lac, s’étaient
eux aussi approchés; et on l’a ainsi examiné, tous les cinq, pendant l’espace de trois à quatre
minutes. Brusquement, je me suis, disons, comme réveillé, en pensant qu’il fallait absolument en
avoir le cœur net, prendre, capturer, s’il était possible, cet animal. Je suis allé chercher mon fusil,
qui était chargé, et j’allais tirer quand la vieille femme courut à moi et, avec violence, s’accrocha
à mes bras, détournant le canon et m’empêchant de tirer. Pendant ce temps, la créature, sans
changer d’attitude, passa sous l’eau, et disparut, pour ne plus se montrer. J’étais furieux, mais
l’Amérindienne l’était encore plus. Indignée de mon geste, de l’audace que j’avais eue de vouloir
tirer sur celui qu’elle appelait le ‘Dieu des Eaux et des Lacs’, elle se répandait en invectives et
en reproches amers, me traitant de tous les noms et afrmant que cet affront allait provoquer la
colère du dieu Manitou Niba Nabais, c’est ainsi qu’ils l’appellent dans leur langue que je parle
couramment. Manitou Niba Nabais allait, disait-elle, déclencher une tempête si violente qu’on
allait tous périr, que notre camp allait être détruit, que tout serait emporté par les vagues, puis
rejeté, mis en pièces sur les rochers. Affolée, elle ramassa ses quelques affaires et commença à
grimper sur les rochers, essayant de se soustraire au danger en montant le plus haut possible,
jusqu’à la falaise à pic. Quant à moi, méprisant ses menaces, je demeurai, tranquillement, avec mes
5 Une version du procès-verbal fut publiée dans le numéro 6, de novembre 1826, de la Bibliothèque canadienne ou Miscellanées historiques, scientiques et
littéraires. Venant St Germain, comme la plupart des responsables de la Compagnie, tenait un journal, ce qui explique la précision de son témoignage
devant la Cour, près de 30 ans plus tard.
LA GRANDE HISTOIRE
LE CHAÎNON, HIVER 2023
16
LA GRANDE HISTOIRE
hommes, là où l’on avait décidé de camper, et l’on se prépara à passer la nuit sur la plage, au pied
des rochers, abrités sous notre canot renversé. Mais entre 10 et 11 heures du soir, alors que nous
étions déjà endormis, nous fûmes brusquement réveillés par un fort roulis des vagues accompagné
d’un coup de vent si violent qu’on avait peine à se relever et tenir debout. Nous ramassâmes
quelques affaires et, tant que bien que mal, nous montâmes plus haut sur la grève, jusqu’aux
rochers, derrière lesquels on se mit à l’abri; enn un abri si l’on veut, car chaque fois que les vagues
déferlaient et venaient se briser sur le rocher, le ressac nous giait et nous inondait des pieds à la
tête. On ne pouvait que se recroqueviller, se serrer en boule, prier et attendre jusqu’à tant que ça
veuille bien s’arrêter. La tempête dura trois jours et trois nuits de suite, sans jamais diminuer de
violence. Trois jours et trois nuits pendant lesquels nous ne pûmes ni dormir, ni manger, ni encore
moins nous protéger des attaques du vent et de la pluie.
Voilà, par Ste Anne6, je vous le jure, c’est ce qui s’est passé et comment j’en garde encore
dèlement le souvenir, comme si c’était hier. »
6 La patronne des voyageurs qui, avant chaque grand voyage, sarrêtaient, traditionnellement, à la chapelle qui lui était dédiée, avant de partir pour les
pays d’en haut.
Partie occidentale de la Nouvelle France ou du Canada pour servir à l’intelligence des aaires et l’état présent en Amerique, créateur: Jacques Nicolas Bellin,
1703-1772. Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BanQ).
LE CHAÎNON, HIVER 2023 17
Questionné après sa déposition, Saint-Germain afrma
que, d’après ce qu’il avait pu apprendre, c’était la croyance
générale des Ojibwés de la région, que c’est parmi les
nombreuses îles qui séparent la grande île Royale de
l’anse du Tonnerre que résident le peuple de l’eau, les
Maymaygwaysiwuk, les habitants des eaux, des demi-
dieux, hommes, femmes, enfants, et que c’est au pied de
l’île Pâté, l’île sacrée, que se trouve la demeure de Manitou
Nabi Nabais, le Dieu des Eaux et des Lacs.
Qu’est-ce qui avait pu pousser Venant Saint-Germain à
venir ainsi témoigner ofciellement, et à sa demande,
devant la Cour du Roi? Sans doute voulait-il se décharger
d’un souvenir qui l’obsédait? Peut-être s’interrogeait-il
lui-même, pris entre le besoin de savoir et celui encore
plus exigeant de croire? Il fallait établir, rétablir d’abord
des faits. Mais il était trop tard. Malgré lui, son témoignage
eut l’effet contraire. Le besoin de merveilleux, qui est en
chacun, l’avait déjà emporté, et les faits rapportés, transmis,
retransmis, déformés, ampliés, transformés et reconstruits
par l’invention et l’imagination, repris dans la tradition
orale puis écrite, se consacraient dans la mémoire collective
où le merveilleux a droit de cité. Son témoignage ne t en
fait qu’établir, rétablir et afrmer la légende, l’authentier
en quelque sorte. La légende de la sirène du lac Supérieur
devenait réalité et, si elle est aujourd’hui quelque peu
oubliée, elle fut conservée longtemps dans la mémoire des
Canadiens français.
Au début du siècle dernier, la manière de célébrer la
Saint-Jean-Baptiste avait un caractère un peu différent
des manifestations populaires qui marquent aujourd’hui
la célébration de la fête nationale des Canadiens français.
Les fêtes duraient souvent plusieurs jours, et étaient
clôturées, le 24 juin, par une parade traditionnelle dans
les rues de la ville avec un délé de chars allégoriques
qui, autour d’un thème choisi, faisait revivre le passé de la
nation. Ainsi, à Montréal, le thème, en 1924, était : « Ce que
l’Amérique doit à la race française », puis, pour les années
suivantes, les autres thèmes étaient « Visions du passé »,
« Hommages aux patriotes », « Quatre siècles d’histoire »,
« Nos chansons populaires ». En 1929, le thème choisi
était « Les Contes et les Légendes populaires au Canada
français ». Le programme du délé note : « présenter les
principaux contes et les plus intéressantes légendes qui ont
pris racine dans le répertoire populaire ». Un des chars de
cette procession de la Saint-Jean-Baptiste du 24 juin 1929, le
char No 7, représentait « Venant St Germain face à la Sirène
du lac Supérieur7 ».
7 Grégoire Alexandre, L’histoire en images du Canada français de Jean-Baptiste
Lagacé, Montréal, 2015.
LA GRANDE HISTOIRE
Avertissement: ce texte est tiré directement du
programme de 1929, et certains mots utilisés, qui sont
empreints des préjugés de l’époque, pourraient blesser
nos lecteurs. Nous tenons à nous en excuser.
Char No 7 – tiré du programme de la
St-Jean-Baptiste en 19298
La Sirène du Lac Supérieur
Les Sauvages, comme la plupart des voyageurs,
croyaient que le lac Supérieur était dominé
par une Sirène qui avait sa demeure dans les
environs de l’île Paté et il circulait toutes sortes de
racontars sur cet être fabuleux.
Son existence ayant un jour été mise en doute,
un fameux traiteur de l’Ouest, Venance Saint-
Germain, déclara sous serment qu’au mois de mai
1782, en compagnie de trois nautonniers et d’une
sauvagesse, il vit très bien la sirène, quil voulut
la saluer d’un coup de fusil. Mais la Sauvagesse
l’en empêcha et lui prédit que cette divinité des
eaux et des lacs le punirait de son audace. Peu de
temps après, une tempête terrible éclata qui dura
trois jours.
Souvent rattaché à un fait ou à un endroit précis,
le merveilleux est, et reste, partie intégrante de
la mémoire collective. Faisant le voyage vers les
pays d’en haut du euve Saint-Laurent, une fois
passé la pyramide sombre du cap Gargantua,
puis contourné la gigantesque masse noire du
cap du Tonnerre, ce grand sarcophage de granit
qui garde l’entrée de la baie, et fait enn tours et
détours au milieu des myriades d’îles aux formes
étonnantes et changeantes, îles qui semblent
parfois otter, fééries du brouillard; on aperçoit
nalement, au loin, après plusieurs semaines sur
les chemins d’eau, le rivage bleu noir de la baie
du Tonnerre. Il nous semble alors entrer dans
un pays de légendes, ces légendes qui durent,
vivant dans les eaux et les rochers, des légendes
qui sont en nous comme dans ce pays où même
les pierres ont une âme. Et d’ailleurs, de tout
temps, on voit « à la Baie du Tonnerre des choses
extraordinaires, et dont nul autre endroit ne peut
se vanter d’avoir été témoin9 ».
8 Grégoire Alexandre, L’histoire en images du Canada français de
Jean-Baptiste Lagacé, Montréal, 2015.
9 F. H. St Germain,Souvenirs et impressions de voyage au Nord-Ouest
canadien, Athabaska, 1907, p.187 et suivantes.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
18
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
Cette section présente des articles sur les francophones du Canada et
leurs institutions.
Le jeune franco-ontarien de
la rue Charrette à Chelmsford
est revenu à ses racines en se
joignant à l’équipe de La Nuit
sur l’étang en 2020, suivant
un séjour en Amérique du
Sud. Entrepreneur, éducateur,
historien et journaliste, Marcel
Vaillancourt croit qu’il est
maintenant à sa 4e ou 5e vie (les
chats en ont 9). Il considère que
la plus importante réalisation
de sa vie est d’être le papa de
Marc André «Marco» et de
Chloé Lynn et le grand-papa
d’Archer et d’un autre petit-ls
prévu pour le 14 mars. Vous
pouvez communiquer avec lui:
vailstar@live.ca lui demandant
la version de quatre à cinq mille
mots de ce témoignage.
Marcel Vaillancourt
50 ans de La Nuit sur
l’étang: un témoignage
Note de l’auteur:
Il est seul. Sur la scène. Guitare en main.
Éclairé par un projecteur.
D’une voix rauque, il entonne :
« Viens t’asseoir à ma table
Il y a à manger pour tous
Viens raconter une histoire
Du bon vieux temps »
L’intensité monte :
« Viens manger
Viens danser
Viens chanter l’histoire de ta vie
Viens partager ce que tu es aujourd’hui »
« Libère tes pieds d’une longue journée
C’est le temps de se reposer
Vivre simplement, ce n’est pas compliqué »
Plein éclairage sur l’orchestre. Le public
enchaine en se levant debout.
« Oui, viens nous voir
On t’attend
Il y a tellement longtemps
Qu’on ne s’est pas vu
Des choses à dire
Des éclats de rire
Les yeux plein de sourire »
Le Chaînon m’a demandé de raconter la
résilience de la Nuit sur l’étang tout en
donnant un regard personnalisé. Ce fut un
cheminement émotif entre journaliste et
militant, entre chroniqueur et participant
à l’histoire de la Nuit sur l’étang. Vous allez
constater une emphase sur les années 80.
C’est un choix éditorial de ma part car je crois
que cette génération d’organisateurs a bien
succédé à la première génération en créant
certains éléments clés de la Nuit: le Prix du
Nouvel Ontario, la Brunante, la chanson thème Viens
nous voir, la bourse Bertrand, la diusion du spectacle en
Ontario et au Canada et la structure d’un grand spectacle
digne de Woodstock et de Live Aid. En fait, c’est durant
cette décennie que les structures ont été mises en place
pour assurer la pérennité de l’organisation et certains des
gens, recrutés et formés à cette époque, jouent encore
un rôle important pour l’organisation aujourd’hui.
Je me suis impliqué en 1980, quelques années avant
le 10e anniversaire de la Nuit, en 1983, et c’est depuis
ce temps que les artistes et la continuité de
l’organisme habitent mon esprit. C’est viscéral
pour moi – encore aujourd’hui. Dicile
d’expliquer. Je vous invite donc à vous joindre
à moi, à remonter dans mes souvenirs, pour
rencontrer ces gens et ces circonstances qui
ont fait en sorte, qu’en mars 2023, nous
allons célébrer 50 ans. L’honneur est à tous
les producteurs, tous les artistes et tous les
mécènes de La Nuit sur l’étang, depuis ses
débuts, en 1973.
La chanson Viens nous voir de
Marcel Aymar et du groupe
CANO a débuté La Nuit sur
l’étang, pour la première fois, le
5 mars 1983, lors de la 10e édition
de l’événement. Sous l’inuence
de Gaston Tremblay, le groupe
CANO s’était reconstitué pour la
10e et la 11e Nuit, et c’est à partir
de ce moment que la chanson
est devenue la chanson thème
du concert. Ça faisait un bout
que l’idée trottait dans ma tête
et que je talonnais Gaston pour
une chanson thème. « Ça doit être
une chanson qui rassemble tout
le monde, qui accueille les gens.
Pis, il faut qu’un représentant
de chaque groupe soit sur scène
pour ouvrir le spectacle. » Un
soir, dans son salon, Gaston m’a
dit : « Va chercher l’album Tous
dans le même bateau de CANO. »
Je lis le texte Viens nous voir
et j’invoque mon privilège de
président : « Gaston, c’est Viens
nous voir la chanson thème. Je me
permets de prendre une décision
exécutive. Point. On passe à autre
chose. »
LE CHAÎNON, HIVER 2023 19
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
En mars 1973, le premier concert de la Nuit sur l’étang
a eu lieu lors du colloque Franco-Parole, organisé à
l’Université Laurentienne, à Sudbury. Ce colloque
avait pour but de discuter des enjeux socio-culturels,
économiques et politiques pour les Franco-Ontariens,
appelés à se redénir face à la Révolution tranquille
au Québec1 et la contre-culture américaine. Il était
tout à fait de mise d’inviter les artistes à monter
sur scène pour UNE Nuit sur l’étang. Le titre était
bien choisi. Tout comme cette première génération
d’organisateurs, je me faisais appeler « frog » sur les
patinoires de la région de Sudbury, au travail, dans
les rues de Chelmsford. Or, tant qu’à être des « frogs »
autant l’assumer entièrement et créer une Nuit sur
l’étang avec d’autres « frogs » de la place!
La rencontre musicale s’est poursuivie d’année en
année depuis. « La Nuit sur l’étang, à cette époque,
nous permettait de présenter tout ce qui était nouveau
dans les diverses disciplines artistiques » explique
Robert Paquette, un des piliers de cette première
vague artistique franco-ontarienne. « Ces premières
nuits demeurent parmi mes préférées. » Il poursuit
en expliquant un autre phénomène important : « La
Nuit attire des artistes de partout en Ontario. Grâce à
la Nuit, on a rencontré des artistes de Hearst, comme
Donal Poliquin, et les gens du groupe 33 Barette,
d’Ottawa. »
Vers la n des années 1970, un essoufement se fait
sentir. En effet, il n’y aura pas de Nuit, en 1977. Les
1 Le Québec s’était redénit sous l’appellation «Québécois et
Québécoises», abandonnant le terme «nation canadienne-française» et
par le fait même, toutes les minorités francophones du Canada.
« La cuisine de la poésie ». Sur la photographie, Jean Marc Dalpé, Anne-
Marie Cadieux, Hélène Bernier, Robert Bellefeuille et, à l’arrière-plan, Robert
Dickson, Sudbury, 14 novembre 1980. Photo: Université d’Ottawa, CRCCF,
Fonds Les Éditions L’Interligne (C86), Ph167-1363.
morts d’André Paiement2 et de Wasyl Kohut3 ont
perturbé cette première génération d’organisateurs.
Gaston Tremblay, un des premiers organisateurs de
la Nuit, explique qu’un groupe a organisé, en vitesse,
une Nuit, en 1978, en hommage à André Paiement au
petit auditorium de l’École des Sciences de l’éducation
sur le campus de l’Université Laurentienne plutôt
que l’auditorium Fraser, le site des premières Nuits et
pouvant accueillir 769 personnes4. Il manquait surtout
d’une relève, d’un groupe d’organisation permanent et
stable.
En 1979, le Service d’animation et le Conseil
d’enseignement en français (CEF) de l’Université
Laurentienne disposaient d’un budget pour
l’embauche d’un animateur culturel, Daniel Asselin.
Gaston Tremblay avait déjà joué ce rôle, au milieu des
années 70.
2 André Paiement était un dramaturge, musicien et compositeur de
Sturgeon Falls, décédé, en janvier 1978. «André Paiement», Wikipédia,
https://fr.wikipedia.org/wiki/André_Paiement, [consulté le 19 décembre
2022].
3 Wasyl Kohut était un violoniste et compositeur de Sudbury, membre
du groupe CANO, décédé, en novembre 1981. «Wasyl Kohut», Discogs,
https://www.discogs.com/fr/artist/1511395-Wasyl-Kohut, [consulté le
19décembre 2022].
4 Ne le dites pas aux pompiers mais, en mars 1983, lors du Gros Show avec
CANO et Robert Paquette, il y avait tout près de 1000 personnes dans
l’auditorium pour le clou de la soirée, à 1 heure du matin. On avait vendu
1000 billets sachant qu’au moins 300 personnes, en moyenne, seraient
au bar. Oui, j’assume ma délinquance!
Jean-Marc Dalpé en spectacle à La Nuit sur l’étang entre 1976-1979. Photo:
Archives de La Nuit sur l’étang.
Ci-dessous : Logo du 50e anniversaire de La Nuit sur l’étang.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
20
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
C’est dans ce bureau de l’animation culturelle
que j’ai passé des heures, seul, à contempler mon
avenir : rester à Sudbury pour compléter ma 4e année
en économie ou aller étudier au Boston College.
À ce moment, le concert de la Nuit reposait sur
mes épaules. Nicole Boivin, qui en avait assuré
l’organisation, en 1981 et 1982, avait complété son
contrat. Aucun comité ou conseil d’administration
permanent n’existait. La 10e Nuit s’en venait. Je me
suis rarement senti aussi seul dans ma vie, face à une
décision qui allait, sans que je le sache, transformer ma
vie. Me voilà, 41 ans plus tard, toujours impliqué.
Pour sa part, Daniel Asselin, en tant que nouvel
animateur culturel, avait comme mandat de stabiliser
l’organisation de La Nuit sur l’étang et de former
des étudiants et des étudiantes qui s’en occuperait.
Deux de ces dauphines furent Carole Beaulieu et
Nicole Boivin, que j’ai eu le plaisir de côtoyer. Deux
dames intelligentes et dynamiques qui ont connu
des carrières remarquables. De plus, Daniel avait
rassemblé une équipe de bénévoles pour organiser
La Nuit sur l’étang de 1980, devant une salle comble
à l’auditorium Fraser. Il faut expliquer que le Fraser
n’était pas conçu pour des spectacles de l’envergure de
la Nuit : c’était un hall pour la collation des grades.
Après cette Nuit, Daniel a tiré sa révérence.
Malheureusement, le CEF a commis une erreur
stratégique, qui a hanté la Nuit sur l’étang pour
une génération, en ne remplaçant pas Daniel avec
un successeur immédiat au Service d’animation.
L’Université Laurentienne en a proté pour sabrer
dans les budgets : donc, aucun employé permanent
pour animer, regrouper et former les étudiants
et étudiantes francophones sur le campus d’une
institution dite bilingue. J’allais personnellement être
confronter à cette réticence (mot poli ou s’agit-il d’un
désengagement?) de la Laurentienne, de 1979 à 1986.
Le campus a vécu un autre essoufement. L’équipe
de l’Association des étudiants francophones (AEF)
avait terminé son mandat. Une nouvelle équipe, dont
je faisais partie, a pris la relève en octobre 1980 (en
temps normal c’était au printemps). Tout de suite,
André Girouard communiquait avec moi : « Marcel,
tu dois organiser la Nuit, on est déjà en novembre ».
J’ai rétorqué : « André, j’ai déjà l’AEF (présidence)
plus une pleine charge de cours! » Jeanne Sabourin,
du Conseil des arts de l’Ontario, m’appelait en
catastrophe « qu’arrive-t-il à la Nuit? ». On a donc
formé un comité et on a embauché Nicole Boivin, qui,
heureusement, avait de l’expérience et avait bénécié
de la formation de Daniel Asselin. Nicole a organisé
la Nuit 1981 ainsi que la Nuit 1982, appuyée bien sûr
d’un comité organisateur. Les hauts et les bas de la
Nuit depuis ses débuts se poursuivaient, à ma grande
frustration. D’autres institutions culturelles, comme
le Théâtre du Nouvel-Ontario et la maison d’édition
Prise de parole avaient des structures permanentes.
Pourquoi pas La Nuit sur l’étang? J’ai indiqué à
Nicole, le soir de la Nuit 1981, qu’elle avait réussi
un tour de force : organiser une Nuit, en deux mois,
évitant ainsi la déception de 1977.
Lénergie des Jésuites
Mes années à l’école secondaire avaient été une grande
déception pour moi, mais ma rencontre avec les
professeurs jésuites, lors de ma rentrée à l’université
a vite effacé ce handicap. En effet, le dynamisme et
l’implication de plusieurs de ces enseignants ont
permis la survivance des concerts, et ils m’ont permis
des rencontres inoubliables.
Plusieurs, comme Ron Perron, Lucien Michaud et
André Girouard ont été des mentors et des amis.
D’autres ont été une inspiration, comme le Père
Bertrand, en l’honneur de qui nous avons créé la
bourse Bertrand, lors de la 10e Nuit, pour reconnaitre
la meilleure chanson de l’année.
Et que dire de Fernand Dorais? Oh boy! Quel
personnage intimidant pour moi, un p’tit gars de
la rue Charrette, à Chelmsford! Mais j’ose dire que
sans Fernand Dorais dans ma vie, il n’aurait pas
eu de Gaston Tremblay. Par surcroit, pas de Gaston
Tremblay, pas de 10e Nuit sur l’étang avec toutes les
nouveautés. Fernand Dorais, professeur de français,
est arrivé sur campus de la Laurentienne dans les
années 1960. Il a joué un rôle de rassembleur, à sa
façon. « En fait, la Nuit 1975 a été organisée dans la
chambre de Fernand », dit Gaston Tremblay. Plusieurs
années plus tard, j’allais avoir des discussions avec
Fernand, chez lui, en lui partageant mes rêves pour la
Nuit 1983. Fernand allait donc jouer, encore une fois,
un rôle de rassembleur, cette fois pour créer l’alliance
entre deux générations.
En exprimant mes espoirs et mes projets au père
Dorais, celui-ci m’annonçait que la personne toute
désignée pour m’aider était Gaston Tremblay. Et
c’est grâce à cette rencontre, le 31 juillet 1983, dans
le domicile de Gaston, à Sudbury, qu’est né un
LE CHAÎNON, HIVER 2023 21
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
conseil d’administration permanent5, qui mènera à
l’incorporation de la Nuit sur l’étang.
Les années 1980: permanence et expansion
En quelques années, ce nouveau conseil
d’administration a recruté une vingtaine d’étudiants,
en septembre 1983, a créé la première Brunante6, en
novembre 1982, a créé - avec Gaétan Gervais, nouveau
directeur du CEF - le Prix du Nouvel Ontario, a vu le
retour de CANO sur scène et a vécu une expérience
unique alors que Marie-Paule Poulin, directrice de
CBON-Radio Canada à Sudbury, décide de diffuser la
Nuit, de 20 h à 2 h 30 du matin, à l’antenne de Radio
Canada, en Ontario7.
Des équipes ont été formées pour la vente de billets,
le bar, la production et l’arrière-scène, le marketing et
les relations publiques en utilisant la Brunante comme
foyer d’apprentissage. Gaston me conait : « Tant qu’à
se casser la gueule, vaut mieux le faire à la Brunante
c’est le temps d’apprendre ». Ce fut tout le contraire :
ce fut un grand succès avec une salle (et un bar)
remplie, des organisateurs gonés à bloc et des artistes
susceptibles de passer à la 10e Nuit.
5 Formé de Gaston Tremblay, moi-même, Fernand Dorais et et Yvan
Rancourt.
6 La Brunante est une série d’ateliers professionnels et un concours
provincial de musique couronné par un spectacle, qui s’adresse aux
jeunes franco-ontariens(nes) de 15à 30ans.
7 Plus tard, ce sera à travers le pays!
Gaétan Gervais, a invité la Nuit à s’allier au CEF
pour créer le Prix du Nouvel Ontario pour honorer
la contribution aux arts et à la culture de l’Ontario
français. J’ai présenté le premier prix, sur scène, à la
Nuit de mars 1983, au Père Germain Lemieux. En
1984, mon épouse et moi, nous nous sommes rendus
à Manotick pour livrer le fabuleux trophée, gravé à
même le roc sudburois, à Hélène Brodeur. Le prix
existe toujours et, en 2022, il a été décerné à deux
mécènes des arts en Ontario français : Guy et Pierrette
Madore. Guy a accepté le trophée en l’honneur de sa
défunte épouse disant que c’est elle qui avait tout le
mérite.
L’équipe formée, en 1982-85 comptait des gens de
grands talents : Ronald Caza était mon directeur du
bar (et un coéquipier de hockey) pour la Nuit 1983.
Il est devenu, comme on le sait, un grand avocat et
Ci-dessus : Le groupe musical Les
Bilinguish Boys, composé de Stef
Paquette, Dayv Poulin et Edouard
Landry, en 2022. Photo : Archives de La
Nuit sur l’étang.
À droite : Programme de « La 10e Nuit
sur l’étang », page couverture, Sudbury,
1983. Photo : Université d’Ottawa,
CRCCF, Fonds Fédération culturelle
canadienne-française (C89), C89-22-15c.
Donal Poliquin en concert à La Nuit sur l’étang, entre 1976-1979. Photo :
Archives de La Nuit sur l’étang.
François Lemieux en concert à La Nuit
sur l’étang, entre 1976-1979. Photo :
Archives de La Nuit sur l’étang.
Robert Paquette en concert à La
Nuit sur l’étang, en 1978. Photo :
Archives de La Nuit sur l’étang.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
22
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
co-organisateur du spectacle SOS Montfort à l’aréna
d’Ottawa. Il y avait Michel Rodrigue, qui s’occupait
de la gestion de scène, qui est devenu chef de cabinet
pour un ministre d’Éducation et, plus tard, un grand
leader en affaires. Il y avait Paul J. Demers, un habile
politicien, lui aussi, chef de cabinet pour un ministre
d’Éducation et pour un maire du Grand Sudbury.
Mon association à Jacqueline Gauthier remonte à la
10e Nuit. Je l’avais invité, lors d’un dîner à la salade
césar, à jouer un rôle important pour la Nuit. Elle
a fait ses premières armes en relations publiques,
devenant, plus tard, directrice des relations publiques
à l’Université Laurentienne, et ensuite au Collège
Boréal. En 1989-90, je lui ai demandé de me remplacer
au conseil d’administration de la Nuit. Elle y est restée
plus de 10 ans.
À l’été 1984, Gaétan Gervais et moi avons embauché
cinq étudiants pour un projet d’été. Un de ceux-ci fut
Richard Malette - un gars de commerce. J’aurai pu lui
demander de nous préparer un plan d’affaires et un
budget. J’ai fait tout le contraire. Je voyais chez lui un
« go getter » – quelqu’un qui se xe un objectif et qui
« fonce dans le tas » comme on disait à l’époque. Je l’ai
affecté à fouiller toutes les archives sonores et visuelles
de la Nuit. Je l’ai imaginé sacrer souvent à mon égard,
cet été-là! Mais j’espérais qu’il serait enduit du feu
sacré. Si oui, on avait quelqu’un pour longtemps. Mon
instinct a eu raison : en 2010, j’étais à la collation des
grades de l’Université Laurentienne pour obtenir mon
3e baccalauréat en éducation et sur scène, Richard
Malette prononçait un discours mentionnant ce travail
d’été. Il était là pour recevoir un doctorat honorique
pour son travail de 20 ans à la Nuit sur l’étang. Gino
St. Jean y était pour la même raison. C’est Richard et
son équipe qui avaient recruté Gino. Ce dernier est
toujours impliqué, pilotant le vendredi soir de la Nuit,
célébrant les 25 premières années 1973-1998.
Les années 2000: les nouveaux dés et le
nouveau visage des concerts
Au long des années, il y a eu de grands changements
et d’autres dés. Par exemple, à la n des années 1990,
Radio Canada s’est retiré de son partenariat. Le monde
avait changé, le marché aussi. De plus, les concerts de
la Nuit ont voyagé d’un amphithéâtre à l’autre mais
tout en offrant des concerts de grande qualité. Quand
Paul J. Demers est revenu à Sudbury, en 2005-2006, il
a constaté une instabilité au sein de l’organisation. Il
m’a contacté disant : « Marcel, faut faire quelque chose
pour la Nuit ». Or, je me souviens d’animer une soirée
ou deux chez Richard et Lise Malette pour relancer la
Nuit, une autre fois, en prévision du 35e anniversaire,
en 2008.
L’entrée de scène de l’actuel directeur général des
Concerts La Nuit sur l’étang, Pierre Paul Mongeon,
fut en début 2008. C’est Henri Pallard qui a proposé
Pierre Paul à la direction générale de la Nuit pour
un contrat de trois ans, soit de janvier 2008 à janvier
2011. L’objectif était de trouver une personne prête à
assumer la direction générale en permanence. Il est
difcile de recruter une permanence chez les jeunes
si le salaire et les avantages sociaux ne sont pas
alléchants. Après son contrat de trois ans, Pierre Paul a
siégé au conseil d’administration de janvier 2011 à juin
2015, jouant le rôle de mentor aux nouveaux.
Durant le mandat de Pierre Paul à la direction
générale et au conseil d’administration, La Nuit sur
l’étang a pris un virage vers la création et vers des
soirées thématiques organisées exclusivement pour la
soirée. Pierre Paul est revenu à la direction générale,
en 2015, et il s’est entouré de l’expertise d’un grand
producteur et musicien, Daniel Bédard. Tous les deux
ont voué de « créer » des Nuit sur l’étang de toute
pièce en hommage aux premiers artisans. « On veut
créer un spectacle pour la Nuit où on peut jumeler les
talents des artistes, appuyés d’un orchestre maison »
indique le directeur musical, Daniel Bédard. Il cite
comme exemple l’hommage à Robert Paquette où il a
joué de ses chansons mais aussi d’autres artistes qui
ont interprété les chansons de Paquette, accompagnés
d’un orchestre maison. C’est ainsi un spectacle créé de
toute pièce digne des premiers artisans.
50 ans de concerts
« Si la Nuit existe encore c’est qu’elle a sa raison
d’être, même avec les changements subis au cours
des années, » conclu Robert Paquette. Le directeur
général, Pierre Paul Mongeon, abonde dans le même
sens : « La Nuit sur l’étang existe car la communauté
l’exige. » Il y a eu des hauts et des bas au cours des
derniers 50 ans. Le spectacle a voyagé aussi, d’une
salle de spectacle à l’autre, comme en témoigne les
afches : le Grand Théâtre, l’aréna de Sudbury, le
gymnase du Collège Boréal, la salle Trisac du Collège
Boréal, le Fraser, l’école des Sciences de l’éducation et
le gymnase de l’école secondaire MacDonald Cartier.
Les concerts ont présenté des centaines d’artistes,
depuis 50 ans. La Nuit existera aussi longtemps qu’elle
est pertinente à la vie des artistes et de la communauté
franco-ontarienne.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 23
NOTRE COMMUNAUTÉ, NOS INSTITUTIONS
LE CHAÎNON, HIVER 2023
24
Souvenirs d’un intervenant au cours de la
crise du verglas de 1998
Agronome de profession,
passionné d’histoire et de
généalogie, il signe des articles
concernant le passé de sa région,
l’Est ontarien. Il se consacre aussi
au bénévolat pour le groupe
Les amis du village Gagnon et à
l’association Les familles Gagnon
et Belzile inc. À la retraite, il a
été animateur de programmes
scolaires pendant 14 ans au
Musée canadien de l’histoire.
Roger Pommainville
Même 25 ans après la crise de verglas de janvier 1998, je suis encore émotif
quand je veux relater les faits vécus durant ces quelques semaines intenses.
J’étais alors conseiller en matière de qualité du lait pour le ministère de
l’Agriculture et des affaires rurales de l’Ontario. Mon territoire couvrait
Glengarry, Prescott, Russell et Stormont, les quatre comtés de l’est de
l’Ontario les plus touchés par cette tempête, qui laissa de 75 à 100 mm
de pluie verglaçante sur la région, entre le 4 et le 10 janvier de cet hiver
mémorable1. Le réseau hydro électrique de la région ne résista pas.
Les gros poulaillers et porcheries de la région étaient presque toutes
munies de grosses génératrices pour remplacer le système d’Hydro Ontario
en cas de pannes électriques. Toutefois, seulement une minorité des
nombreuses fermes laitières étaient pourvues de génératrices puisque les
pannes électriques étaient historiquement peu nombreuses et de courtes
durées. Les producteurs laitiers furent pris au dépourvu, n’ayant plus
le courant nécessaire pour traire les vaches, refroidir le lait, ventiler ou
récurer les étables, en plus des systèmes d’alimentation et de pompes à
eau qui fonctionnent toutes à l’électricité. Les quelques génératrices que
les vendeurs de machineries agricoles de la région possédaient en stock,
disparurent en quelques heures. Quelques voisins pouvaient sans doute
partager une génératrice entres eux, mais, souvent, ces petits appareils
n’étaient pas sufsants pour alimenter tout l’équipement.
Alfred : quartier général de la contre-attaque
Au deuxième jour de la crise du verglas, le ministère organisa une vaste
campagne pour faire parvenir des génératrices aux producteurs dépourvus
de l’est de la province. Faisant appel aux moyens de l’époque, le ministère
fut capable de convaincre de nombreux producteurs du nord, mais surtout
du sud de l’Ontario de prêter leurs engins salutaires. Le ministère se mit
garant du transport les génératrices et leur retour en bonne condition
(les machines ayant subies des dommages en transport ou durant l’usage
furent toutes réparées avant leur retour). Plus de 600 génératrices furent
expédiées vers notre région, en quelques jours. Le ministère alla même
jusqu’à louer des génératrices autoportantes provenant d’aussi loin que le
centre des États-Unis! L’honorable Don Boudria obtint également des unités
de hauts calibres de différentes sources fédérales. Des collègues de travail
de partout en province se retrouvèrent au bureau d’Alfred ou aux postes de
distribution. Au plus fort de la crise, quelque 25 employés se retrouvèrent
à notre bureau d’Alfred ou aux quatre lieux de distributions, soit Prégent
Surge d’Alfred, D.M.D. Picard de Fournier, R.B. Dairy Equipment
d’Alexandria et J.R.Brisson de Vars.
Personnellement, j’accumulais 96 heures de surtemps durant le mois de
janvier 1998. Les problèmes de qualité de lait augmentèrent de beaucoup
durant cette période. Plusieurs vaches moururent soit de pneumonie ou de
mammite aigue. Heureusement, aucune perte humaine n’a été rapportée
dans notre région, mais ce fut une période de stress accru pendant
quelques semaines.
1
Laura Neilson Bonikowsky et Niko Block, « Tempête de verglas de 1998 », Lencyclopédie canadienne,
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/la-crise-du-verglas-1998, [consulté le 18 janvier 2023].
Photo des lignes électriques tombées sous
le poids du verglas, le 9janvier 1998. Photo :
Sylvain Marier, Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds
LeDroit (C71). Ph92-13-573-09011998-2.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 25
Avocate, retraitée du
gouvernement fédéral, Danielle
Carrière-Paris est rédactrice en
chef du magazine Action! de
Retraite en Action. Elle est aussi
l’auteure de plusieurs ouvrages,
dont Des Franco-Ontariens
inspirants - 25 coups de cœur
d’une passionnée (tome 1),
25étoiles du Nord (tome 2) et
25muses du Sud (tome 3) publiés
par le RPFO; la biographie de
Rose-Aimée Bélanger À l’ombre
des chuchoteuses publiée par
Prise de Parole; ainsi qu’une
douzaine de livres de famille
publiés à titre privé.
Danielle Carrière-Paris
Mon merveilleux
périple au « pays de
Rose-Aimée Bélanger »
Parce que chaque voyage a son histoire et parce que chaque histoire a le
potentiel d’inspirer quelqu’un d’autre, je me permets de vous raconter mon
pèlerinage au pays de Rose-Aimée Bélanger.
Sachez que si ma belle tournée dans le lieu enchanteur du Nord ontarien et
du Nord québécois fut de courte durée, mon périple pour m’y rendre aura
durée quatre ans…
VISAGES
Cette section met à l’honneur les Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes,
et les personnages qui ont marqué notre société.
Les trois faunes de Rose-Aimée Bélanger, à
Earlton. Photo : André Paris.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
26
Le hasard est curieux, il provoque les choses1!
Mon époux André et moi admirons depuis longtemps
une splendide sculpture en bronze dans le Vieux-
Montréal, Les chuchoteuses2, au point de faire un détour
pour la contempler à chaque fois que nous sommes
de passage dans la métropole. Ce bronze imposant de
800 livres nous interpelle par sa beauté, certes, mais
aussi parce que ces trois jolies femmes, bien en chair,
nous invitent dans leur intimité, sans pourtant se
soucier de notre présence.
Parallèlement, en août 2018, Pierre Bélanger3
communique avec moi pour me proposer d’écrire la
biographie de sa mère, an de la faire mieux connaître
et de promouvoir son art. J’apprenais, peu après, qu’il
s’agit de la sculptrice de l’œuvre magistrale que nous
admirons depuis toujours.
Imaginez ma joie profonde lorsque cet inconnu
m’invita à prendre la plume pour immortaliser la vie
d’une dame d’exception aussi inspirante. Il m’offrait,
de surcroît, le privilège inouï de la rencontrer4. Ce fut
pour moi un moment de pur bonheur!
1 Paroles de la chanson Non, je nai rien oublié de Charles Aznavour, 1971.
2 Cette œuvre d’art publique est souvent citée comme étant
emblématique de Montréal et comme étant l’une des plus
photographiées par les touristes.
3 Rassembleur dès la naissance, Pierre Bélanger est devenu, entre
autres, un entrepreneur multidisciplinaire chevronné et un activiste
environnemental investi. Pour en connaitre plus à son sujet, vous pouvez
lire le numéro spécial du magazine Le Chaînon, automne 2020, Franco-
Ontariens et Franco-Ontariennes inspirants – 25 étoiles du nord (tome 2),
page 15.
4 Autre heureux hasard, Rose-Aimée habite, à ce moment-là, tout près de
chez moi.
Un fabuleux projet prend naissance
Ainsi s’amorça un projet, auquel Pierre, ses sœurs et
son frère ont pris part avec enthousiasme. Je leur en
serai toujours grandement reconnaissante.
Inutile de dire, toutefois, que le projet nécessita
d’innombrables heures consacrées à des entrevues,
à des rencontres et à d’autres communications de
tout genre, ainsi qu’à la recherche, à l’écoute de
bandes sonores, au visionnement de vidéos, puis, à
l’écriture… et à la réécriture.
La résultante de cet effort collectif? Une biographie
succincte intitulée, Rose-Aimée Bélanger, à l’ombre des
chuchoteuses, publiée en septembre 2022 par Prise de
parole5. Ce « beau6 » livre, nourri par des témoignages
de Rose-Aimée, des membres de sa famille et
d’experts dans le milieu des arts visuels, est truffé de
photographies personnelles et de sculptures. Il permet,
pour la première fois, d’entrer dans l’imtimité de cette
lle, de cette femme, de cette épouse et de cette mère
de neuf enfants, qui a prêté inlassablement main forte
à son époux, entrepreneur et pionnier, dans le nord
5 Mille mercis à denise truax et à Chloé Leduc-Bélanger pour leur expertise
et leurs conseils judicieux qui mont permis de mener ce projet à bon
port. Il importe de souligner que «denise truax» choisit sciemment
d’écrire son nom sans lettres majuscules. Elle dit: «J’adore mon métier.
Ma première décision d’éditrice, je l’ai prise à l’adolescence quand
j’ai écrit mon nom avec des lettres minuscules uniquement […]» Les
femmes de la route 11, Pionnière de l’édition en Ontario français, chef de
le culturel, novembre 7, 2012, https://femmesdelaroute11.wordpress.
com/2012/11/07/denise-truax/, [consulté le 23 octobre 2022].
6 C’est ainsi quon appelle en français un coee table book dans lequel
le texte est aussi accompagné de photos de réalisations artistiques. Il
est généralement destiné à être feuilleté pour ses images, autant qu’à
êtrelu.
Légende et crédit photo
À gauche : Les chuchoteuses,
une oeuvre d’art publique
souvent citée comme étant
emblématique de Montréal.
Photo prise au Musée d’art de
Rouyn-Noranda, le 28 octobre
2022. Photo : André Paris.
À droite : Invitation ocielle
au lancement de la biographie
portant sur Rose-Aimée
Bélanger à la Place des arts à
Sudbury. Poster créer par Prise
de Parole.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 27
de l’Ontario. Il relate aussi la trajectoire de la sculptrice, qui
a fait ses débuts dans la cinquantaine, et qui est entrée dans
la « période d’âge d’or » de son parcours sculptural à la n
de sa septième décennie d’existence. Cet exploit est d’autant
plus impressionnant puisqu’il est plutôt rare qu’une artiste,
qui commence sa production à une période aussi tardive de
sa vie, réussisse à étendre sa pratique au-delà du loisir7.
Je ne m’en cache pas, cependant, pour dire que si ma mission
a connu des moments d’euphorie, elle a aussi connu sa juste
part de pleurs et de grincements de dents qui ont engendrés
une bonne dose d’insomnie. Mais bon, avec le temps, tous les
souvenirs sont beaux et les embûches n’importent plus. En
fait, les pierres d’achoppement auxquelles je me suis butée,
n’auront pas pour autant réussi à taire ma plume. Bien au
contraire, elles m’auront permis de rédiger et de faire publier,
parallèlement, les deux derniers tomes de ma trilogie portant
sur des Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens inspirants,
soit 25 Étoiles du Nord et 25 Muses du Sud8. (Le premier tome
était intitulé 25 coups de cœur d’une passionnée et il a été publié
en novembre 2019.)
En route vers le nord… c’est le temps de célébrer!
Le 6 septembre 2022, André et moi partons en direction du
Nord ontarien, an de souligner l’aboutissement de ce beau
projet. Le voyage nous permettra aussi d’apprécier la beauté
d’une région où Rose-Aimée a bercé ses enfants, épaulé
son époux et caressé l’argile. Il favorisera également des
rencontres inoubliables, et nous offrira, enn, la possibilité de
célébrer le récit d’une vie que Rose-Aimée qualie de « sur »
comblée9.
Première escale : le Grand Sudbury
On s’arrête d’abord dans le Grand Sudbury, un centre minier
de calibre international, pour prendre part au lancement
ofciel et à des activités connexes. Cette ville a été formée
dans le cratère d’impact d’une météorite, il y a plus d’un
milliard d’années. Comme le disait le poète franco-ontarien,
Robert Dickson, en parlant de la géographie particulière de
Sudbury, « sans explosions cette ville n’existerait pas / sans la
déagration météorite pas de mineurs…10 ».
7 Robert Bernier, « Rose-Aimée Bélanger : Lâge de bronze », Magazine Parcours,
printemps 2000, vol. 6, numéro 2, p. 9-10.
8 Cette trilogie a été publiée par le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO),
comme éditions spéciales du magazine Le Chaînon à l’automne 2020 et à
l’automne 2021.
9 C’est ainsi que Rose-Aimée qualie sa vie lors de ma première rencontre avec elle,
le 30 septembre 2018. Ceci est particulièrement inspirant et touchant quand on
considère quelle a fait face à de nombreux dés.
10 Lucie Hotte, «Robert Dickson. La poésie : mode demploi». Nuit blanche, magazine
littéraire, numéro 147, été 2017, pages 16–19; https://www.erudit.org/fr/revues/
nb/2017-n147-nb03095/85678ac.pdf, [consulté le 22 septembre 2022].
Femme aux chocolatscompte parmi les bronzes les plus admirés
par le grand public et peut-être l’oeuvre la plus symbolique de la
carrière de Rose-Aimée Bélanger. Photo prise au Musée d’art de
Rouyn-Noranda, le 28 octobre 2022. Photo : André Paris.
Balançoire.Photo prise au Musée d’art de Rouyn-Noranda, le
28octobre 2022. Photo : Danielle Carrière-Paris.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
28
Nous y passons deux nuits. En ces lieux, les demandes
d’entrevues se succèdent rapidement :
Le 7 septembre à 14 h 15, entrevue téléphonique
avec Michel Picard11 d’Unique FM à Ottawa;
Le 7 septembre de 17 h à 18 h, entrevue en direct, en
studio, avec le journaliste Éric Robitaille à Radio-
Canada Sudbury, à l’émission Jonction 11-1712. La
sénatrice Lucie Moncion et la comédienne, Marina
Orsini étaient également de la partie. Ces dernières
sont des admiratrices de l’œuvre de Rose-Aimée;
Le 8 septembre à 10 h, entrevue vidéo13 dans le
foyer de la Place des arts avec le journaliste Ezra
Belotte Cousineau et un caméraman, de Radio-
Canada - Nord de l’Ontario;
Puis, c’est l’apothéose! Le lancement tant attendu
a lieu le 7 septembre 2022, à 18 h, à la nouvelle et
splendide Place des arts14 de Sudbury. Une mini-
11 Visitez le lien suivant pour écouter l’entrevue. https://uniquefm.ca/
entrevues/rose-aimee-belanger-a-lombre-des-chuchoteuses-46239,
[consulté le 23 novembre 2022].
12 L’heure entière fut consacrée à Rose-Aimée Bélanger; https://ici.radio-
canada.ca/ohdio/premiere/emissions/jonction-11-17/episodes/652661/
rattrapage-du-mercredi-7-septembre-2022/12, [consulté le 23 novembre
2022].
13 Dans cette vidéo, on y aperçoit Rose-Aimée à l’œuvre pendant que
je raconte très brièvement sa vie; https://ici.radio-canada.ca/info/
videos/1-8661422/videojournal-jeudi-8-septembre-2022, [consulté le
23novembre 2022].
14 La Place des Arts, inaugurée le 29 avril 2022, est le tout premier centre
artistique multidisciplinaire dans le nord-est de l’Ontario. Il sert de foyer
d’art contemporain et de culture pour les francophones et pour toute la
communauté.Il abrite, entre autres, une salle de spectacle de 299 places,
un studio multifonctionnel, un bistro, une galerie d’art contemporain,
exposition, improvisée par certains membres de
la famille Bélanger, notamment Pierre, Nicole,
Charlotte et Louise, agrémente le lancement et permet
aux participants d’admirer, sur place, la beauté et
la douceur de l’art de Rose-Aimée. La soirée est
animée, avec brio, par Éric Robitaille, journaliste et
animateur culturel, qui est aussi le préfacier de mon
livre15. Si j’avais la trouille à l’idée de rencontrer « le
célèbre monsieur radio », son professionnalisme et sa
charmante personnalité n’ont pas tardé à me mettre à
l’aise. La personne volubile que je suis s’en est aussitôt
donnée à cœur joie. C’est facile quand on parle de
l’énigmatique Rose-Aimée.
Deuxième escale: Haileybury
Le 8 septembre 2022, on se dirige vers Haileybury, une
ville intégrée à la collectivité de Temiskaming Shores,
qui regroupe également les villes de New Liskeard et
de Dymond.
C’est dans cette communauté, en 1937, à l’âge de
14 ans, que Rose-Aimée entrait à l’Académie Sainte-
Marie de Haileybury. Il s’agissait d’un pensionnat
dirigé par les Sœurs de l’Assomption de la Sainte
Vierge, situé à 35 kilomètres de Notre-Dame-du-Nord
où elle habitait à l’époque, an d’entreprendre ses
une zone jeunesse, une boutique-librairie, un centre artistique de la
petite enfance et des espaces de bureaux à la disposition d’organismes.
On y retrouve, par exemple, la maison d’édition Prise de parole et le
Centre franco-ontarien de folklore.
15 Il a interviewé Rose-Aimée il y a une quinzaine d’année.
Le lancement à la Place des arts à Sudbury, le 7 septembre 2022. Photo : André Paris. La villa principale desSuites des présidentsà Haileybury où
nous avons séjourné, les 8 et 9 septembre 2022. Photo : Danielle
Carrière-Paris.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 29
études secondaires. Il faut comprendre qu’en ces
temps-là, peu de gens en régions éloignées étaient
lettrés. Rose-Aimée a raconté qu’elle s’y est retrouvée
parce que ses parents lettrés étaient particulièrement
ambitieux, et parce qu’il importait pour son père que
sa lle apprenne à parler l’anglais. « [On était p]auvres
comme Job, mais on y allait pareil. Ça faisait qu’on
était avec d’autres sortes de monde, ça emmenait
d’autres gens chez nous qui étaient cultivés. »
Haileybury rappelle l’opulence des magnats qui ont
largement proté de l’extraction des minerais d’argent
découverts à Cobalt, une ville minière avoisinante.
Certains disent qu’il s’agit d’une des villes les plus
pittoresques de l’Ontario16. Sa fameuse Lakeshore
Road est devenue l’Allée des millionnaires. André et
moi avons eu le privilège de passer deux nuits dans
une des merveilleuses maisons historiques qui s’y
trouvent et qui fait aujourd’hui partie des Suites des
présidents. Nous occupions presque tout le deuxième
étage de la villa principale, qui avait originalement
appartenu à Arthur Ferland. Mon sens phénoménal
de directions fut mis à rude épreuve. J’avais de la
difculté à m’orienter pour retrouver la salle de bain,
tellement les lieux étaient spacieux! La vue sur le lac
est imprenable!
Je tiens à souligner que Jocelyn Blais et Nicole
Guertin17, sa conjointe de l’époque, aujourd’hui
décédée, ont développé le concept unique de location
de vacances, avec leur entreprise des Suites des
présidents, et ce, bien avant l’avènement des Airbnb.
Ils sont devenus copropriétaires de six maisons
historiques et d’une petite île dans le lac Témiskaming.
Jocelyn continue d’opérer cette entreprise en constante
évolution. Il est particulièrement sympathique, et il
constitue une véritable encyclopédie ambulante en
ce qui a trait à l’historique de sa région et aux attraits
touristiques qui s’y retrouvent. Le service qu’il offre
est discret et empreint de délicates attentions : des
eurs fraîchement coupées sur la table; une douce
musique d’ambiance audible dès notre arrivée; un
frigo muni de tout le nécessaire pour se concocter
de savoureux petits-déjeuners, auxquels il a ajouté
des petites gâteries locales, notamment, des bières,
une tablette de chocolat, un tortillon de fromage, des
bonbons à l’érable et au miel.
16 Luca Pilleri, L’histoire fascinante du Témiskaming – Témiskaming, 29août
2018, mise à jour, 15 avril 2021; https://www.norddelontario.ca/ou-
aller/l-histoire-fascinante-du-t-miscamingue, [consulté le 17septembre
2022].
17 Nicole Guertin compte aussi parmi les personnes inspirantes du Tome II
de ma trilogie intitulé, 25 Étoiles du Nord.
Dans cette jolie communauté, nous avons rencontré
l’intéressante et accueillante Felicity Buckell, une
consultante du Temiskaming Art Gallery (TAG). Elle
nous a généreusement invité à prendre le thé, dans
son jardin, en compagnie de Jocelyn, pour discuter du
livre. On y a dégusté de savoureux produits de son
jardin et de divines tartelettes au beurre qu’elle avait
concoctées pour l’occasion. C’était une véritable fête
pour les yeux… et pour les papilles gustatives! Felicity
apprécie l’art de tout genre, y compris les œuvres
de Rose-Aimée. Elle feuillette mon livre avec grand
intérêt, car elle explore la possibilité de développer
une exposition sur l’art de cette artiste en 2023, autour
du 100e anniversaire de naissance de Rose-Aimée. En
effet, une exposition numérisée est prévue à la TAG,
du 4 juin au 31 juillet 2023.
Troisième escale: Cobalt
Le 9 septembre, c’est dans la ville de Cobalt, située
au cœur du Bouclier canadien, qu’on s’arrête. Si
Haileybury dépeint l’opulence d’un temps révolu,
Cobalt rappelle la rude vie des mineurs qui y ont
travaillé avec acharnement. Au début des années 1900,
Cobalt a été la première ville fondée sur l’exploitation
minière en Ontario. On dit « [qu’à] son apogée,
Une des cueilleuses de bleuets qui ont fait largement connaître Rose-Aimée
Bélanger. Photo prise au Musée d’art de Rouyn-Noranda, le 28 octobre 2022.
Photo : André Paris.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
30
elle arrivait au quatrième rang des plus importants
producteurs d’argent du monde18. » La ville repose
aujourd’hui sur sa riche histoire pour attirer le
tourisme. Elle est désignée la ville la plus historique de
l’Ontario19.
On s’y rend dans le but de prendre part à un
deuxième lancement prévu au Laura’s Art Shoppe.
L’attentionnée propriétaire de la boutique d’art, Laura
Landers, est aussi artiste-peintre. Elle a bien connu
Rose-Aimée. Elle a vendu plusieurs de ses sculptures
au l des ans, et elle continue à le faire. Sa boutique
regorge de superbes œuvres d’art qui font rayonner
des artistes régionaux, dont l’artiste multidisciplinaire,
Carmen Cantin, que j’ai eu le privilège de rencontrer.
Imaginez-vous donc, que durant ce deuxième
lancement, à notre grand bonheur et à notre grande
surprise, l’humble et discrète Rose-Aimée a fait une
brève apparition à l’improviste via l’application
FaceTime. De la voir en forme et souriante, du haut de
ses 99 printemps, m’a fait chaud au cœur. En fait, j’en
ai été profondément émue. Ce fut, pour moi, le point
culminant d’un beau récit de vie.
18 D. O. Baldwin et D. F. Duke, «A Grey Wee Town”: An Environmental
History of Early Silver Mining at Cobalt, Ontario». Urban History Review /
Revue d’histoire urbaine, numéro 34, automne 2005, pages 71–87. https://
doi.org/10.7202/1016048ar; https://www.erudit.org/fr/revues/uhr/2005-
v34-n1-uhr0613/1016048ar.pdf, [consulté le 16 octobre 2022].
19 Luca Pilleri, L’histoire fascinante du Témiskaming – Témiskaming, 29août
2018, mise à jour, 15 avril 2021; https://www.norddelontario.ca/ou-
aller/l-histoire-fascinante-du-t-miscamingue, [consulté le 17septembre
2022].
Quatrième et dernière escale: Earlton
C’est à Earlton que nous effectuons notre dernier arrêt.
C’est un incontournable! Rose-Aimée s’y était installée
en 1953, avec Laurent, son époux entrepreneur, pour
élever leurs enfants et pour gagner leur vie. En ces
lieux, ils ont été hôteliers et propriétaires d’un zoo,
d’un terrain de camping, d’une usine de fabrication
de roulottes, d’une ferme de bisons… et j’en passe. Si
Earlton est aujourd’hui réputée pour ses cultivateurs,
ses producteurs laitiers, ses éleveurs de bison, ainsi
que pour sa population francophone particulièrement
dynamique en affaires, à l’époque, tout était à bâtir.
Nous nous dirigeons d’abord vers la maison de Pierre
et de son épouse Françoise, qui avait appartenu
auparavant à Rose-Aimée et à Laurent, et dans
laquelle se trouvait son spacieux et lumineux atelier
de sculpture20. On y retrouve encore, en ces lieux,
plusieurs de ses œuvres, dont la magnique sculpture
grand format, intitulée Les Trois Faunes.
Puis, c’est la ferme Bison du Nord qui attire notre
attention. Cette entreprise familiale, qui célèbre,
en 2022, ses 50 ans d’existence, ne comptait qu’une
seule bisonne, en 1972, lorsque Laurent Bélanger
avait choisi de se lancer dans l’élevage de bisons.
Six mâles ont suivi l’année suivante. Aujourd’hui, le
troupeau compte 400 bisons établis sur un territoire de
655 acres. La ferme est située sur les terres adjacentes
20 Pierre a, depuis ce temps, converti le studio de sa mère en bureau
d’aaires.
Laura Landers et moi, lors du lancement, le 9 septembre 2022, à Cobalt
auLauras Art Shoppe. Photo : Jacinthe Rivard.
Visite à Earlton chez Bison du Nord, le 10 septembre 2022. Photo : André
Paris.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 31
à la résidence ayant appartenu à Rose-Aimée et à
Laurent. Pierre et Françoise nous offrent un tour guidé
personnalisé des lieux. Nous roulons allègrement
parmi le troupeau, à bord d’un Kubota. Il importe
de souligner que cette ferme abritait, au début des
années 70, la Coopérative des artistes du Nouvel-
Ontario (CANO), qui a contribué à façonner l’identité
franco-ontarienne. De ce tremplin sont nés Le Théâtre
du Nouvel-Ontario, les éditions Prise de Parole, la
Galerie du Nouvel-Ontario et La Nuit sur l’étang.
C’est d’ailleurs au sein de cette coopérative que
Rose-Aimée a effectué ses tout premiers balbutiements
sculpturaux.
Et, ça continue!
Le 19 octobre 2022, je reçois une invitation de la
part du Musée d’art de Rouyn-Noranda pour
prendre part à l’inauguration de « la plus ambitieuse
exposition rétrospective jamais consacrée à l’œuvre
de Rose-Aimée Bélanger21 », intitulée Rose-Aimée
Bélanger / du grès au bronze : 40 ans de sculpture, qui
se tiendra du 28 octobre 2022 au 15 janvier 2023.
J’apprends avec bonheur que mon livre sera mis
en boutique en ces lieux. Nous partons donc pour
l’Abitibi-Témiscamingue québécois pour prendre
part à cette magnique exposition. Le trajet de près
de 14 heures, aller-retour, en a valu la peine. C’était
vraiment magique, grâce aux efforts de Jean-Jacques
Lachapelle22, directeur général et conservateur en chef
du Musée d’art de Rouyn-Noranda; de Jean Bélanger,
ls, artiste, collaborateur et administrateur des œuvres
de Rose-Aimée, ainsi que d’Anne-Marie Émond, la
bru de Rose-Aimée et doctorante dans le domaine de
l’éducation artistique à l’université de Concordia.
De plus, un troisième lancement est prévu pour le
jour de la Saint-Valentin 2023, à Galerie Blanche à
Montréal. Cette galerie vend plusieurs œuvres de
Rose-Aimée. Ça promet!
D’autres s’intéressent aussi à la vie de la sculptrice, au
point d’envisager faire un documentaire à son sujet.
J’ai cru comprendre que si cette initiative se concrétise,
mon livre pourrait servir de référence, car les éléments
de recherche qui s’y trouvent sont exhaustifs. J’en suis
ravie!
21 Citation tirée de la description de l’exposition. https://ccat.qc.ca/
actualite/rose-aimee-belanger-du-gres-au-bronze-40-ans-de-sculpture-
musee-dart-de-rouyn-noranda/, [consulté le 23 novembre 2022].
22 Jimmy Chabot, Rose-Aimée Bélanger mise à l’honneur dans la plus grande
exposition de ses œuvres, Radio-Canada, le 29 octobre 2022; https://ici.
radio-canada.ca/nouvelle/1928769/rose-aimee-belanger-sculpturice-les-
chuchoteuses-earlton?fbclid=IwAR1B8ClCRW3Wmxyq-4rYoXAhVbkGVk4
FD6n3MMJRf0pE0KH2RPhhIIBVW6o, [consulté le 31 octobre 2022].
Et, il y aura le salon du livre de l’Outaouais qui se
tiendra du 23 au 26 février 2023.
Laissez-vous charmer!
Nous sommes revenus au bercail, dans l’Est ontarien,
avec un baluchon de beaux souvenirs, rempli à
craquer.
La biographe en moi vous invite à lire le récit de
vie de Rose-Aimée et à vous laisser envoûter par la
douceur de ses œuvres qu’elle a réussies, soit dit en
passant, à faire parler pour elle, en misant presque
entièrement sur l’authenticité de son art et en taisant
sa personnalité captivante et les petites histoires
touchantes qui se cachent derrière ses sculptures.
À une époque où le monde peut nous paraître
particulièrement cruel et anxiogène, il est apaisant
de se laisser charmer par la beauté de ses créations
rafnées, empreintes d’une innie tendresse, d’une
grande sérénité et d’une petite pointe d’humour.
Je vous convie aussi à découvrir la splendeur de la
contrée du Nord ontarien et du Nord québécois, où
vivent des gens chaleureux, vaillants et talentueux, et
où se côtoient d’importantes villes minières, des lacs
étincelants, de majestueuses forêts et de riches terres
agricoles.
Le 28 octobre au Musée d’art de Rouyn-Noranda. On y aperçoit la biographie
de Rose-Aimée Bélanger en boutique. Photo: André Paris.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
32
J. Omer Gour –
défenseur de la
classemoyenne
Joseph-Omer Gour, ls de cultivateur et agriculteur dans l’âme, inculquait à
la jeunesse la conance en l’avenir. Son dévouement pour l’avancement des
cultivateurs et pour le progrès civique de Casselman, l’a placé au premier
rang des citoyens des comtés de Prescott-Russell. Fermier1, marchand2
général, maire de Casselman et député fédéral, de 1945 à 1959, il assuma
èrement ses fonctions, tout au long de sa vie.
Joseph-Omer Aimé Gour, ls de Wilfrid Gour et d’Éliza Marleau, vit le jour à
la paroisse de Saint-Victor d’Alfred, le 10 novembre 1893, et il grandit au sein
d’une famille de 18 enfants. Il fut baptisé en ces lieux, deux jours plus tard.
Il t ses études primaires à Alfred et ses études secondaires à Plantagenet.
Il épousa Aurore Laurin, en 1929. De leur union sont nés trois enfants,
notamment Gabrielle, Raymonde et Robert3. Aurore décéda en 1990.
Entre 1930 et 1935, J. Omer Gour fut maire de Casselman. Durant la crise
économique des années 1930, c’est l’agriculteur en lui qui le poussa à aider
les siens à traverser cette période difcile. Pour ce faire, il devint, entre
1 Selon la liste électorale de Casselman de 1935.
2 Selon les listes électorales de Casselman de 1940 et 1945.
3 Lucien Brault, Histoire des comtés de Prescott et de Russell, 1965. Robert, avocat, est décédé le 2 mai 2022.
Roger Pommainville
J. Omer Gour lors d’une campagne électorale.
On y voit aussi le député Alexis Caron à
l’extrème droite, député de Hull.
Photo : Musée de Clarence-Rockland.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 33
autres, le président-fondateur de la Coopérative de
lin de Casselman, le vice-président de la Coopérative
de lin de North-Lancaster ainsi que le président du
Conseil canadien du lin. Il fut également président-
gérant de l’entrepôt des Brasseries de Casselman.
Son but premier était de créer et de sauvegarder des
emplois, tout en améliorant la situation nancière des
agriculteurs franco-ontariens. On se rappellera que
c’était l’époque où le producteur laitier gagnait 1 $ du
100 livres de lait4.
Francine Racine Cayouette explique, dans l’anthologie
Raconter l’Est ontarien5, que son père, Alexis Racine,
avait accepté de cultiver du lin à la demande de
J. Omer Gour. « Sensible à la misère de ses concitoyens,
un fermier et commerçant de machines agricoles,
Monsieur Omer Gour, cherchait une façon de relancer
l’économie. Monsieur Gour était un homme d’action.
Selon lui, la seule façon d’améliorer le sort des Franco-
Ontariens, c’était de faire rentrer de l’argent chez les
cultivateurs de la région6. » Francine Racine Cayouette
ajoute, « Averti du besoin pressant d’obtenir de la bre
de lin pour confectionner les uniformes des soldats,
Omer Gour mobilisa la population de Casselman et
démarra la coopérative de lin. La première année, la
difculté fut de convaincre les cultivateurs de se lancer
dans cette culture. Pour convaincre les indécis, Omer
Gour s’engagea personnellement à remettre 100 $ par
acre ensemencée7. » Rapidement, le nombre d’acres
semées en lin augmenta, et l’usine fonctionna à pleine
capacité, au point tel qu’on décida de l’agrandir.
Plus de 100 employés y travaillaient, jour et de nuit,
en fonction de deux quarts de travail préétablis de
dix heures chacun.
« Après la Seconde Guerre mondiale, la demande
pour la bre ligneuse diminua considérablement. De
nouveaux procédés étaient inventés pour créer des
textiles à partir de plastique et de nylon. On ferma
la shop de lin en avril 1957. Cette coopérative fut la
bouée de sauvetage pour la population rurale de
l’[E]st ontarien8. »
Ce témoignage souligne à quel point J. Omer Gour
a été un grand défenseur de la classe rurale, des
4 Avant l’arrivée du système métrique au Canada, le cultivateur était payé
par 100 livres de lait et la bouteille de lait était soit en chopine ou en
pinte.
5 Francine Racine Cayouette, «La shop de lin» dans le livre intitulé
Raconter l’Est Ontarien, Les Éditions David, 2020.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 Ibid.
agriculteurs et du citoyen moyen. Possédant un
magasin général à Casselman ainsi qu’un commerce
de vente de machinerie agricole, J. Omer Gour aida ses
concitoyens du mieux qu’il a pu.
Mon père, Armand Pommainville, qui a toujours
été un supporteur du candidat Gour aux élections
fédérales, prota aussi de sa générosité en 1953.
M. Gour lui vendit un tracteur neuf (International
W-4), une charrue à deux versants neuve et un
cultivateur à disques neuf, pour leur prix coûtant
(1700 $). Mon frère, Réjean, possède encore ce W-4
qui servit, en 2019, à faire fonctionner une des
243 batteuses qui établirent un record Guinness
à St-Albert. Réjean possède aussi un cadre avec
thermomètre que M. Gour donnait à ses clients. Il faut
remarquer que le numéro de téléphone du magasin
était le « 13 ». Ce nombre indique que le magasin
était le treizième abonné au système téléphonique de
Casselman9.
9 Réjean Pommainville, archives personnelles. Réjean est décédé le
21mars 2022.
J. Omer Gour en compagnie de Monseigneur François-Xavier Barrette, l’un
des fondateurs de l’Ordre de Jacques-Cartier (La Patente). Photo : Muséoparc
Vanier.
Cadre avec le petit thermomètre que J. Omer Gour donnait à ses clients.
Photo: Roger Pommainville.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
34
Après sa carrière en politique municipale, J. Omer
Gour décida de se lancer en politique fédérale. Il
représenta le comté de Russell à la Chambre des
communes, du 11 juin 1945 au 24 mars 1959. Son
premier mandat débuta, en 1945, sous la gouverne
du premier ministre Mackenzie King. Il fut réélu, en
1949 et en 1953, sous le règne du premier ministre
Louis St-Laurent, puis en 1957 et en 1958, sous le règne
du premier ministre John Diefenbaker. Il décéda à la
Chambre des communes, le 24 mars, 1959, à l’âge de
65 ans. Il fut remplacé par Paul Tardif10.
Le comté de Russell a existé du début de la
Confédération, le 1er juillet 1867, jusqu’à la formation
de la circonscription de Glengarry-Prescott-Russell,
en 1966. Le comté de Russell, comprenant les cantons
de Clarence, de Cumberland, de Cambridge et de
Russell, était aussi regroupé avec les cantons de
Gloucester et d’Osgoode, depuis 1867. En 1903, on
ajouta le quartier Rideau de la ville d’Ottawa à cette
circonscription fédérale. Un nouveau tracé territorial,
en 1933, y ajoutait une partie du comté de Carleton
mais en excluait la ville d’Eastview et le village de
Rockcliffe11. Il y eut huit députés de Russell, entre
1867 et 1925, tous des anglophones, en dépit du fait
que la population était majoritairement francophone.
Par la suite, tous les députés furent francophones.
Il appert que J. Omer Gour ait toujours insisté pour
que le représentant du comté en question, à Ottawa,
soit un francophone, et ce, depuis l’arrivée de son
prédécesseur Alfred Goulet, de 1925 à 194512. Il est à
se demander si J. Omer Gour faisait partie d’une des
commanderies de l’Ordre de Jacques Cartier13, vu sa
10 Ce dernier fut élu à trois occasions par la suite, avant que le com
devienne une partie intégrante de Glengarry-Prescott-Russell.
11 «Russell (Ontario electoral district)», Wikipédia, https://en.wikipedia.org/
wiki/Russell_(Ontario_electoral_district), [consulté le 29 novembre 2022]
12 Ibid.
13 Il s’agit d’une société secrète canadienne-française catholique,
communément appelée « La Patente » ou « Les Pieds Noirs », qui tentait
de faire avancer la cause canadienne-française au pays.
détermination à défendre la cause francophone dans
des luttes scolaires et linguistiques.
J. Omer Gour continua sa dévotion auprès de la classe
moyenne par ses actions et par ses déclarations. Par
exemple, lors d’une intervention à la Chambre des
communes, en 1949, auprès d’un confrère citadin,
dont le salaire horaire était de 1,50 $ et qui se plaignait
des prix du lait et du beurre, le député Gour déclara :
« Si tu peux traire, dans une heure, assez de lait pour
rapporter une valeur de 1,50 $ de beurre, je te donne la
vache, la chaudière et la grange14. »
Durant son mandat comme député fédéral, le projet
de la construction d’un hôpital est proposé dans la
section ouest de son comté. Depuis 1947, des leaders
francophones de la région se mobilisaient pour bâtir
un établissement de soins de santé dans l’est de la
capitale nationale, qui offrirait des services en français
et qui serait administré en français. En décembre 1949,
on adopta le nom de Saint-Louis-Marie-de-Montfort
comme nom ofciel de l’hôpital, en l’honneur de
la congrégation des Filles de la Sagesse et de la
communauté des Pères Montfortains, établies dans
cette région. J. Omer Gour était membre du comité
fondateur lors de la cérémonie de la première pelletée
de terre pour la construction de cet établissement,
le 9 juillet 1950. L’institution hospitalière ouvrit ses
portes le 11 octobre 195315.
Il importe de souligner que J. Omer Gour avait aussi
un frère qui se démarqua comme député libéral à la
Chambre des communes. David Gour, né le 10 février
1885, aussi marchand général et un des fondateurs
de la ville d’Amos en Abitibi, devint le député de la
circonscription de Chapleau, de 1945 à 1957. Il est
décédé à Montréal, le 29 décembre 1981, à l’âge de
96 ans.
Quant au député J. Omer Gour, il n’a jamais oublié
ses racines agricoles, même s’il était aussi appelé à
répondre aux demandes de ses commettants urbains.
Bien que ce ne soit pas encore le cas, Casselman, son
village d’adoption, devrait, à mon avis, commémorer
son nom par une rue, un pont, une salle ou un parc.
14 Débats de la Chambre des communes, en 1948, tiré du livre de
Francine Bourgie et Jean-Pierre Proulx, Histoire d’Embrun, Comité du
125eanniversaire d’Embrun, 1981, p. 194.
15 «Notre histoire», Hôpital Montfort, https://hopitalmontfort.com/fr/
corpo/notre-histoire, [consulté le 29 novembre 2022].
Portrait de J. Omer Gour
lors de sa nomination pour
l’Ordre du mérite agricole
franco-ontarien en 1990.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 35
Michel Prévost sintéresse au
patrimoine franco-ontarien et
de l’Outaouais depuis près de
45ans. Il a été l’archiviste en chef
de l’Université d’Ottawa de 1990
à 2017. Le président de la Société
d’histoire de l’Outaouais, depuis
1997, détient une maîtrise
en histoire de l’Université
d’Ottawa. En 2013, le RPFO a
créé le Prix Michel-Prévost pour
reconnaître le meilleur article
publié dans LeChaînon et en
2015 l’Université Saint-Paul lui
a remis un doctorat honorique
pour souligner son engagement
exceptionnel en patrimoine.
Michel Prévost
Ferdinand Larose :
le premier agronome
franco-ontarien
En 1919, Ferdinand Larose devient le premier agronome franco-ontarien
embauché par le Département d’agriculture de l’Ontario pour conseiller
les agriculteurs des Comtés unis de Prescott et Russell. Cet agronome
visionnaire est surtout connu comme le père de la forêt Larose, dans
les environs de Bourget : la plus grande forêt plantée à main d’homme
au Canada. On connaît cependant beaucoup moins sa contribution
remarquable, pendant trois décennies, à la formation, au développement
et à la valorisation de l’agriculture en Ontario français, particulièrement
dans l’Est ontarien.
Ferdinand Larose. Photo: Archives de la forêt Larose.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
36
Ferdinand Larose est né à Sarseld, non loin d’Ottawa, le 1er avril 18881. Il
étudie d’abord en arts et en philosophie à l’Université d’Ottawa, puis, il
obtient, en 1918, un baccalauréat de l’Institut agricole d’Oka, au Québec.
Cet établissement, dirigé par les pères Trappistes et aflié à la Faculté
d’agriculture de l’Université Laval à Montréal, jouit d’une excellente
réputation.
Le ministère de l’Agriculture de l’Ontario embauche tout de suite le jeune
diplômé francophone comme conseiller agricole pour les Comtés unis de
Prescott et Russell. Le ministère ouvre un bureau dans le petit village de
Plantagenet. L’agronome commence par offrir aux cultivateurs franco-
ontariens une assistance technique en agronomie.
Un agronome engagé
Ferdinand Larose ne se contente toutefois pas de conseiller les fermiers
an d’améliorer leurs productions laitières et agricoles. Bien au contraire,
il est sur tous les fronts pour la communauté agricole franco-ontarienne.
Ainsi, pendant les années 1920 et 1930, il fonde des clubs agricoles
destinés aux garçons et aux lles intéressés à l’agriculture. Les élèves sont
alors sensibilisés à l’importance de l’utilisation des nouvelles semences,
à la qualité des produits et surtout à l’amélioration des rendements qui
ne sont pas toujours au rendez-vous. Pour Larose, il s’avère essentiel de
transmettre de bonnes connaissances aux agriculteurs et agricultrices de
demain.
1 Pour une biographie de Ferdinand Larose, voir Serge Dupuis, « Ferdinand Larose », L’Encyclopédie
canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/ferdinand-larose, [consulté le
19octobre 2021].
Pour ce faire, Larose appuie
fortement la préparation du
premier congrès des cultivateurs
franco-ontariens, organisé par
l’Association canadienne-française
d’éducation de l’Ontario (ACFÉO).
Par exemple, il effectue une
longue tournée de conférences
dans le sud-ouest et le nord de
l’Ontario « où il constatait que le
malaise agricole était général2. ».
Il note : « Bien que le reste du
monde progresse rapidement, le
cultivateur dépend encore, à bien
des endroits, pour faire sa vie,
sur les méthodes vieilles de 25 ou
50 ans, au moins. Tout le monde
se plaint que le cultivateur ne fait
pas d’argent, et très peu s’arrêtent
à rééchir sur les véritables causes
de la crise actuelle. Il n’y a pas de
doute qu’une grande réunion de
cultivateurs ferait beaucoup pour
au moins éclairer la situation et
retracer, dans ces grandes lignes,
les causes du malaise actuel3. »
De plus, l’agronome militant
envoie des lettres circulaires
invitant les fermiers de tous les
coins de la province à participer
à cette importante rencontre, à
Ottawa, les 16 et 17 avril 1929. Ce
congrès connait un vif succès avec
ses 400 participants, et il donne
naissance à l’Union catholique
des cultivateurs franco-ontariens
(UCCFO), qui devient l’Union des
cultivateurs franco-ontariens, en
1945. L’UCFO continue à jouer
un rôle incontournable pour la
communauté agricole et rurale de
l’Ontario français.
2 Sylvie Jean, Des Franco-Ontariens bien
enracinés. Les 75 ans de l’Union des cultivateurs
franco-ontariens, Clarence Creek, Les
Publications agricoles franco-ontariennes
inc., 2005, p. 23.
3 Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Union des
cultivateurs franco-ontariens, C30/1/11, cité
par Sylvie Jean, Des Franco-Ontariens bien
enracinés, Op. cit., p. 93.
L’agronome Ferdinand Larose, tenant les guidons, montre à Georges Bouchard (à gauche), sous-
ministre adjoint à l’Agriculture à Ottawa, comment ouvrir un sillon au concours de labour du canton de
Clarence, en 1947. À droite, le maire G. Landry. Photo : Université d’Ottawa, CRCCF, La Terre ontarienne,
nov. 1947, PER873.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 37
Un homme infatigable
Le monde agricole est particulièrement frappé
par la Grande Dépression des années trente. An
d’aider les agriculteurs à passer à travers la grave
crise économique, Ferdinand Larose encourage de
nouvelles cultures dans les Comtés unis, notamment le
houblon, le lin et le trèe rouge.
Par ailleurs, il œuvre à développer une industrie
laitière plus productive par le remplacement des
troupeaux laitiers par des vaches pur-sang de races
Holstein, Ayrshire et Jersey. Pour lui, il ne fait pas de
doute que l’agriculture doit être plus rentable et, dès
lors, plus attrayante.
À la même période, l’infatigable agronome fonde
l’Association des producteurs de semences de la
Vallée de l’Outaouais, l’Association des producteurs
de semences des Comtés unis de Prescott et Russell et
l’Association des laboureurs de l’est de l’Ontario.
En 1934, Larose développe des cours d’agriculture
en français dans les comtés de Kent et d’Essex, dans
le sud-ouest de l’Ontario, où les agriculteurs franco-
ontariens sont bien présents. En fait, les premiers
cultivateurs d’origine française se trouvent dans cette
partie de la province.
L’année suivante, il inaugure des cours en français
d’agriculture, de cuisine et de couture pour les
fermières des Comtés unis de Prescott et Russell.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les fermiers se
tournent vers l’agronome le plus connu de l’Ontario
français an que leurs ls soient reconnus comme
main-d’œuvre agricole indispensable sur les fermes
familiales. Grâce aux interventions de Larose, de
jeunes hommes sont exemptés du service militaire et
continuent à travailler dans leur domaine pendant la
guerre.
Il faut savoir qu’en 1941, près de 80 % des
290 000 Franco-Ontariens vivent à la campagne
dans l’est et le nord-est de la province. De plus, dans
les comtés de Kent et d’Essex, qui compte 10 % de
francophones, une partie importante habite toujours
en milieu rural4. L’urbanisation sera toutefois rapide,
après 1945.
La Forêt Larose
De toutes les contributions de Ferdinand Larose,
retenons la création de la vaste forêt qui porte son
nom. Dès son arrivée en poste, l’agronome fait
l’inventaire des terres des Comtés unis de Prescott
4 Ibid., p. 39.
La cueillette du houblon à Fournier vers 1930. Photo: Université d’Ottawa, CRCCF, Collection Centre culturel La Sainte-Famille, (C80) Ph83-R98-F5.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
38
VISAGES
et Russell. Il voit que l’érosion des sols, causée
principalement par l’exploitation forestière intensive
depuis le 19e siècle et les feux de forêt dévastateurs,
a créé un grand espace infertile de sable surnommé
« le désert de Bourget ». Certes, cette désignation
peut paraître exagérée, mais on y trouve de véritables
dunes comme dans un paysage désertique.
An d’arrêter l’érosion et de réhabiliter les sols, Larose
propose de reboiser avec des conifères une partie des
secteurs de Bourget, de Casselman et de Limoges. Une
entente entre les Comtés unis de Prescott et Russell et
le ministère des Terres et Forêts de l’Ontario permet
l’acquisition des premières terres agricoles devenues
incultivables et l’embauche de travailleurs de la région
pour planter les premiers arbres.
C’est ainsi que démarre, en 1928, l’ambitieux projet
de l’agronome visionnaire. Les débuts sont cependant
modestes avec la plantation de 6000 pins rouges et
pins blancs sur 40 hectares de terres sablonneuses.
Aujourd’hui, cette plantation des Comtés unis, d’une
supercie de plus de 11 000 hectares, s’avère, avec ses
quelques 18 millions d’arbres, l’une des plus grandes
forêts plantées par des humains en Amérique du
Nord5.
La retraite
En 1950, après plus de 30 ans de loyaux services
auprès des cultivateurs franco-ontariens de l’Est
ontarien, Ferdinand Larose part à la retraite. L’ancien
agronome, reconnu pour son engagement et sa
générosité, meurt à Montréal le 29 janvier 1955, à l’âge
de 66 ans.
L’ancien agronome, André Pommainville, résume
bien, dans le journal Agricom, de l’UCFO, la carrière
exceptionnelle de Ferdinand Larose : « Il devient un
catalyseur et un promoteur d’idées an d’améliorer la
gestion des pratiques agricoles du temps6. »
5 Pour un historique du développement de la forêt Larose, voir
Nicole Fortier etLouis Prévost, « La Forêt Larose. Une merveille
environnementale à préserver », Le Chaînon, vol 27, no 3 (Été 2009),
pages 27-29. Voir aussi l’historique et les photos d’archives sur le site
web de la forêt Larose, http://fr.prescott-russell.on.ca/visiteurs_et_loisirs/
foret_larose, [consulté le 21 octobre 2021].
6 André Pommainville, « Ferdinand Larose? pas seulement un planteur
d’arbres », Agricom, 6 octobre 2004, http://journalagricom.ca/ferdinand-
larose-pas-seulement-un-planteur-d-arbres/, [consulté le 20 octobre
2021].
Un agronome reconnu
En 1988, l’Union des cultivateurs franco-ontariens
décerne à Ferdinand Larose, à titre posthume, le prix
du Mérite agricole franco-ontarien. Cet honneur est
décerné à des personnes décédées, « qui ont contribué,
d’une façon exceptionnelle, au développement, au
bien-être et à l’épanouissement de la population
rurale francophone de l’Ontario7. » L’hommage
rendu à l’illustre agronome s’avère fort éloquent :
« Peu d’hommes parviennent à laisser une empreinte
durable, une œuvre qui les immortalise comme celle
qu’il a laissée à la collectivité8. »
De plus, en 2007, l’Association canadienne-française
de l’Ontario de Prescott et Russell crée, à l’initiative de
son ancien président, Jean Poirier, le Prix Ferdinand-
Larose décerné à des personnes vivantes ou décédées
ayant contribué à l’avancement du domaine agricole
dans les Comtés unis. Par la suite, le prix est remis
à un individu ayant valorisé l’environnement dans
Prescott et Russell.
Le premier Prix d’excellence en environnement
Ferdinand-Larose est remis à titre posthume à Ernest
Hurtubise, le contremaître de la forêt Larose, de
1949 à 1968. Ce dernier contribue grandement à
l’arboriculture dans les Comtés unis de Prescott et
Russell. Reconnu comme un mécanicien de grand
talent, il invente plusieurs machines pour aider au
reboisement et à l’entretien de la plantation9.
L’année suivante, l’ACFO de Prescott et Russell
envisage de changer son nom pour ACFO Ferdinand-
Larose an de souligner son 35e anniversaire de
fondation10, mais le changement ne se réalise pas. À la
même période, on songe à créer la région touristique
Larose, mais toujours sans succès.
Le nom de Ferdinand Larose demeure toutefois bien
vivant dans la toponymie franco-ontarienne, grâce à la
grande forêt qu’il a imaginée, au début du 20e siècle, et
qui porte aujourd’hui èrement son nom.
7 Sylvie Jean, Des Franco-Ontariens bien enracinés, Op. cit., p. 175.
8 Ibid, p. 177.
9 « Le premier prix Ferdinand-Larose remis à Ernest Hurtubise, à titre
posthume », Le Reet, 27 déc. 2007.
10 Louis-Denis Ebacher, «LACFO songe à changer de nom», Le Droit,
7juillet 2008, https://www.lapresse.ca/actualites/200809/08/01-656077-
lacfo-songe-a-changer-de-nom.php, [consulté le 21 octobre 2021].
LE CHAÎNON, HIVER 2023 39
VISAGES
Danielle Carrière-Paris Jérôme Tremblay,
un ami de la francophonie et
de la jeunesse, s’éteint mais
son legs inoubliable survit
C’est avec une profonde gratitude envers Jérôme Tremblay qu’André
Bléoo ma demandé de prendre la plume pour lui, an de vous
faire connaître un homme d’exception au sein de la communauté
franco-ontarienne. André, qui était un collègue de travail de Jérôme
à l’École secondaire Algonquin, à North Bay, a fourni les informations
pertinentes pour la rédaction de ce texte avec l’appui indispensable de
ses collaborateurs, notamment André Corbeil, Marcel Morin et deux des
lles de Jérôme, Lise Tremblay Filiatrault et Francine Laviolette.
Ci-dessous : Photo de Jérôme Tremblay
prise le 30 mai 2015. Photo: Gillian McColl
Photography.
Photo de l’Auberge des pionniers. Photo: Gracieuseté de Lise Tremblay Filiatrault, lle de Jérôme Tremblay.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
40
VISAGES
Jérôme Tremblay, ls de Corinne et de Lionel
Tremblay, voit le jour en 1936, à Mattawa, en Ontario.
Il grandit au sein d’une famille de six enfants, qui
compte quatre sœurs, Élaine, Marielle, Estelle, Laurelle
et un frère, Lionel Jr. Il épouse Claudette Lafrenière,
le 18 mai 1957, et, comme le dit si bien leur lle Lise,
« […] Ils étaient faits pour être ensemble puisqu’ils
étaient voisins à Mattawa ». De leur union, naissent
quatre enfants : Lise, Michel, Nicole et Francine.
Neuf petits-enfants et sept arrière-petits-enfants
suivront1.
Jérôme, pour qui la francophonie tient à cœur depuis
toujours2, a fait ses études primaires et secondaires en
français, à Mattawa, avant de faire son École normale
à l’Université d’Ottawa, en 1957-58. Il obtient ensuite,
en 1968, un baccalauréat ès arts de l’Université
Laurentienne avec spécialisation en français et en
histoire, puis un baccalauréat en éducation, en 1983
(par l’entremise de cours d’été et d’hiver), avec
spécialisation en éducation physique et santé de
l’Université de Toronto. Il a également suivi des cours
de direction d’école durant deux sessions d’été, en
1977 et en 1985.
Son impressionnant parcours professionnel comme
enseignant, puis comme directeur d’école, l’a mené à
Mattawa, à North Bay et à Ottawa. Jérôme a enseigné
trois ans à Mattawa, à compter de 1958, puis à North
Bay, au niveau primaire dans les écoles St-Thomas et
St-Vincent, de 1961 à 1968. Il devient ensuite, de 1968
à 1979, enseignant et chef de section en éducation
physique et santé au niveau secondaire à l’École
secondaire bilingue3. En 1981-83, il se joint à l’École
élémentaire à Pakenham en immersion, puis à l’école
intermédiaire Meadowland, de 1984-86, avant de
devenir directeur adjoint à l’école Ramsayville, en
1987, directeur à l’école Séraphin-Marion, de 1988-89
et directeur à l’école Charlotte-Lemieux, en 1990-94, à
Ottawa. Il prend sa retraite en 1994.
1 Avis de décès, «À la mémoire de Jérôme Joseph Temblay», Le Droit,
parution du 11 novembre 2021 au 13 novembre 2021, https://necrologie.
cn2i.ca/jerome-joseph-tremblay/avis-de-deces/le-droit/100006605,
[consulté le 25 novembre 2022].
2 Jean-François Dugas, «Un bâtisseur de la Maison de la francophonie
d’Ottawa nest plus», Le Droit, le 16 novembre 2021 mis à jour le
17novembre 2021, https://www.ledroit.com/2021/11/17/un-batisseur-
de-la-maison-de-la-francophonie-dottawa-nest-plus-4a507957e1506f53
5bc18da947dd854e, [consulté le 17 novembre 2021].
3 Cette école sera connue plus tard comme l’École secondaire Algonguin.
Selon les propos de sa lle, Lise, Jérôme quittera temporairement
l’enseignement après l’année scolaire de 1979 pour se vouer à
l’entreprise familiale, LAuberge des pionniers, dont il est mention un peu
plus loin dans ce texte.
André Corbeil, qui a connu Jérôme Tremblay pendant
l’année scolaire de 1960-61, alors que ce dernier était
enseignant de 8e année à l’École St-Thomas de North
Bay, se rappelle que lorsqu’il faisait son inscription
à la faculté d’éducation physique à l’Université
d’Ottawa, en 1965, Jérôme l’incita à postuler auprès
de la nouvelle École secondaire bilingue de North
Bay4. André Corbeil entra ainsi en fonction dans cet
établissement en tant qu’enseignant, en 1970, peu
après sa graduation. André se souvient que Jérôme,
qui avait agi comme catalyseur et mentor pour
lui, était un chef de section d’éducation physique
exemplaire dans cette école. « Par son leadership, il
a su rassembler ses enseignants, ses entraîneurs, en
plus de les motiver et de les encadrer. Les équipes
sous sa tutelle ont connu des succès tant au niveau
du district (Nipissing District Association), qu’aux
niveaux régional (Northern Ontario Secondary
Schools Association) et provincial (Ontario Federation
of School Athletic Associations)5. »
Puis, en 1963, alors que les francophones de North
Bay s’afchent discrètement par l’entremise du
nancement de la patinoire St-Vincent-de-Paul
et d’autres activités du genre, Jérôme Tremblay,
avec l’appui de Roger Pitre, Claude Deschâtelet
et Simon Brisebois, co-fonde le centre culturel Les
Compagnons des francs loisirs dans le but de divertir
les francophones de la région6. Ils lancent, cette même
année, le Carnaval d’hiver annuel qui rassemble,
encore aujourd’hui, les francophones de cette région.
Cet organisme prendra de l’expansion au l du temps,
an d’offrir des cours de danse, des présentations, des
rencontres, des conférences et une programmation
artistique en français à l’année longue7. Des garderies
francophones se grefferont éventuellement à
l’établissement8. Jérôme fut président fondateur de
cet organisme, de 1963 à 1969. Près de 60 ans après sa
fondation, le centre culturel perdure toujours. À cet
égard, le président actuel du conseil d’administration
de l’organisme souligne que « M. Tremblay est une
personne qui a eu une inuence à North Bay, mais à
l’échelle provinciale également. C’est un homme
4 Lécole fut ensuite connue sous le nom de l’École catholique Algonguin
(ESA).
5 André Corbeil par l’entremise d’un courriel adressé à André Bléoo en
date du 21 novembre 2021.
6 «Notre histoire», Les Compagnons des francs loisirs, https://
lescompagnons.org/notre-histoire/, [consulté le 17 novembre 2021].
7 Jean-François Dugas, «Un bâtisseur de la Maison de la francophonie
d’Ottawa nest plus», Op. cit.
8 Ibid.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 41
VISAGES
qui a dévoué toute sa vie à la francophonie […] C’est
vraiment un legs impressionnant qu’il nous laisse9. »
Dans les années 1970, Jérôme rêve d’établir un centre
récréatif de plein-air pour les jeunes francophones.
Ainsi, en 1975, il fonde une entreprise familiale connue
sous le nom de l’Auberge des pionniers10, près de
Mattawa. Un premier camp est offert, en 1976, lors
de l’ouverture de l’Auberge. On y permet aux jeunes
étudiants franco-ontariens, de 6 à 18 ans, provenant
d’un peu partout en province, notamment de Hearst,
de Timmins, de Sudbury, d’Ottawa, de Toronto, et
d’ailleurs11, de vivre l’expérience de la vie en forêt12.
Les programmes « Franco Jeune-Air Scolaire »
offraient aux jeunes la possibilité de faire du canotage,
du kayak, de la voile, du secourisme, de l’équitation,
du ski nautique, de la survie en forêt, du tir à l’arc et à
la carabine, de l’escalade, de la natation, de l’artisanat
et de la pêche. Si les sessions étaient uniquement
offertes aux jeunes francophones, on offrait également
une session pour les jeunes anglophones désireux
de se familiariser et de s’amuser en plein-air tout
en apprenant la langue française. Un camp de
9 Jean-François Dugas, Op. cit.
10 Lentreprise a été incorporée en juillet 1975; Courriel de Lise Tremblay
Filiatrault adressé à André Bléoo, le 21 novembre 2021.
11 Selon les propos de Lise, la lle de Jérôme, les jeunes venaient de partout
dans la province mais aussi d’ailleurs. Pendant quelques étés, un jeune
est venu de Vancouver et pendant un autre été un jeune est venu des
Bahamas.
12 Jean-François Dugas, Op. cit.
leadership pour les jeunes francophones et un camp
d’entraînement de course cross-country pour les jeunes
bilingues, étaient aussi disponibles.
André Corbeil, qui fut directeur adjoint de l’Auberge,
en 1976-77, se rappelle de l’achat du terrain, en 1972,
en bordure de la rivière Mattawa, de la construction
du chemin d’entrée jusqu’à la rivière en question
ainsi que de la construction de la ligne d’hydro, du
quai, des chalets, de la buanderie et plus encore, sous
la supervision de « Pépère », le père de Jérôme, qui
était alors âgé de 75 ans. Plus tard, la construction
d’un restaurant, près de la route 17, pour accueillir
les skieurs-visiteurs du centre de ski de Matawa,
s’ensuivit. André raconte également, en riant, « Jérôme
ne me laissa pas oublier son souper de fèves au lard,
qu’il m’avait demandé de surveiller lors d’une de
ses absences, et de ‘bien’ brasser… Un souper, qui,
malheureusement, est devenu une ‘soupe aux pois’13. »
Selon André Corbeil, le manque d’adhésion des
conseils scolaires, des accidents de plein air ailleurs
en province et des taux d’intérêt de 20 %14 auraient
contribué à la fermeture de cet établissement.
L’Auberge ferme ses portes en 1982.
13 André Corbeil par l’entremise d’un courriel adressé à André Bléoo, en
date du 21 novembre 2021.
14 Ibid.
Coupure du journal Nugget, en juillet 1976, à l’ouverture de l’Augerge des pionniers. Photo
fournie par André Corbeil.
Photo de l’Auberge des pionniers. Photo: Gracieuseté de
Lise Tremblay Filiatrault, lle de Jérôme Tremblay.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
42
Puis, vers 1997-9815, avec l’appui de la Caisse
populaire Champlain, le Conseil de la coopération
de l’Ontario, et d’autres bailleurs de fonds16, la
Coopérative Ami Jeunesse, qui se donne comme
mission « de travailler au soulagement de la pauvreté
et de ses effets chez les enfants francophones
d’Ottawa », voit le jour17. L’inspiration pour la
création de cette coopérative lui vient alors qu’il est
directeur de l’école Charlotte-Lemieux, à Ottawa.
« […] J’ai vu tellement de pauvreté, ça n’avait pas de
bon sens […] Il y avait une vague d’immigrants qui
arrivait et la majorité de ces gens étaient très pauvres.
Les enfants arrivaient à l’école en hiver sans bottes
aux pieds et sans mitaine aux mains. Beaucoup de
parents ne pouvaient pas payer le matériel scolaire
nécessaire. C’était vraiment triste. Alors quand
j’ai pris ma retraite je me suis dit que j’allais faire
quelque chose pour aider ces enfants. J’ai donc créé la
Coopérative Ami Jeunesse, en 199718. » L’entité prend
son envol à un rythme fulgurant et « […] aujourd’hui,
l’organisme vient en aide aux enfants dans le besoin
qui fréquentent les écoles des deux conseils scolaires
de la région d’Ottawa19 ». On y organise, entre autres,
la collecte de denrées non-périssables et de produits
de base; on y distribue des paniers de nourriture; on
y collecte et distribue des layettes aux nouveaux-nés;
on y gère une banque alimentaire de dépannage; on y
organise une distribution spéciale pour le partage des
fêtes et une collecte annuelle de foulards, de mitaines,
de chapeaux, de bas et de pyjamas20. Si, à ses débuts,
cette coopérative venait en aide à 75 familles et 188
enfants, une décennie plus tard, elle appuyait 1564
familles et 4521 enfants21. En 2009, à l’âge de 73 ans,
Jérôme consacrait 30 heures par semaine au
15 Il est à noter que le site web de la Coopérative Ami Jeunesse indique
que la coopérative a vu le jour en 1998 mais la citation de Jérôme Lemay
indique qu’il a créé l’organisme en 1997.
16 Courriel d’André Bléoo adressé à Danielle Carrière-Paris, le 17 novembre
2021; «Historique», Coopérative Ami Jeunesse, https://amijeunesse.
wixsite.com/ami-jeunesse/historique, [consulté le 17 novembre 2021].
17 «Coopérative Ami Jeunesse», Facebook https://www.facebook.com/
cooperativeamijeunesse/, [consulté le 17 novembre 2021].
18 Ce sont les propos de Jérôme Tremblay, site web de la Coopérative Ami
Jeunesse, https://amijeunesse.wixsite.com/ami-jeunesse, [consulté le
17novembre 2021].
19 Courriel d’André Bléoo adressé à Danielle Carrière-Paris, le 17 novembre
2021.
20 « Notre Mission », Coopérative Ami jeunesse, https://amijeunesse.wixsite.
com/ami-jeunesse/mission, [consulté le 17novembre 2021].
21 Denis Gratton, «Jérôme Tremblay, l’ami de la jeunesse», Le Droit, le
5octobre 2009, https://www.ledroit.com/2009/10/05/jerome-tremblay-
lami-de-la-jeunesse-5d69f5d9b285e9f2437da89e960a1f0a?nor=true,
[consulté le 17 novembre 2021].
groupe Ami Jeunesse, à titre de bénévole22. Il occupa la
présidence de la coopérative de 1998 à 201223.
Ensuite, en 2002, par l’entremise du Club Soleil de
l’Ouest, d’Ami Jeunesse et du Centre culturel Franco-
Ouest, la Coopérative multiservices francophone
de l’Ouest d’Ottawa (CMFO) est inauguré sous
la gouverne de Jérôme Tremblay. Cette entité, qui
mènera à la création de la Maison de la francophonie
d’Ottawa, dessert les familles d’expression française
de cette région, notamment les familles à risque,
marginalisées et moins nanties qui nécessitent l’appui
des services sociaux, récréatifs et culturels dans le but
d’améliorer le bien-être, notamment, des jeunes, des
aînés, des immigrants et de leurs familles24. Le conseil
scolaire des écoles publiques de l’est de l’Ontario
(CEPEO), étant le propriétaire du site de la Maison de
la francophonie d’Ottawa, a développé une entente
avec la CMFO qui garantit la participation de la
communauté au carrefour pour la durée de vie du
projet25.
Il importe de souligner que la Maison de la
francophonie remet, annuellement, à une organisation
ou à un bénévole, le Prix de reconnaissance
Jérôme-Tremblay. À cet égard, la présidente et le
vice-président de la Maison soulignent, au moment
de son décès, « Un grand homme, un bâtisseur,
généreux de son savoir et de ses idées, une force
tranquille nous a quittés. On ne compte plus les
causes soutenues, les projets réalisés, les personnes
aidées par ses actions. Son véritable legs, ce sont les
valeurs humaines si chères qu’il défendait et qu’il a
su partager. Il serait er aujourd’hui de voir que la
Maison de la francophonie d’Ottawa s’inspire de ses
valeurs pleines de gratitude face à la vie, d’où le Prix
Jérôme-Tremblay que l’on décerne annuellement à des
personnes ou des organismes qui se sont distingués
par leur dévouement bénévole auprès de la Maison de
la francophonie d’Ottawa26. »
22 Ibid.
23 Courriel d’André Bléoo adressé à Danielle Carrière-Paris, le 17 novembre
2021.
24 Deux documents intitulés La Maison de la francophonie d’Ottawa (CMFO)
ont été fournis par Marcel Morin. Un de ces documents porte sur
l’historique du CMFO et l’autre sur le fonds C177 du Centre de recherche
en civilisation canadienne-française qui porte également sur le CMFO.
25 Document intitulé La Maison de la francophonie d’Ottawa (CMFO) fourni
par Marcel Morin.
26 Fatima Aden Osman, présidente, et Ronald Bisson, vice-président,
Message de condoléances de la Maison de la francophonie
d’Ottawa, https://app.cyberimpact.com/newsletter-view-online?ct
=AFuHdvW0nwOURodbtGndBF_25zZC6rOM7g4DuLc2JhbzovwyN-
PFDzlyE22hINqedVFnv-FFcnxdI4m0s-tNbQ~~&fbclid=IwAR12Z9bq8W8
ZdswW7SvEOY9c7qX9Gty2vbFfPGxSebgOZLx5W9GO6k5J0_c, [consulté
le 3 décembre 2021].
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 43
VISAGES
Parmi les reconnaissances qui lui furent
décernées, on note que Jérôme a été honoré
pour son précieux engagement. Il est
récipiendaire du Mérite franco-ontarien à titre
de Bien Méritant de l’Association canadienne-
française d’éducation de l’Ontario (AEFO),
reconnaissant les services à la cause française,
ainsi que l’Ordre du mérite Albert-Régimbal de
l’Assemblée des centres culturels de l’Ontario
(ACCO), en 1986. Voici ce que le journal de
l’ACCO écrivait, en septembre 1986, à ce
sujet : « M. Jérôme Tremblay s’est distingué
auprès de la communauté francophone de
North Bay grâce à ses talents d’organisateur
et de promoteur. Ses fonctions d’enseignant,
aux niveaux primaire et secondaire, l’ont
amené à se préoccuper tout spécialement de
l’avenir réservé aux jeunes Franco-Ontariens. »
En 2005, il a reçu le Laurier du citoyen de
l’année émis dans le cadre des Prix Bernard-
Grandmaître de l’ACFO Ottawa. Il est aussi
récipiendaire de la Médaille du jubilé de
diamant de la reine Élizabeth II (2012) pour
son importante contribution communautaire27
et, plus particulièrement, pour son travail de
bénévole et de fondateur de la Coopérative
Ami Jeunesse.
Pour Carol Jolin, ex-président de l’Assemblée
de la francophonie de l’Ontario (AFO), Jérôme
Tremblay était « […] un homme extrêmement
impliqué et convaincu […] C’était un leader
né. Il était capable de rallier les gens. C’était un
homme facile d’approche, qui avait une vision
communautaire extrêmement forte. Il voulait
faire la différence28. »
Son ls Michel résume la vie de son père par
ces trois mots : « la famille, la francophonie et
les jeunes29 ». Quant à deux de ses lles, Lise
et Francine, elles se rappellent que « Jérôme
a toujours aimé le plein-air et, lors de ses
moments de détente, il aimait beaucoup aller
à son camp, à Mattawa. Que ce soit pour
la pêche, la chasse, accomplir des projets
d’agrandissement ou passer des moments
inoubliables en famille, Jérôme était heureux
27 Jean-François Dugas, Op. cit.
28 Ibid.
29 Dans un hommage livré par Michel Tremblay lors des
funérailles de son père,tel que reporté dans l’article de Jean-
François Dugas, Op. cit.
Photo prise le jour où Jérôme a reçu la Médaille du jubilé de diamant de la reine
Élizabeth II (2012). Le très honorable David Johnston était gouverneur général à
l’époque. Photo: Francine Laviolette, lle de Jérôme Tremblay.
dans la nature! C’était pour lui, un retour à ses racines de
guide et être dans la nature à faire des activités de plein-
air. De plus, il était un GRAND partisan des Canadiens de
Montréal! Il portait toujours ses vêtements du Canadien
èrement, et il a même sa propre brique au Centre Bell qui
dit : Jérôme Tremblay, le Canadien tatoué au cœur. »
Jérôme Tremblay s’est éteint le 9 novembre 2021, à son
domicile, à l’âge de 85 ans, après une longue lutte contre
l’Alzheimer. Inutile de dire que « ses passions pour le bien-
être des enfants, la francophonie et l’éducation demeureront
une grande source d’inspiration30 ». Pour plusieurs, le
précieux legs du don de soi et des nombreuses réalisations
de ce vaillant allié de la communauté franco-ontarienne,
subsistera encore longtemps.
30 Avis de décès, Op. cit.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
44
Originaire de Hearst, Agathe
Camiré commence sa carrière en
santé publique à Kapuskasing.
En 1975, elle décide de
réorienter sa carrière dans le
domaine des communications.
Elle travaille pendant un peu
plus de sept ans pour le journal
Le Nord, dont quatre ans comme
directrice au bureau de Hearst.
En 1983, elle déménage à
Ottawa et passe 22 ans à Radio-
Canada Ottawa-Gatineau à titre
d’agente des communications.
Elle a deux lles et deux petits-
enfants et habite toujours à
Ottawa.
Agathe Camiré
Ma vie sur les bords
de la Mattawishkwia:
un récit
autobiographique
Pendant longtemps, ma mère, Simone Lecours Camiré, a voulu écrire sa
vie. Elle souhaitait, entre autres choses, parler de sa jeunesse pour que ses
enfants, ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants sachent comment était
la vie à cette époque. Pour lui faciliter la tâche, je lui ai proposé de l’écrire
avec elle. Le projet a débuté en 2015. Le livre, intitulé Ma vie sur les bords
de la Mattawishkwia, a vu le jour en avril 2021. Malheureusement, ma mère
n’était plus là pour voir le produit nal, étant décédée en 2017. Elle avait
95 ans. J’ai décidé de publier sa biographie, même si c’est à titre posthume,
an d’honorer sa mémoire et pour que nous comprenions mieux qui elle
était. Puisque c’est elle qui m’a coné ses souvenirs, j’ai également tenu à ce
qu’elle signe ce livre (tout en ajoutant mon nom comme collaboratrice). Je ne
suis qu’une courroie de transmission.
Les 12 enfants de Stéphanie et d’Arthur, en rang d’âge, en 1939. De gauche à droite : Adrien, Simone, Maurice, Clément, Paul, François, Monique, Jules,
Charles, Léon, Benoit, Laurent. Photo: Archives familiales.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 45
Ma mère était une femme forte,
dévouée et dynamique, dotée d’une
foi inébranlable en Dieu. Une femme
qui s’est engagée à fond dans sa
communauté et qui a su s’adapter au
mode de vie toujours en évolution.
Je raconte sa vie comme elle me l’a
racontée. Pour apporter un peu plus de
clarté ou de profondeur à ses propos,
j’ai inclus le contexte sociohistorique
de certaines situations. Par exemple,
lorsque je décris comment elle a vécu
la Grande Dépression des années
1930, je me suis permise de citer
des ouvrages qui traitent de cette
période éprouvante. Je retrace les
faits marquants de sa longue vie, son
engagement communautaire, mais aussi
les événements importants qui ont ponctué
le développement de la ville de Hearst. J’ai aussi
fait considérablement de recherches sur ses ancêtres
– donc… les miens – en me basant sur les arbres
généalogiques qu’elle avait constitués.
La rivière Mattawishkwia est l’un des symboles de
la ville de Hearst, où étaient profondément plongées
ses racines, ce qui a inué sur le choix du titre. Le
mot Mattawishkwia est d’origine algonquine. On lui
accorde différentes signications, mais celle adoptée
par la municipalité est : « virages à l’embouchure de la
rivière ». La vie, comme une rivière, prend souvent des
tournants au cours des années; j’aime faire ce parallèle
entre la vie de ma mère et la rivière.
Mes parents, Arthur et Simone Lecours
(néeCamiré)
Ma mère est née le 30 juillet 1921, à Sainte-Justine,
dans le comté de Dorchester, au Québec. Elle était la
deuxième d’une famille de 12 enfants qui comptait
deux lles et dix garçons. Elle a près de six ans lorsque
ses parents, Arthur Lecours et Stéphanie Pouliot, et
les cinq enfants que comptait alors la famille, arrivent
à Hearst (qui s’appelait alors Grant), le 21 avril
1927. À l’époque, la population compte entre 600 et
700 habitants et est composée principalement de gens
originaires de l’Europe de l’Est et des îles Britanniques.
L’anglais est la langue d’usage. Cependant, au cours
des ans, d’autres francophones venant de diverses
régions du Québec, attirés par les emplois dans
l’industrie du bois de sciage et par des salaires plus
élevés, ont migré vers Hearst. Des anglophones
ont quitté, faisant en sorte que la proportion de
francophones a augmenté de façon considérable.
Aujourd’hui, la population se chiffre à un peu plus de
5000 habitants, dont près de 90 % parlent français.
Arthur Lecours était le troisième d’une famille de
11 enfants, dont cinq sont décédés en bas âge. Il est
né le 1er juillet 1893, à Minneapolis, dans l’État du
Minnesota. Son père, Damase, qui était agriculteur
comme la plupart de ses ancêtres canadiens, et sa
mère, Évangéline – qui était enseignante avant de se
marier –, avaient quitté Sainte-Claire, dans le comté
de Bellechasse, pour aller vivre à Minneapolis. Les
nouveaux mariés ont suivi l’exemple de milliers
d’autres de leurs compatriotes qui partaient s’installer
dans des villes industrielles du Nord-Est des États-
Unis, où ils trouvaient facilement un emploi, surtout
dans les latures, ou ailleurs dans ce pays comme l’ont
fait mes arrière-grands-parents.
Alors que la grande majorité des Canadiens français
émigrés aux États-Unis décidèrent d’y rester, Damase
et Évangéline choisirent de revenir vivre au Québec.
Ils s’établirent à Sainte-Justine, « sur une terre de
roches », aux dires de leur ls, Arthur. L’hiver, pour
joindre les deux bouts, Damase travaillait comme
bûcheron dans différents chantiers forestiers,
notamment à Daaquam, dans la région de Chaudière-
Appalaches, près de l’État du Maine. Il partait à la n
de l’automne et ne revenait souvent qu’au printemps
suivant. Après avoir terminé sa 5e année, Arthur dut
abandonner l’école pour contribuer au revenu familial.
À 11 ans, l’hiver, il partait dans les chantiers avec son
Arthur Lecours et Stéphanie Pouliot, le jour de leur mariage, le 1er juillet 1919. Photo : Archives
familiales.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
46
père. Il conduisait déjà une team de
chevaux! Ça devait être laborieux,
du moins au début, lui qui n’avait
jamais été grand ni costaud. Il a
donc appris, très jeune, un métier
qu’il pratiquera toute sa vie.
L’été, il aidait aux travaux de la
ferme. Dans la vingtaine, il acheta
une ferme en face de celle de ses
parents.
Stéphanie Pouliot est née le
29 janvier 1897 à Saint-Philémon,
comté de Bellechasse, où ses
parents, Napoléon et Amarylise,
étaient cultivateurs. Stéphanie
était la troisième d’une famille
de cinq enfants, dont trois
survécurent. Elle n’avait que
trois ans quand sa mère mourut.
Napoléon déménagea alors avec
ses enfants chez ses propres
parents, qui étaient agriculteurs,
à Albanel, au Lac-Saint-Jean.
Nous sommes au début de la
colonisation de cette région, où
l’on y vit pauvrement.
Après le décès de son père,
puis de sa mère, cinq ans plus
tard, Napoléon vendit la ferme
familiale et partit travailler dans
des moulins de pâtes et papiers,
un peu partout au Québec. Il se
vit dans l’obligation de placer ses
trois enfants en pension. Il choisit
de les installer à Saint-Philémon,
leur village natal. Émile, le plus
jeune, va vivre dans une famille
du village tandis que Marilda
(Amarylda) et Stéphanie sont
admises comme pensionnaires
au couvent tenu par les Sœurs
de la Charité de Saint-Louis. Les
religieuses sont sévères, aucun
écart de conduite n’était toléré.
C’est là que Stéphanie apprend à
craindre son Dieu…
C’est au couvent que Stéphanie et
Marilda terminent leurs études,
obtenant toutes deux leur brevet Première maison de la famille de Stéphanie et d’Arthur, où ils se sont installés à leur arrivée à Hearst, en
1927. Photo: Archives familiales.
d’enseignement pour l’école primaire. Stéphanie a alors 16 ans, Marilda,
17 ans. Comme il fallait être âgé de 17 ans pour pouvoir enseigner,
Stéphanie va prendre des leçons chez une couturière de Saint-Philémon.
Ensuite, elle enseigne pendant quatre ans à Saint-Magloire, comté de
Bellechasse, aux élèves de 1ère et de 2e années, alors que sa sœur fait la
classe dans la même école aux enfants plus âgés. Leur salaire est de 200 $
par année. Notons qu’une bonne paire de bottines coûtait environ 18 $ à
l’époque. Le coût de la vie était élevé!
Après son séjour à Saint-Magloire, Stéphanie va enseigner pendant un
an à Sainte-Justine, où elle rencontre Arthur Lecours, celui qui deviendra
son compagnon de vie. Ils se marient le 1er juillet 1919 et emménagent
dans la maison d’Arthur. Ils élèvent quelques animaux : vaches, cochons,
poules et moutons. Les naissances des enfants sont rapprochées : pas
plus de 18 mois entre chacune. Les moyens de contraception qui existent
à cette époque sont proscrits par l’Église catholique. Il est défendu
« d’empêcher la famille », de dire « non » à son mari. Le seul moyen
permis est l’abstinence… Stéphanie, qui était très croyante, nous racontait
que le matin de son mariage, le prêtre, qui l’avait confessée, lui avait dit
que c’était péché mortel que de « refuser son mari » et que seul l’évêque
pouvait pardonner un tel manquement. Puisque celui-ci se trouvait à
Québec, à 100 kilomètres du village, et qu’il fallait s’y rendre en carriole
tirée par des chevaux, la consigne fut suivie…
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 47
Les Lecours à Hearst
À son arrivée à Hearst, en 1927, la famille vit avec
le strict minimum, sans eau courante, ni téléphone,
ni électricité, dans une maison de deux chambres à
coucher, mal isolée, sur une ferme de 200 acres, située
à cinq kilomètres à l’est du village. On s’éclaire à l’aide
de lampes à l’huile de charbon; l’alimentation en eau
se fait par un puits peu profond. Le premier hiver,
il a fait tellement froid que l’eau a gelé. La neige est
alors devenue la seule source d’eau; il fallait la faire
fondre dans un grand boiler (une grande cuve) pour les
besoins de la maison et des animaux.
Les enfants marchent sur la voie ferrée, été comme
hiver, pour se rendre à l’école, où les Sœurs de
Notre-Dame du Perpétuel Secours leur enseignent.
L’été, le père travaille sur la ferme; l’hiver, il part
pour les chantiers avec son frère, Fred (arrivé en
août 1927), dans la région de Coppell et Jogues. Il
vient à la maison une ou deux fois par mois, pour
environ 24 heures, parfois à pied, à travers les bois
et sur le chemin de fer, sur une distance de plus de
30 kilomètres.
Tout au long du livre – qui compte 565 pages
parsemées de nombreuses photos et de tableaux
généalogiques – on constate le courage, la ténacité et
l’ingéniosité dont la famille a dû faire preuve pour
s’acclimater à sa terre d’adoption. Avec le temps,
les conditions de vie se sont améliorées, surtout
après qu’Arthur et Fred eurent fait l’acquisition,
en 1935, de la cour à bois qu’ils nommèrent Hearst
Lumber. Puis, en 1939, Arthur fonde une compagnie
forestière connue aujourd’hui sous le nom de Lecours
Lumber. Établie à Calstock, à 40 kilomètres à l’ouest
de Hearst, elle est aujourd’hui la plus grande scierie
indépendante en Ontario. L’un des ls d’Arthur et
de Stéphanie, Benoit, et ses deux enfants, en sont les
propriétaires.
Simone Camiré, née Lecours
À 12 ans, après avoir terminé sa 8e année, Simone doit
quitter l’école pour aider sa mère dans les travaux
ménagers et s’occuper des jeunes enfants. Elle, qui
réussissait très bien en classe, voit s’estomper, avec
tristesse, son rêve de devenir enseignante.
Les heures de travail sont longues et monotones pour
Simone. Les loisirs sont rares. Parfois, avec ses frères,
elle se joint à des parties de cartes que la paroisse
organise pour amasser des fonds. Sa mère lui interdit
d’assister à des soirées dansantes à Bradlo, une
communauté située à environ 13 kilomètres au sud de
Hearst, où vit une cinquantaine de familles slovaques.
Les prêtres catholiques sont contre la danse – ça peut
conduire au péché! Stéphanie, qui a une foi profonde
et un amour de Dieu indéfectible, suit dèlement
les enseignements de l’Église; la religion occupe une
place prépondérante au sein de la famille. Elle assistait
parfois à des retraites où les prêtres-prédicateurs
disaient : « Vous êtes responsables de vos enfants et
vous serez jugés sur leur âme. » Et puis, elle ne voulait
surtout pas que Simone marie un homme qui n’était
pas catholique ni francophone…
À 20 ans, à l’occasion d’une veillée mortuaire, Simone
rencontre celui qui allait devenir son mari, Jules
Camiré. Ils se marient deux ans plus tard. Huit enfants
sont nés de cette union, dont des jumeaux. Je suis
l’aînée. Aujourd’hui, en plus des huit enfants, la
famille de Simone et Jules compte 16 petits-enfants et
24 arrière-petits-enfants. Deux arrière-petits-enfants
sont décédés en bas âge.
Simone était une féministe convaincue, croyant en
l’égalité hommes-femmes et oeuvrait en ce sens au
sein de nombreux organismes, souvent à titre de
présidente, de vice-présidente ou de trésorière. Elle a
mis n à son bénévolat à l’âge de 90 ans, au moment
où elle a pris sa retraite de la Chorale Notre-Dame,
communément appelée « la chorale des funérailles ».
Elle avait participé à sa mise sur pied et en a fait partie
avec bonheur pendant près de 35 ans. Elle a également
été membre de plusieurs organismes liés à l’Église.
En 1970, par exemple, elle est devenue responsable
diocésaine pour le Mouvement des femmes
chrétiennes (MFC) puis, par la suite, responsable
interdiocésaine, de 1971 à 1976, ce qui impliquait de
grandes responsabilités, car elle représentait cinq
diocèses du Nord de l’Ontario. En 1975, au cours de
l’Année internationale des femmes, Monseigneur
Roger Despatie, évêque du diocèse de Hearst, l’avait
sollicitée pour effectuer un sondage dans tout le
diocèse an de déterminer le rôle des femmes dans
l’Église et de lui présenter des recommandations.
Elle s’est également dévouée pendant de nombreuses
années pour le mouvement des scouts et guides
francophones. Son bénévolat a été reconnu à maintes
reprises par la municipalité de Hearst et aussi par
le gouvernement de l’Ontario. En 2005, elle a été
récipiendaire du titre de « bénévole de grand mérite »,
une distinction qui rend hommage aux personnes
œuvrant à améliorer la qualité de la vie dans la
province.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
48
Les ancêtres
J’ai été passionnée par ce projet d’écriture portant
sur la vie de ma mère, mais aussi par les recherches
généalogiques. Un chapitre du livre est consacré aux
ancêtres Pouliot et Lecours (Lecour, Lecourt), et un
autre chapitre porte sur la généalogie de la famille de
mon père, les Camiré (Comirey/Comiré) et les Caux
(Koch). Y sont retracées les quatre lignées remontant
jusqu’aux premiers ancêtres qui se sont expatriés en
Nouvelle-France. Plusieurs d’entre eux sont arrivés
avant 1663, au début de la colonisation. Celle-ci avait
commencé par la fondation de la ville de Québec par
Samuel de Champlain, en 1608. Les succès avaient
d’abord été minces. En 1640, la population n’atteignait
pas les 500 habitants. En 1663, elle s’élevait à environ
2500, dont 99 % venaient de France.
Ancêtres maternels (Pouliot)
Les ancêtres maternels, tout comme les ancêtres
paternels de ma mère, sont tous originaires du nord
ou du nord-est de la France. Charles, le premier
Pouliot à émigrer au Canada, habitait dans le hameau
de Champaissant, aujourd’hui fusionné avec Saint-
Cosme-en-Vairais, dans les Pays de la Loire. Il serait
vraisemblablement arrivé en Nouvelle-France, en
1650, à l’âge de 22 ans. Son épouse, Françoise Meunier,
est née à Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec. Son
père, Mathurin Meunier/Lemonnier avait émigré, en
1644. Sa mère, Françoise Fafard, est arrivée au pays, en
1647, avec Paul de Chomedey de Maisonneuve, lors de
son troisième voyage en Nouvelle-France.
Mathurin et Françoise ont été les premiers Français
à se marier à Ville-Marie, le 3 novembre 1647,
dans la chapelle du fort, qui était le seul lieu de
culte. Cinq couples amérindiens s’y étaient mariés
précédemment. Paul de Chomedey de Maisonneuve
assistait à leur mariage. Leur première-née, Barbe, a
été le premier enfant d’origine française à voir le jour
à Ville-Marie. Elle n’a vécu que neuf jours. Elle eut
comme parrain et marraine le sieur de Maisonneuve
et Jeanne Mance1. Mathurin et Françoise ne restèrent
pas longtemps à Ville-Marie, préférant s’installer dans
les environs de Québec, plus précisément à Château-
Richer, chef-lieu de la seigneurie de Beaupré, où les
conditions de vie étaient plus avantageuses.
En 1653, Charles travaille à Sainte-Anne-de-Beaupré
pour le bêcheur2 Mathurin Meunier, qui deviendra son
1 Ghislain Pouliot, Ces ancêtres aussi ont fait notre histoire: Charles Pouliot-
Françoise Meunier, Éditions Le pays Les ancêtres, cahier no 2, 2009, p. 53.
2 Personne qui bêche la terre.
beau-père. À partir de 1658, il gagne sa vie comme
charpentier, métier qu’il a appris de son père. Il réalise
différentes constructions, dont celle d’une boutique
sur la rue commerciale, à Québec. Avec le temps,
il devient « maître charpentier ». Il s’établit à Château-
Richer, puis à Sainte-Famille, sur l’Île d’Orléans, qui
est alors peu peuplée.
En 1664, l’abbé Charles de Lauzon, seigneur de
Charny, embauche Charles pour construire le premier
moulin à vent à Sainte-Famille, qui servait à moudre
les grains pour en faire de la farine. Malheureusement,
il n’y a plus de trace de ce moulin, construit en bois,
par Charles. En 1675, il construit la première église de
Saint-Laurent, sur l’Île d’Orléans.
Le 5 juin 1667, à l’âge de 39 ans, Charles prend pour
épouse Françoise Meunier. La mariée n’a que 13 ans et
fêtera ses 14 ans trois mois plus tard. Il faut noter qu’à
cette époque, l’âge légal du mariage était de 12 ans
pour les lles et de 14 ans pour les garçons.
En 1667, Mgr de Laval concède à Charles un lot sur la
rive sud de l’Île d’Orléans, à Saint-Laurent. Charles
y construit une grande maison avec lucarnes, qui
est demeurée, jusqu’à aujourd’hui, la propriété d’un
descendant direct de Charles et de Françoise. Le
gouvernement du Québec a fait installer une plaque
commémorative sur la maison, sise au 1506, chemin
Royal, à Saint-Laurent.
Charles et Françoise ont eu 11 enfants. Leur
descendance est aujourd’hui très nombreuse.
Ancêtres paternels (Lecours)
L’ancêtre Michel Lecour (Lecours/Lecourt) venait
de Sainte-Gemmes-le-Robert, dans le département
de la Mayenne, dans les Pays de la Loire. Il est arrivé
dans la nouvelle colonie française probablement, en
1660. L’épouse de Michel, Louise (Marie) Ledran, est
née à Québec, en 1664. Son père, Toussaint Ledran
(ou Le Dran), y était débarqué, en 1659, à l’âge de
23 ans. Il était originaire de Saint-Michel, du bourg
De Bercy, en région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, dans
le nord de la France. Originaire de Sainte-Colombe-
sur-Seine, en Bourgogne, Louise Menacier, la mère
de Louise (Marie) Ledran, était une Fille du roi. Elle
faisait partie du premier contingent des Filles du roi
arrivé au pays, le 22 septembre 1663, à bord de l’Aigle
d’or de Brouage.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 49
Michel était jeune à son arrivée au pays : entre 16 et
18 ans. Son occupation : marchand-boucher. Plus tard,
il deviendra laboureur à bœuf, selon le recensement de
1681.
Michel est conrmé dans la chapelle des Ursulines de
Québec, le 1er mai 1662. Il s’adonne, par la suite, à la
traite des fourrures. On ne sait pas exactement à partir
de quelle date il s’installe à Saint-Joseph-de-la-Pointe-
Lévy (aujourd’hui Lévis – en face de Québec), dans la
seigneurie de Lauzon, mais l’auteur, Joseph Edmond
Roy3, afrme que Michel Lecours résidait à Lauzon
lors de ses dénombrements de population, de 1666 et
1667. Roy écrit aussi que Michel s’adonne à la chasse
à l’orignal et précise que, dans la plupart des actes
où son nom est mentionné, Lecours est qualié de
chasseur volontaire. Il fut, en effet, un grand voyageur,
et il accompagna les troupes dans presque toutes les
expéditions contre les Iroquois.
Le 24 novembre 1683, dans l’église de Saint-Joseph-
de-la-Pointe-Lévis, à Lauzon, il épouse Louise (Marie)
Ledran, alors âgée de 19 ans; Michel avait 20 ans de
plus.
Le goût de l’aventure devait être plus fort que lui car,
quelques mois après son mariage, Michel repart à la
guerre contre les Iroquois, en compagnie de 59 soldats
de la seigneurie de Lauzon. À son retour, il semble
qu’il se soit xé dénitivement à la Pointe-Lévy, où
lui et Louise (Marie) Ledran ont laissé, sous le nom
de Lecours dit Barras, une nombreuse lignée. Ils ont
eu 11 enfants qui ont survécu, dont le premier couple
de jumeaux de la famille Lecours, au Canada; en fait,
c’était des jumelles, Marie-Anne-Louise et Jeanne, nées
le 11 mai 1700.
On ignore la date et l’endroit exacts du décès de
Michel; l’acte de sépulture n’a pu être retracé. Aurait-
il trouvé la mort lors d’une expédition contre les
Iroquois ou à l’occasion d’un déplacement relatif à la
traite de fourrures? On sait que sa mort se situe entre
le 17 juillet 1702 et le 24 novembre 1705. Sa veuve s’est
remariée, en 1713, avec Jean Poliquin. Elle avait 49 ans,
lui, 70 ans. Louise avait encore de jeunes enfants à sa
charge; la plus jeune n’avait que onze ans.
3 Joseph Edmond Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, deuxième volume,
1898, livre numérique. https://books.google.ca/books?id=SRc1AQAAMAA
J&pg=PP9&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=2#v=onepage&q&f
=false, [consulté le 12 décembre 2022].
Conclusion
Près de la moitié des pionniers venus de France, avant
1760, y sont retournés après avoir vécu au moins un
an dans la colonie. Mes ancêtres ont donc fait preuve
de courage et de détermination en décidant de rester,
de défricher un coin de terre et d’affronter les dangers
que représentaient la vie en contrées sauvages, les
moustiques et les hivers rigoureux. Ils seraient sans
doute heureux d’apprendre que l’on se souvient d’eux!
En général, ils eurent tous de grandes familles, car tel
était le mot d’ordre : les mères canadiennes-françaises
étaient responsables de faire des enfants an que la
race ne s’éteigne pas…
Tous les exemplaires du récit Ma vie sur les bords de
la Mattawishkwia, ont été vendus. Pour les personnes
intéressées, les bibliothèques publiques situées dans
les villes suivantes en ont un exemplaire : Hearst,
Mattice, Kapuskasing, Timmins, Rockland et Embrun.
VISAGES
LE CHAÎNON, HIVER 2023
50
1845
Première congrégation religieuse féminine
à Bytown (aujourd'hui Ottawa)
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Erratum
Trois erreurs se sont glissées dans le numéro
de l’automne 2022, vol. 40, no.3:
Le nom de l’autrice de l’article « Les sociétés
secrètes au prot des Franco-Ontariens », à
la page 43, devrait être Christine Dupuis.
Dans la table des matières, sous la rubrique
«Mémoires», il devrait y avoir l’article de
Christine Landry Matamoros, «Attention,
vous allez vous faire voler ».
À la page 60, la dernière ligne de la
généalogie de la famille Sigouin (Joseph
Didas) devrait être indiquée comme étant
la 3e génération, Joseph étant ls de Jean-
Baptiste Sigouin et Marceline Crevier.
L’information de cette ligne est aussi
erronée. On devrait lire:
Joseph Hormisdas Sigouin (1854-1923)
etDelima Sauriol
Mariage 9 fév. 1880, Embrun On.
Les corrections ont été faites à la version
électronique.
Congrès annuel de l’AFO
Du 27 au 29 octobre 2023,
en présentiel à Toronto
LE CHAÎNON, HIVER 2023 51
Le Centre de recherche sur les francophonies
canadiennes (CRCCF), créé en 1958, est un centre
de recherche, rattaché à la Faculté des arts,
dont l’objectif est de susciter et de développer
la recherche pluridisciplinaire sur la culture et la
société canadiennes-françaises.
Pour de plus amples informations :
Centre de recherche sur les francophonies
canadiennes
Université d’Ottawa
Pavillon Morisset
65, rue Université, pièce 040A
Ottawa ON K1N 6N5
Tél. : 613-562-5877
Téléc. : 613-562-5143
Sans frais : 1-877-868-8292
Internet : www.crccf.uottawa.ca
Les archives éditoriales du CRCCF
Gilles Provost, pionnier du
théâtre dans la région de la
capitale nationale du Canada
par Alexandre Gauthier, doctorant en lettres françaises, Université d’Ottawa et
Batoul Atwi, archiviste, audiovisuel et photographies, CRCCF
Gilles Provost est certainement l’un des pionniers de l’activité théâtrale
francophone dans la région d’Ottawa-Gatineau. Impliqué dans la
fondation et la direction de nombreuses compagnies de théâtre, dès
le début des années 1960, il est à la fois acteur, metteur en scène,
scénographe et directeur artistique. Le CRCCF, qui détient une partie des
archives de l’illustre homme de théâtre, vient tout juste de recevoir un
nouveau versement permettant de rendre compte du développement et
LES TRÉSORS DU CRCCF
Cette section vise à faire découvrir certains fonds d’archives
exceptionnels conservés par le Centre de recherche sur les francophonies
canadiennes.
Gilles Provost dans la pièceAlpha Beta
de Whitehead, en 1974, Compagnie Gilles Provost, INAC.
Photo: Université dOttawa, Centre de recherche sur les francophonies
canadiennes (CRCCF). Fonds Gilles Provost (P420),Ph326-2404. 
LE CHAÎNON, HIVER 2023
52
de la professionnalisation du théâtre dans la région d’Ottawa-Gatineau,
à travers les souvenirs de Provost, les pièces qu’il a vues ou montées, les
spectacles dans lesquels il a joué et les compagnies qu’il a dirigées.
Gilles Provost est né le 21 janvier 1938, à Montcerf, en Haute-Gatineau.
Il passe son enfance et son adolescence dans la Basse-ville d’Ottawa et il
effectue ses études primaires à l’École Guigues et ses études secondaires,
à l’Académie De-La-Salle. Attiré très tôt par la scène, Provost monte
plusieurs spectacles à son école. Mais il a également la chance de voir
beaucoup de théâtre durant son adolescence, dont les pièces montées par
le Canadian Repertory Theatre d’Ottawa (1949-1956), l’une des premières
compagnies professionnelles au Canada qui met en scène, notamment,
de jeunes acteurs peu connus à l’époque, dont Christopher Plummer
et William Shatner. Ou encore, le travail de compagnies françaises et
montréalaises présenté dans les auditoriums ou dans les salles de cinéma
de la région.
Provost se dirige vers l’enseignement alors qu’il complète des études en
pédagogie et en théâtre à l’Université d’Ottawa (1957-1959). Entre 1958 et
1972, il enseigne dans diverses écoles de la région, de façon sporadique,
tout en continuant ses études en théâtre et en jeu auprès des diverses
compagnies de la région ainsi qu’avec des artistes de renom.
Dès 1958, Gilles Provost se joint aux différentes troupes de théâtre
amateur de la région d’Ottawa-Hull, dont les Dévots de la rampe (1958-
1959), le Théâtre de la Colline, qu’il co-fonde avec Jean et Hedwidge
Herbiet (1960-1962), et le Théâtre du Pont-Neuf dont il assume la
Programme de la pièceAu petit
bonheurprésentée par le Festival des arts au
parc Britannia, en 1962. Gilles Provost a assuré
la mise en scène et la scénographie de ce
spectacle. Photo: Université d’Ottawa, Centre
de recherche sur les francophonies canadiennes
(CRCCF).Fonds Gilles Provost (P420), P420-S5-D8.
Gilles Provost et
André Cartier dansLa
double inconstancede
Marivaux. Cette pièce,
mise en scène par
Jean Herbiet, a été
présentée, du 15 octobre
au 7 novembre 1970,
au Centre national des
Arts du Canada (CNA), à
Ottawa.Photographe:
John Evans.Photo:
Université d’Ottawa,
Centre de recherche
sur les francophonies
canadiennes (CRCCF).
Fonds Gilles Provost
(P420),Ph326-4022. 
direction artistique entre 1962
et 19641. Pendant cette période,
Provost met en scène des dizaines
de spectacles pour ces compagnies,
mais aussi pour d’autres
institutions de la région, et il se
produira aussi dans le cadre des
festivals d’art dramatique, dont
le Festival des Arts de Lakeside
ou le Festival d’art dramatique de
l’est de l’Ontario, fort populaires à
l’époque2.
En 1963, Gilles Provost s’installe
à Montréal. Non seulement va-
t-il y travailler comme acteur au
théâtre et à la télévision, mais il
va aussi y travailler comme régie
1 Hélène Beauchamp, «Gilles Provost»,
Dictionnaire des artistes du théâtre québécois,
Michel Vaïs (dir.), Montréal, Éditions Québec
Amérique / Cahiers de théâtre Jeu, 2008,
p.332.
2 Hélène Beauchamp-Rank, «Gilles
Provost»,Le théâtre canadien-français,
Paul Wyczynski, Bernard Julien et Hélène
Beauchamp-Rank (dir.), Montréal, Fides, coll.
«Archives des lettres canadiennes», tome V,
1976, p. 917.
LES TRÉSORS DU CRCCF
LE CHAÎNON, HIVER 2023 53
et assistant à la mise en scène
auprès de certaines compagnies
importantes3, dont la Nouvelle
Compagnie Théâtrale. En 1968,
Provost obtient une bourse du
Conseil des Arts de l’Ontario an
d’effectuer une résidence d’un
an au Birmingham Repertory
Theatre. Fort de cette expérience
formidable, alors qu’il a mis en
scène de nombreux spectacles à
Birmingham, il rentre à Ottawa,
en 1969, au moment où le milieu
des arts de la région d’Ottawa-
Gatineau se voit considérablement
transformé. En effet, c’est, en 1969,
que le Centre national des arts du
Canada ouvre ses portes à Ottawa,
et Gilles Provost y foulera les
planches dans plus de 40 spectacles
au cours des années 1970 et 1980.
À la même époque, il assume la
3 Denis Gratton, «Gilles Provost, l’homme de
théâtre», Le Droit, Ottawa, 19 octobre 2013,
https://www.ledroit.com/2013/10/19/gilles-
provost-lhomme-de-theatre-a1f219d65d4e3
c452a166427a9268dc5?nor=true, [consulté le
21 octobre 2022].
Ache de la pièceLa maison de Bernardade
Frederico Garcia Lorcaprésentée par le
Théâtre de la Colline, à la Salle Académique,
du 1er au 3 mars 1962. Gilles Provost a assuré
la mise en scène de ce spectacle. Photo:
Université d’Ottawa, Centre de recherche sur les
francophonies canadiennes (CRCCF).Fonds Gilles
Provost (P420),P420-S2-SS15-D2.
Gilles Provost dansLes Sorcières de Salemde Miller, mise en scène d’André Brassard, au CNA, en février
1989.Photographe: René Binet. Photo: Université d’Ottawa, Centre de recherche sur les francophonies
canadiennes (CRCCF). Fonds Gilles Provost (P420),Ph326-4167. 
direction artistique de l’Atelier d’Ottawa (1969-1972) et en 1971, il fonde,
avec Monique P. Landry, le Théâtre des Lutins, une compagnie de théâtre
jeune public qu’il dirige jusqu’en 1981. Il fonde sa propre compagnie
professionnelle, la Compagnie Gilles-Provost, en 1974. Cette dernière cesse
ses activités, en 1977. En 1976, Gilles Provost prend les rênes du Théâtre
de l’Île, théâtre municipal fondé la même année par la municipalité de
Hull. Il dirige cette compagnie jusqu’en 2008. Dans les années 1990, il a
aussi dirigé un théâtre d’été privé, le Théâtre de la Ferme Lipial, à Ripon.
La contribution de Gilles Provost au développement du théâtre et des arts
des deux côtés de la rivière des Outaouais est indéniable. Pendant près de
soixante ans, Provost a animé les diverses scènes de la région en montant
près de 200 productions4 et en jouant dans près d’une centaine de pièces
de théâtre.
Acquis de Gilles Provost et de Claude Jutras, en 2019, le fonds
d’archives conservé au CRCCF témoigne essentiellement des activités
4 Yves Bergeras, «Gilles Provost: la vie après le théâtre», Le Droit, Ottawa, 21 août 2020, https://www.
ledroit.com/2020/08/21/gilles-provost-la-vie-apres-le-theatre-81bf5328e0890e79a334976adab1da5
4?nor=true, [consulté le 21 octobre 2022].
LES TRÉSORS DU CRCCF
LE CHAÎNON, HIVER 2023
54
professionnelles de Gilles Provost.
Le fonds comprend notamment
les archives du Théâtre des Lutins
de ses débuts à sa fermeture,
en 2004 (textes, photos, guides
pédagogiques, cahiers de régie,
esquisses, costumes) et les archives
du Théâtre de la Ferme Lipial.
Le deuxième versement (2022)
porte davantage sur les différents
spectacles auxquels Provost a
participé tant comme metteur
en scène et scénographe que
comédien. Ainsi, on y retrouve de
nombreux documents concernant
les diverses compagnies auxquelles
Provost a contribué (Les Dévots
de la rampe, le Théâtre de la
Colline, Le Théâtre du Pont-Neuf,
L’Atelier d’Ottawa, la Compagnie
Gilles-Provost, Le Théâtre des
Lutins), mais aussi et surtout, de
Cahier pédagogique de la pièceTournebire et le
malin frigoprésentée par le Théâtre des Lutins,
en 1978. Photo: Université d’Ottawa, Centre de
recherche sur les francophonies canadiennes
(CRCCF). Fonds Gilles Provost (P420), P420-S2-
SS1-SSS1-D13-1-1. 
Gilles Provost et Raymond Bouchard dansBarouf à Chioggiade Goldoni, pièce mise en scène par
Guillermo de Andrea et présentée par le Rideau Vert en coproduction avec le CNA, du 9 avril au
4 mai 1996.Photographe: Guy Dubois.Photo: Université d’Ottawa, Centre de recherche sur les
francophonies canadiennes (CRCCF). Fonds Gilles Provost (P420),Ph326-4174. 
nombreux programmes, des afches, des textes dramatiques annotés, des
cahiers de régie, des critiques et des coupures de presse et des photos de
productions qu’il a montées, vues ou dans lesquelles il a joué.
En 2021-2022, le CRCCF et Bibliothèque et Archives nationales du
Québec – Gatineau (BAnQ – Gatineau) ont obtenu une subvention an de
procéder au traitement conjoint des deux Fonds Gilles Provost conservés
dans chacune des institutions. Ainsi, un plan de classication commun a
été établi entre le CRCCF et BAnQ – Gatineau, ce qui fait qu’à partir du
catalogue du CRCCF, il est possible d’effectuer des recherches dans les
deux fonds d’archives, soit le fonds P420 (CRCCF) et le fonds P92 (BAnQ
– Gatineau). Il existe également une collection Gilles Provost conservée
à Bibliothèque et Archives nationales du Canada. Cette collection ne
contient essentiellement que des coupures de presse relatant les activités
du Canadian Repertory Theatre d’Ottawa. Enn, ces fonds d’archives
témoignent de l’ensemble des activités professionnelles de Gilles Provost,
hormis ses activités au Théâtre de l’Île. Le Fonds du Théâtre de l’Île est
conservé à la Section de la gestion des documents et des archives du
Service du greffe de la ville de Gatineau (Fonds V027).
Pour en savoir davantage sur l’histoire du théâtre dans la région d’Ottawa-Gatineau et sur les
artisans importants de son développement, voir, au CRCCF, les fonds suivants: Fonds Association
des confrères artistes du Caveau (C112); Fonds Compagnie Vox Théâtre (C151); Fonds La Comédie
des Deux-Rives (C40); Fonds La Nouvelle-Scène (C162); Fonds Le Théâtre du Trillium (C146); Fonds
Théâtre Action(C64); Fonds Théâtre de la Vieille 17 (C142); Fonds Théâtre la Catapulte (C140); Fonds
Léonard-Beaulne (P198); Fonds Guy-Beaulne (P344); Fonds Jean-Herbiet (P8); Fonds Madeleine-
Charlebois(P247); Fonds Edgard-Demers (P362); Fonds Marcel-Fortin (P252); Fonds Pierre Karch et
Mariel O’Neill-Karch (P368).
LES TRÉSORS DU CRCCF
LE CHAÎNON, HIVER 2023 55
MÉMOIRES
Cette section publie des souvenirs ou des réexions sur la francophonie
canadienne ou, encore, des textes faisant découvrir la vie et les coutumes de
nos ancêtres.
De la France
à l’Ontario
L’article qui suit retrace l’histoire de mes ancêtres maternels et de leurs familles à partir de
leur départ de la France pour le Québec et pour l’Ontario et décrit leur intégration dans ces
nouvelles contrées. Ensuite, je présente mon récit de vie, issu à la fois de mon expérience à
l’atelier J’écris ma vie et de conseils de nombreuses personnes qui mont guidée tout au long
du processus d’écriture.
Descendance de Pierre Barbary dit Grandmaison
Pierre Barbary dit Grandmaison est le premier à partir de la France pour
s’installer à Lachine (Québec) en 1665. Quelques générations plus tard, Sévère
Barbarie choisit de vivre à Saint-Eugène, dans l’Est ontarien. Ma mère, son
arrière-petite-lle, est née à Plantagenet, mais a élu domicile à Ottawa une fois
adulte. Pour mieux suivre la succession des familles, je vous invite à consulter
l’arbre généalogique, qui gure à la n de l’article.
Suzanne Benoit, originaire
d’Orléans (Ontario), a enseigné
à l’élémentaire pendant 10ans
avant de se tourner vers
l’alphabétisation des adultes.
Elle a œuvré dans le domaine
de la formation des adultes
pendant 24 ans, en étant
directrice générale du Centre
Moi j’apprends et de la Coalition
ontarienne de formation des
adultes. De plus, elle a siégé au
sein de plusieurs organismes
communautaires, dont Maison
Interlude House, Le Phénix et
Centraide/United Way Prescott-
Russell. Ses passions sont la
généalogie, l’écriture et la lecture.
Suzanne Benoit
Article écrit pour le compte de l’Association du patrimoine
familial francophone de l’Ontario1
Je suis devenue membre de l’Association du patrimoine familial
francophone de l’Ontario (APFFO), en 2016. LAPFFO est un
organisme provincial sans but lucratif qui contribue de façon
active auprès des familles franco-ontariennes à sauvegarder, à
transmettre et à communiquer l’héritage familial au bénéce des
générations actuelles et à venir.
Comme j’étais déjà intéressée à la généalogie parce que j’avais
déjà écrit celle de mes deux parents, mon adhésion à cet
organisme métait tout à fait naturelle. Je connaissais Francine
Gougeon, présidente-fondatrice de cet organisme, depuis
un an parce que je participais à l’atelier J’écris ma vie qu’elle
animait. LAssociation J’écris ma vie (Association JMV inc.) est
une association sans but lucratif qui a vu le jour en 2000 et qui
ore des ateliers dans plusieurs villes du Québec et de l’Ontario.
Elle ore un appui aux personnes qui souhaitent sinvestir dans
l’écriture de leur biographie. Vous pouvez consulter le site web, à
l’adresse suivante : www.jecrismavie.com.
1 Brigitte Murray est la conceptrice de cette série d’articles publiés pour
le compte de l’APFFO. À titre de mentor, elle accompagne au besoin les
autrices et les auteurs dans l’écriture de leur article.
Soldats du régiment de Carignan-Salière,
1665. Photo : Wikipédia, domaine public.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
56
MÉMOIRES
Arrivée au Québec de Pierre
Barbary dit Grandmaison,
l’intrépide
Le premier de mes ancêtres
maternels à mettre les pieds au
Canada se nomme Pierre Barbary
dit Grandmaison, ls de Pierre
Barbary dit Grandmaison et de
Marguerite Beloy. Pierre, né à
Thiviers, en France, en 1646,
s’enrôle dans la Compagnie de
Contrecœur du régiment de
Carignan-Salières, puis quitte la
France à partir de La Rochelle le
13 mai 1665. C’est le 19 août 1665
qu’il arrive comme simple soldat à
Lachine, à bord du navire L’Aigle
d’or. Pierre aide à la construction
de forts le long de la rivière
Richelieu, appelée à l’époque
rivière des Iroquois. En octobre
1666, il participe à une mission,
entreprise par Alexandre de
Prouville de Tracy1, gouverneur de
la Nouvelle-France. Cette mission,
dite punitive, vise les Mohawks,
membres de la ligue des Cinq-
Nations, une confédération formée
des Haudenosaunee (Iroquois) des
cinq nations suivantes : les Agniers
(Mohawks), les Onontagués
(Onondagas), les Tsonnontouans
(Sénécas), les Onnéiouts (Onéidas)
et les Goyogouins (Cayogas). Le
but ultime : exterminer les Iroquois
qui menacent Montréal, alors
connu sous le nom de Ville-Marie.
Les soldats partent de Québec pour
se rendre en territoire mohawk au
conuent du euve Saint-Laurent
et de la rivière des Outaouais. Les
quatre villages sont déserts. Les
soldats récupèrent ce qui leur est
utile, puis incendient les villages et
les récoltes. Ils prennent possession
du territoire mohawk et y plantent
1 Léopold Lamontagne. «Prouville de Tracy,
Alexandre de», Dictionnaire biographique
du Canada, http://www.biographi.ca/fr/bio/
prouville_de_tracy_alexandre_de_1F.htm,
[consulté le 7 janvier 2022].
une croix et un poteau portant les armes du roi de la France, Louis XIV.
Plusieurs conits et attaques de part et d’autre s’en sont suivi pendant
encore une douzaine d’années dont un conit en particulier, celui que les
livres d’histoire appellent « le massacre de Lachine2 ». J’y reviendrai plus
en détail plus loin dans l’article.
En 1701, la Nouvelle-France et 39 nations autochtones signent le traité de
la Grande Paix de Montréal3. Ce traité tiendra jusqu’en 1760, soit jusqu’à
la suite de la victoire des Britanniques sur les plaines d’Abraham et la
capitulation de Montréal4. Aujourd’hui, il existe une controverse quant au
statut juridique de Montréal, les Mohawks afrmant que la métropole est
en territoire mohawk non cédé, alors que Québec déclare le contraire5.
À la n de son contrat avec l’armée, Pierre devient agriculteur et s’établit
sur une terre de la Côte Saint-Sulpice qui, à ce moment, s’ouvre à la
colonisation. Plus tard, cet endroit prend le nom de Côte de Lachine.
À cette époque, la Nouvelle-France compte peu de femmes parce que
les Européens s’y installent pour des raisons militaires, économiques et
politiques. La recherche de femmes se fait sentir lorsque les coureurs de
bois et les soldats s’établissent sur une terre selon le plan d’occupation du
territoire de Jean Talon, premier intendant de la Nouvelle-France.
2 Jean-François Nadeau, «Il y a 325 ans, le massacre de Lachine», Le Devoir, 5 août 2014, https://www.
ledevoir.com/societe/415182/il-y-a-325-ans-le-massacre-de-lachine, [consulté le 9 janvier 2022].
3 Cornelius J. Jeanen et Andrew McIntosh, «La Grande Paix de Montréal, 1701», L’Encyclopédie
canadienne, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/grande-paix-de-montreal-1701,
[consulté le 7 janvier 2022].
4 Louis Massicotte. «La Conquête britannique de 1760», L’Encyclopédie canadienne, https://www.
thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/du-regime-francais-au-regime-anglais, [consulté le
9janvier2022].
5 La Presse Canadienne. ««Territoire non cédé» de Montréal: les Mohawks répliquent au
gouvernement Legault», Radio-Canada, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1833599/mohawk-
canadien-montreal-lafreniere-territoire, [consulté le 7 janvier 2022].
Plan de Montréal entre 1687-1723. Lachine
est au sud-ouest de l’île de Montréal. Photo:
William Henry Atherter, Montréal, 1535-1914,
S. J. Clarke, 1914, p. 286.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 57
MÉMOIRES
Les Filles du roi
La solution pour voir en Nouvelle-France un plus grand nombre de
femmes qui se marieraient, fonderaient une famille et contribueraient
ainsi concrètement à la colonisation du territoire vient du gouvernement
français. Jean-Baptiste Colbert, principal ministre d’État de Louis
XIV, est nommé pour recruter les jeunes lles qui seront connues sous
l’appellation « Filles du roi6 ». Il promet aux embaucheurs 10 livres par
recrue. Ces derniers sillonnent la France à la recherche de jeunes lles
dans les maisons de charité ou, encore, dans des hôpitaux de Paris, de La
Rochelle, de Rouen et de Dieppe. Comme Louis XIV désire une Nouvelle-
France catholique, les jeunes lles protestantes doivent se convertir.
Les embaucheurs recrutent 700 à 1000 femmes, âgées de 15 à 30 ans, dont
Marie Lebrun, âgée de 24 ans. Orpheline, elle est une pupille de l’État.
À titre de tuteur légal, le Roi de France paie ses frais de voyage et sa
dot, d’environ 50 livres. Il lui fournit aussi des fonds pour constituer un
trousseau, une nécessité pour entreprendre sa nouvelle vie. Marie part
de Dieppe, le 10 juin 1667, sur le navire Saint-Louis et arrive à Québec, le
25 septembre 1667.
Mariage et famille
Le 24 février 1668, Pierre Barbary dit Grandmaison épouse à Montréal
Marie Lebrun, Fille du roi dont je viens de faire mention. Le couple
s’installe à Lachine. En 1681, ils possèdent un fusil, cinq bêtes à cornes et
14 arpents de terre. Durant les 20 années de leur mariage, le couple aura
10 enfants : Marie-Madeleine, Pierre, Marie-Magdeleine, Marguerite,
6 Danielle Pinsonneault. «Nos ancêtres, Filles du Roy», Roux, Laliberté, Lemay. Généalogie de nos
familles, http://www.roux-laliberte.com/seigneuries/nos-ancetres-lles-du-roy.html, [consulté le
9janvier2022].
Pierre, Philippe, Marie-Françoise,
Anne, Jean et Marguerite. Pierre et
Marie décèdent le 5 août 1689 avec
la plupart de leurs enfants lors du
massacre de Lachine. Il convient
de mettre ici cet évènement en
contexte.
Le massacre de Lachine
Au printemps de 1687, le roi
Louis XIV envoie en Nouvelle-
France 12 compagnies des troupes
de la marine dans une escadre
de six vaisseaux. Jacques-René
Brisay de Denonville, gouverneur
de la Nouvelle-France, veut
protéger la colonie de ce qu’il
juge être une guérilla menée par
les tribus iroquoises. Le 13 juin
1687, une bonne partie de l’effectif
de la colonie quitte Montréal
en direction des Cinq-Nations
iroquoises. Denonville et ses
1200 soldats font prisonniers une
trentaine d’hommes iroquois et
quelque 90 femmes iroquoises.
Ses troupes détruisent tout sur
leur passage jusqu’à leur moisson
et leurs réserves de vivres. Les
survivants sont décimés par la
famine qui suit. La victoire est
complète.
Le 5 août 1689, 1400 Iroquois
débarquent sur l’île de Montréal, à
la hauteur de Lachine. Au lever du
jour, ils massacrent 24 personnes,
hommes, femmes et enfants.
Ensuite, ils font une soixantaine
de prisonniers7. Cinquante-six
des 76 maisons sont incendiées ce
soir-là. Mes ancêtres font partie des
morts et des prisonniers. Voici leur
histoire.
7 John A. Dickinson, «Lachine, massacre
de», L’Encyclopédie canadienne, dernière
modication 15 décembre 2013, https://
www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/
article/lachine-massacre-de, [consulté le
18novembre 2022].
L’arrivée des Filles du roi, en 1667, vue par l’illustrateur Charles William Jeerys. Photo: Wikipédia,
domaine public.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
58
MÉMOIRES
Les victimes du massacre de
Lachine
La lle aînée de Pierre et de
Marie, Marie-Madeleine, née en
1669, et son époux, André Danis
Larpenty, né en 1653, meurent au
cours du massacre. Pierre, l’aîné
des garçons, naît le 25 mai 1672
et décède le lendemain. Marie-
Magdeleine naît le 1er septembre
1673. Le 21 février 1689, à l’âge de
15 ans, elle épouse Pierre Jamme
dit Carrière, né en 1669. Il est
soldat. Il s’embarque à La Rochelle
et arrive à Québec le soir de la
Fête-Dieu8, le 29 mai 1687, à bord
de L’Arc-en-Ciel.
Marie-Magdeleine est capturée et
n’est libérée qu’au cours de l’année
1700. Pierre, son époux, réussit
à s’évader. Il aura la vie sauve.
Marie-Magdeleine décède entre le
6 avril 1728 et le 26 novembre 1731.
Pierre, pour sa part, décède le
23 novembre 1740. Le couple aura
sept enfants.
Les autres enfants de Pierre et de
Marie, soit Marguerite (14 ans),
Philippe (10 ans), Marie-Françoise
(7 ans), Anne (5 ans), Jean (3 ans)
et Marguerite (3 mois) sont tués
ou amenés en captivité chez les
Iroquois9.
Pierre Barbary dit
Grandmaison, le débrouillard
Le second Pierre de la famille
est capturé à l’âge de 12 ans et
gardé en captivité par les Iroquois
jusque vers 1701. Après 12 ans
d’absence, il parvient quand
8 Marie-Lyse Paquin. «Fête-Dieu: des
processions spectaculaires», Avenues.ca,
https://avenues.ca/comprendre/histoire-
en-photos/fete-dieu-des-processions-
spectaculaires/, [consulté le 7janvier 2022].
9 Il m’est impossible de conrmer le sort
de chacun parce que les documents sont
incomplets ou contradictoires à ce sujet.
même à retrouver son chemin et arrive à Montréal. Si Pierre n’avait pas
survécu au massacre, la descendance Barbary dit Grandmaison se serait
éteinte. Le 18 octobre 1701, Pierre épouse Marie-Françoise Paré, lle de
Jean Paré et de Marguerite Picard, née le 15 octobre 1682. Pierre décède
le 4 septembre 1745 et Marie-Françoise, le 10 juin 1753, à Pointe-Claire
(Québec). Le couple aura 12 enfants : Marie-Françoise, Marie-Anne,
Susanne, Pierre, Michel, Marie-Claire, Marie-Charlotte, Marie-Joseph,
Jean-Baptiste Marie, Joseph Marie, Marguerite et Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste Marie Barbary dit Grandmaison, le courageux
Le ls de Pierre et Marie-Françoise, Jean-Baptiste Marie, naît le 4 février
1720 à Pointe-Claire (Québec). Le 11 février 1743, il épouse Marie-
Thérèse Parent, qui est née en 1723 et qui est la lle d’Étienne Parent et
de Marguerite Vinet. Jean-Baptiste Marie est coureur de bois. En 1745,
il est engagé dans le réseau de traite des fourrures pour la somme de
180 livres. En 1748, il est embauché pour exercer le même métier au fort
Michilimakinac (Michigan) pour la somme de 220 livres. Jean-Baptiste
Marie et Marie-Thérèse décèdent tous les deux à Sainte-Rose : Marie-
Thérèse, le 8 février 1764; Jean-Baptiste Marie, le 5 mai 1765. Le couple
aura 11 enfants : Jean-Marie, Jean-Marie (Joseph), Marie-Thérèse, Marie-
Louise, François, François, Pierre, Suzanne, André Paul-Henri, Gabriel et
Antoine.
André Paul-Henri Barbary dit Grandmaison, le vaillant
André Paul-Henri, ls de Jean-Baptiste Marie et de Marie-Thérèse Parent,
naît le 8 août 1759, à Sainte-Geneviève (Québec). Il est agriculteur. Le
10 juin 1782, il épouse Geneviève Robidoux, lle d’Étienne Robidoux et
Catherine Chambly, née le 26 septembre 1756. Geneviève décède le 7 avril
1813 et André Paul-Henri, le 9 avril 1813, à Saint-Benoît (Québec). Le
couple aura 11 enfants : Marie, Joseph, Marie-Marguerite, Pierre, Marie-
Marguerite, François, Josephte, Michel, Jean-Baptiste, Marie-Marguerite
et Louise.
Michel Barbary dit Grandmaison, l’infatigable
Michel, ls d’André Paul-Henri et de Geneviève Robidoux, naît le
1er septembre 1798, à Oka (Québec). Le 8 janvier 1822, il épouse Félicité
Daoust, lle de Guillaume Daoust et de Catherine Lauzon, née le 26 mai
1802. Michel exerce le métier d’agriculteur. Félicité et Michel décèdent
tous les deux à Saint-Benoît : Félicité, le 14 avril 1840; Michel, le 2 octobre
1865. Le couple aura neuf enfants : Delphine, Alexandre, Adéline, Sévère,
Arthémise, Camille, Léon, Anthime et Clovis.
Les derniers de la lignée
Sévère Barbarie et son épouse Justine Poirier dit Desloges sont mes
arrière-arrière-grands-parents. Le couple s’installe à Saint-Eugène
(Ontario), où Sévère exerce le métier d’agriculteur. Ils auront neuf
enfants : Avelina, Alexire, Georges, Cléophas, Marie-Agnès, Joseph-
Palma, Marie-Anne, Philippe et François. Ils font partie des nombreux
Canadiens français qui arrivent dans la région de Prescott et Russell en
provenance du Bas-Canada, au milieu du 19e siècle, et qui transforment
LE CHAÎNON, HIVER 2023 59
MÉMOIRES
complètement sa composition sociolinguistique. Par ailleurs, pour ce
qui est de l’aspect linguistique, Sévère modie l’orthographe de son
nom Barbary pour lui donner une graphie française, soit Barbarie. Il est
étonnant de constater que ce n’est qu’une fois arrivé en Ontario que la
famille francise son nom et laisse tomber dénitivement le surnom « dit
Grandmaison ». Georges10, ls de Sévère et de Justine, et Rose-Anna
Brasseur dit Duhamel, son épouse, s’installent à Plantagenet. Ils sont
mes arrière-grands-parents. Isaïe, ls de Georges et de Rose-Anna, et son
épouse Emma Léonard sont les parents de ma mère, feue Cécile. Isaïe et
Emma sont donc mes grands-parents maternels. Isaïe et Emma ont élevé
leur famille à Plantagenet et y sont restés toute leur vie. Ma mère, née le
15 janvier 1921, a quitté Plantagenet à l’âge de 15 ans. Elle a travaillé à
Hawkesbury (Ontario) comme bonne et, par la suite, pendant la guerre,
elle a travaillé dans une manufacture de fabrication de cartouches,
la Dominion Cartrage Company, à Brownburg (Québec). La guerre
terminée, elle a obtenu un emploi à la Banque du Canada, à Ottawa. Le
6 juin 1946, elle a épousé Jean-Paul Benoit, né à Ottawa le 30 décembre
1920. Il était le ls d’Alfred Benoit et d’Eva Pilon.
Quand le Canada s’est engagé dans la Seconde Guerre mondiale, Jean-
Paul s’est enrôlé dans l’armée à l’âge de 17 ans. Il a dû obtenir une
dispense pour joindre les rangs de l’armée parce qu’il n’avait pas encore
18 ans. De retour à la vie civile, il a travaillé à la fonction publique
fédérale pendant plus de 30 ans. Mes parents ont eu cinq enfants :
Suzanne, Louise, Michel, Pierrette et Maurice. Je suis l’aînée de la fratrie.
Conclusion
Ma mère a commencé à mener des recherches généalogiques sur sa
famille et celle de mon père dans les années 1990. Elle a partagé le résultat
de son travail avec sa famille. Puis, en 2016, en collaboration avec la lle
de ma cousine, Sylvie Cholette, j’ai commencé à compléter la généalogie
de ma mère en consultant le site Ancestry.ca. J’ai ensuite complété la
généalogie de la famille Benoit dit Livernois, la famille de mon père.
Cette fois, j’ai eu plus de succès en consultant le site myheritage.ca. J’ai
communiqué avec mes cousines et mes cousins pour obtenir l’information
la plus récente sur leur famille. Mes recherches se poursuivent pour
mettre les généalogies à jour, et je partage mes trouvailles avec eux. Je suis
ère du travail que j’ai accompli jusqu’à présent.
J’ai découvert que mes ancêtres étaient parmi les premiers à s’installer au
Canada, à fonder une famille et à contribuer au développement d’abord
du Québec, puis de l’Ontario français. J’ai constaté qu’ils ont pris part,
chacun à sa manière, à de grands événements de l’histoire du pays.
J’ai légué le fruit de mes recherches à mes enfants, à mes petits-enfants,
à mes cousines et à mes cousins. Il s’agit là d’un trésor inestimable qu’ils
sauront apprécier, je l’espère.
10 Georges s’est marié trois fois. Rose-Anna Brasseur dit Duhamel est sa première épouse. Ils sont les
parents d’Isaïe. Ce dernier sest marié quatre fois. Emma Léonard est sa troisième épouse. Ils sont les
parents de ma mère. Je ne cite que mes ascendants directs parce que la multiplication des noms
rendrait la lecture ardue. Néanmoins, pour connaître le nom des autres épouses de Georges et
d’Isaïe, je vous invite à consulter l’arbre généalogique qui gure à la n de l’article.
Le cheminement spirituel
d’une athée
Comment on devient qui on est
J’ai été élevée dans la religion catholique
pendant les années 1950. Une fois
adulte, tout en continuant d’être dèle
aux valeurs transmises par la religion
de mon enfance, j’ai décidé que je ne
pouvais plus accepter ses exigences, ce
qui m’a menée à entreprendre une quête
pour donner un sens à ma vie. Pendant
ma démarche, au l de lectures et de
réexion, j’ai pris goût à explorer les
idées d’auteurs de tous les temps. Au fur
et à mesure, j’ai dû faire des choix, moins
parce que je le pouvais, mais parce que
je le devais.
Je suis maintenant convaincue que
l’être humain n’a pas nécessairement
besoin de croire en un Dieu, peu importe
comment il est décrit. En tout cas, je nen
ai pas besoin. Pour moi, il nexiste aucune
autre sagesse que d’aimer ni d’autre
vertu que de bien faire les choses, même
s’il n’y a pas de paradis à la n de mes
jours.
Bonne lecture.
Vous pouvez commander le livre à la librairie
Le coin du livre par courrier, par téléphone
et par courriel.
1657, chemin Cyrville, Ottawa (Ontario) K1B 3L7
Numéro de téléphone : 613-746-1242
Adresse courriel : librairie@coindulivre.ca
LE CHAÎNON, HIVER 2023
60
MÉMOIRES
Arbre généalogique de la famille Barbary dit Grandmaison
Les noms écrits en gras désignent les hommes qui font partie de la lignée directe de la famille.
Pierre Barbary dit Grandmaison (1646-1689)
épouse, en 1668, Marie Lebrun (1643-1689)
Marie-Madeleine, Pierre, Marie-Magdeleine, Marguerite, Pierre, Philippe,
Marie-Françoise, Anne, Jean, Marguerite
Pierre Barbary dit Grandmaison (1677-1745)
épouse, en 1701, Marie-Françoise Paré (1682-1753)
Marie-Françoise, Marie-Anne, Susanne, Pierre, Michel, Marie-Claire, Marie-Charlotte,
Marie-Joseph, Jean-Baptiste Marie, Joseph Marie, Marguerite, Jean-Baptiste
Jean-Baptiste Marie Barbary dit Grandmaison (1720-1765)
épouse, en 1743, Marie-Thérèse Parent (1723-1764)
Jean-Marie, Jean-Marie (Joseph), Marie-Thérèse, Marie-Louise, François,
François, Pierre, Suzanne, André Paul-Henri, Gabriel, Antoine
André Paul-Henri Barbary dit Grandmaison (1759-1813)
épouse, en 1782, Geneviève Robidoux (1756-1813)
Marie, Joseph, Marie-Marguerite, Pierre, Marie-Marguerite, François, Josephte,
Michel, Jean-Baptiste, Marie-Marguerite, Louise
Michel Barbary dit Grandmaison (1798-1865)
épouse, en 1822, Félicité Daoust (1802-1840)
Delphine, Alexandre, Adéline, Sévère, Arthémise,
Camille, Léon, Anthime, Clovis
Sévère Barbarie (1827-1915)
épouse, en 1855, Justine Poirier dit Desloges (1832-1918)
Avelina, Alexire, Georges, Cléophas, Marie-Agnès, Joseph-Palma,
Marie-Anne, Philippe, François
Georges Barbarie (1861-1944)
épouse, en 1883,
Rose-Anna Brasseur dit Duhamel
(1865-1890)
épouse, en 1894,
Olivine Leroux (1860-1897) épouse, en 1900,
Malvina Dion (1874-1954)
Léon, Isaïe, Patrice, Henri-Médérick Donat, Graziella Rosario, Georges-Albert, Rosina, Alfred,
Eugène, Irène, Jeanne-Yvonne, Hervé,
Paul, Aurèle-Bélanie, Albert, Laurette
Isaïe Barbarie (1886-1978)
épouse, en 1906,
Georgiana Bissonnette
(1888-1907)
épouse, en 1908,
Marguerite Marchand
(1888-1914)
épouse, en 1917,
Emma Léonard dit
Guérard (1887-1950)
épouse, en 1962,
Rose Brisebois
(1897-1977)
Georgiana Marie-Jeanne, Blandine,
Lucie, Ferdinand,
Annonciade, Joseph
Fernand, René, Cécile,
Juliette, Pauline, Benoit
Cécile Barbarie (1921-2015) épouse, en 1946, Jean-Paul Benoit (1920-1975)
Suzanne (l’autrice), Louise, Michel, Pierrette, Maurice
LE CHAÎNON, HIVER 2023 61
VILLAGES DISPARUS
Sur les traces
de nos racines au
Nord-Pas-De-Calais
On reste toujours près de ses origines, de son enfance1.
Dany Boon
Au mois d’octobre 2022, j’ai eu le plaisir de partir en France, pendant
douzejours, avec mon père, pour redécouvrir nos racines. Celui-ci avait quitté
son pays d’origine en septembre 1967, lorsqu’il avait 16ans, et il n’avait pas eu
l’occasion d’y retourner au cours des 55 années depuis son départ.
Le présent texte fait état de nos découvertes et de mes observations à la suite
de notre visite au Nord-Pas-de-Calais. Il ne présente pas un résumé complet
du voyage. Il me permet aussi de poser des questions concernant le lien entre
l’histoire et l’identité.
1 Catherine Richer, « Dany Boon, plus chti que jamais », Radio Canada, https://ici.radio-canada.ca/
nouvelle/1097562/dany-boon-chtite-famille-lm, le 26 avril 2018, [consulté le 7 décembre 2022].
Jean-François Born est
passionné d’histoire
canadienne et militaire. Il a
obtenu sa maîtrise en histoire
de l’Université d’Ottawa,
en 2008. Il siège au conseil
d’administration du MIFO
(Mouvement d’implication
francophone d’Orléans) depuis
2017. Il a été fonctionnaire au
ministère de la Défense et à
Recherche et développement
pour la défense Canada,
et travaille actuellement à
Transports Canada.
Jean-François Born
LAnneau de la mémoire, Ablain-Saint-Nazaire.
Photo: Jean-François Born.
À droite : LAnneau de la
mémoire, la section avec
les noms de soldats qui
portaient le nom de famille
Born, Ablain-Saint-Nazaire.
Photo: Jean-François Born.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
62
MÉMOIRES
Un voyage inouï
J’étais déjà allé en France, mais sans y fréquenter ma
famille. J’ai nalement pu y aller avec mon père, qui
me parlait de ses souvenirs et de ses racines depuis
longtemps2. D’ailleurs, ce qui était extraordinaire,
c’est que nous avons été accueillis par les cousins de
mon père. Nous étions hébergés à Bully-les-Mines,
le village de la famille maternelle de mon père. Nos
excellents guides connaissaient les meilleurs endroits à
visiter. Nous avons proté de l’occasion pour renouer
avec quatre autres cousins. Chaque matin, il y avait
de la baguette fraîche au menu. Nous avons aussi
dégusté d’excellents pâtés et fromages et savouré des
vins d’Alsace et de Bordeaux et de la bière du Nord-
Pas-de-Calais. Bref, nous avons très bien mangé. Nous
avons même été touchés par une grève, qui a causé
une pénurie de carburants. Nous avons eu beaucoup
de bonnes discussions au sujet de notre quotidien et
les différences entre la France et le Canada.
La Grande Guerre
Nous avons effectué un pèlerinage au Mémorial
national du Canada, à Vimy. Le monument est
émouvant, surtout lorsque le soleil brille sur sa
pierre calcaire blanche. Ses sculptures représentant
des gures allégoriques et les valeurs canadiennes
le dénissent3. On peut y lire ceci : « Gravé sur
les parois du monument se trouve le nom des
11 285 soldats canadiens qui ont péri en France et
dont le lieu d’inhumation était alors inconnu. » Le
terrain autour du Mémorial est, partout, troué de
2 Voir: Jean-François Born, «Tu es anglophone?’ - Origines d’un Franco-
Ontarien de Toronto», Le Chaînon, hiver 2022, volume 40, numéro 1,
pp.43-47.
3 La foi, l’espoir, le porteur du ambeau, le sacrice, la rupture de l’épée,
l’honneur, la charité, la gure représentant le Canada, la compassion des
Canadiens pour les faibles, la paix, la connaissance, la femme en deuil, la
justice, la vérité et l’homme en deuil.
cratères. Les bombardements intenses de la Première
Guerre mondiale en ont changé le relief. À cause de sa
position sur la crête de Vimy, le Mémorial est visible
de très loin. Il est unique et mérite d’être inscrit au
patrimoine mondial de l’UNESCO!
Dans la région, il y a plein de nouveaux monuments
et de musées qui ont été érigés pour le centenaire
de la Première Guerre mondiale. Le monument que
j’ai trouvé le plus remarquable est l’Anneau de la
mémoire, installé à côté de la nécropole de Notre-
Dame-de-Lorette4. On y trouve les noms des quelque
580 000 soldats morts (sans distinction de grade ou
de nationalité) au Nord-Pas-De-Calais. L’Anneau
« rappelle l’équilibre fragile de cette paix retrouvée »
et sa conception dresse des « noms unis dans une
fraternité posthume5 ». Les noms d’une trentaine de
soldats portant mon nom de famille sont gravés sur un
des panneaux.
Mon arrière-grand-père, Victor Desfassiaux, était un
ancien combattant de la Grande Guerre. Il aurait pu
être un de ceux dont le nom gure sur un monument.
Ses blessures de guerre lui ont causé des séquelles
jusqu’à son décès6.
Il y a des centaines de cimetières militaires et civils
dans la région, mais nous n’en avons visité qu’une
4 « À Ablain-Saint-Nazaire, dorment pour l’éternité plus de 42 000 soldats
morts pendant la Première Guerre mondiale sur le front de l’Artois et des
Flandres françaises et belges. » site web Memorial ’14-18 Notre-Dame-de-
Lorette, https://memorial1418.com/necropole-notre-dame-de-lorette/,
[consulté le 7 décembre 2022].
5 «Anneau de la mémoire», Memorial ’14-18 Notre-Dame-de-Lorette,
https://memorial1418.com/anneau-de-la-memoire/, [consulté le
7décembre 2022].
6 Un médecin a noté qu’il était incommodé par la surdité bilatérale, des
vertiges et par « un corps étranger métallique (balle de schrapnell)»
au mollet qui causait des douleurs. De plus, il était tourmenté par ses
souvenirs de la bataille de Verdun. Victor Desfassiaux, Décision du
Conseil de Révision, 14 janvier 1938.
À gauche, Pierre, à droite, mon père, Dany, Givenchy-en-Gohelle.
Photo: Jean-François Born.
Cimetière britannique de Cabaret-Rouge, Souchez.
Photo: Jean-François Born.
LE CHAÎNON, HIVER 2023 63
MÉMOIRES
dizaine. Le cimetière britannique de Cabaret-Rouge est
particulièrement remarquable, étant magniquement
conçu et soigneusement entretenu. Mon grand-père y
travaillait comme jardinier avant de quitter la France.
Chacun des cimetières militaires nous laisse avec le
sentiment que des milliers de vies ont été gâchées.
Malheureusement, ce gâchis continue partout dans le
monde.
Les «gueules noires»
Au Nord-Pas-de-Calais, on ne peut s’empêcher de
voir l’impact qu’a eu la révolution industrielle sur la
région. Comme par la guerre, le relief a été transformé
par l’activité des mines de charbon. Le paysage
est ponctué de terrils, de corons et de chevalets,
vestiges de cette époque où rien ne pouvait freiner
l’exploitation des richesses de la terre. Aujourd’hui,
le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est classé au
patrimoine mondial de l’UNESCO. Les mineurs, qu’on
appelait « gueules noires », et l’histoire ouvrière ne
sont pas oubliés7. Lorsque la famille de mon père a
quitté la France, les mines étaient toujours exploitées.
Certains amis de mon père abandonnaient leurs
études pour aller travailler dans les mines.
Aujourd’hui, les nombreux chemins de fer sont
devenus des pistes cyclables, les terrils sont devenus
des parcs et les anciens sites miniers sont devenus des
centres commerciaux ou des entrepôts pour la chaîne
d’approvisionnement. En ce qui concerne le paysage,
c’est le changement qui a le plus surpris mon père. À
Loos-en-Gohelle, on peut voir l’ancienne fosse
n° 11-19 et les terrils jumeaux, les plus hauts d’Europe.
On peut aussi monter jusqu’au sommet du terril 74
pour admirer le paysage.
7 «Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais», UNESCO Convention du
patrimoine mondial, https://whc.unesco.org/fr/list/1360/, [consulté le
7décembre 2022].
Fosse no 11-19. Loos-en-Gohelle. Photo: Jean-François Born.
Les ch’tis, « mingeux d’maguettes » et des liens
renoués
Je me demande si l’histoire ouvrière, la vie dans les
cités ouvrières ou les villages agricoles et les conits
qu’a connus cette région expliquent le caractère
sympathique et chaleureux de ses habitants. Bien sûr,
nous avons eu la chance d’être hébergés et guidés par
des membres de notre famille, privilège que n’ont
pas les touristes, normalement. Nous avons pu visiter
l’endroit où mes grands-parents se sont rencontrés,
en 1944, la ville de Lille où mon père est né, ainsi que
quelques maisons où il a habité avec sa famille.
Nous avons eu d’excellentes discussions sur la
généalogie et les histoires de la famille Desfassiaux :
nous avons appris pourquoi les gens appelaient mon
arrière-grand-père « ch»culot » – parce qu’il n’avait
peur de rien! Mon arrière-grand-mère était très sévère
et n’hésitait pas à dire ce qu’elle pensait. On l’avait
avertie à plusieurs reprises, pendant l’occupation, que
les Allemands pourraient l’arrêter. Dans son café, elle
avait servi de l’alcool aux Allemands pendant que son
ls et ses complices, impliqués dans le mouvement
« La Voix du Nord », faisaient sauter un train à la
gare de Bully-les-Mines. Elle a aussi offert des frites
gratuites aux soldats britanniques et canadiens8. Elle
savait être accueillante, ce qui était aussi excellent
pour le commerce. Nous avons aussi appris que
l’occupation a divisé la famille parce que certains de
ses membres étaient soupçonnés d’avoir collaboré
avec l’ennemi.
À Givenchy-en-Gohelle, chez les « mingeux
d’maguettes9 », nous avons aussi eu la chance de
rencontrer Bernadette Camphin, qui nous a ouvert
plein de portes. Son voisin, Richard Bouzin, avait
même changé les couleurs de la sienne en prévision
de notre visite. Quel accueil! Givenchy a célébré le
centenaire de la bataille de la crête de Vimy et l’on
y voit encore des autocollants « Givenchy, ami du
Canada » devant les maisons. « Les habitants de
Givenchy sont reconnaissants envers les Canadiens
d’avoir libéré notre commune, en 1917, » m’a raconté
Bernadette Camphin.
8 Atelier de recherches historiques de Bully-les-Mines, http://www.
amicalelaiquebully.com/page%20histoBully/Atelier%20de%20
recherches%20historiques.htm, [consulté le 7 décembre 2022].
9 Les «mingeux d’maguettes d’Givenchy-en-Gohelle» se traduit par
«les mangeurs de chèvre de Givenchy-en-Gohelle », Wikipédia, https://
fr.wikipedia.org/wiki/Noms_jet%C3%A9s_des_villageois, [consulté le
7décembre 2022].
LE CHAÎNON, HIVER 2023
64
Mon père habitait dans ce village lorsque sa famille a
quitté la France, en 1967. Grâce à Bernadette, mon père
a pu revoir d’anciens amis. Je me souviendrai toujours
des retrouvailles avec son vieil ami, Pierre. Le sourire
des gens qui se retrouvent après 55 ans est incroyable.
L’histoire, le patrimoine, l’identité et la relève
Lors du voyage, j’ai rééchi à la relation entre
l’histoire, le patrimoine et l’identité. Les sentiments et
notions identitaires créés à cause de la participation du
Corps canadien à la Première Guerre mondiale sont
toujours ressentis. L’expérience des Canadiens lors des
guerres mondiales continue de nous fasciner.
Je me suis demandé si les jeunes Français
s’intéressaient aussi à l’histoire du 20e siècle et de
ses épreuves. La réponse variait : certains sont
pessimistes, d’autres optimistes. L’intérêt des jeunes
(ou même du public en général) est difcile à recenser
et à mesurer. Notre guide canadien, à la crête de
Vimy, a accompagné des centaines de jeunes étudiants
français lors de leurs visites, et il perçoit chez eux un
intérêt moindre que celui d’autres étudiants, venus
d’Angleterre, par exemple. Son hypothèse est que
pour les étudiants français, cette histoire est « locale »
pour eux et n’est peut-être pas perçue comme
stimulante ou excitante. Une autre hypothèse, qui m’a
été proposée, vise plutôt le contenu du curriculum des
écoles françaises, sur le plan de l’histoire par exemple,
qui semble nourrir moins l’intérêt pour la chose et
mène inévitablement à l’indifférence.
Ce pessimisme m’a semblé exagéré. En effet, on m’a
rassuré que « le travail de mémoire et la découverte
de ces sites [de la Grande Guerre] est une réalité
dans beaucoup de foyers de nos régions et que nos
jeunes sont sensibilisés et sensibles à l’histoire de
notre territoire10 ». De plus, le long et riche passé de la
France « fait peut-être aussi que l’attrait pour l’histoire
est plus dilué dans une spécialisation par période...
Les uns préférant le monde romain ou médiéval,
les autres étant plus férus d’histoire moderne et de
Révolution11 ». Le centenaire de la Grande Guerre
« a permis de bien montrer que cette mémoire
individuelle et familiale était encore très présente dans
l’esprit de nos jeunes ». Finalement, « pour attirer des
jeunes à s’intéresser à l’histoire, il faut leur proposer
des approches modernes12… ». Personnellement,
10 Expert du Patrimoine, de l’Archéologie et du Tourisme, Nord-Pas-de-
Calais.
11 Ibid.
12 Ibid.
j’ai trouvé l’approche utilisée lors de la visite dans
les tunnels sous la crête de Vimy désuète et peu
dynamique, comparée à celle d’un site similaire13.
En Ontario, il y a des gens dynamiques qui trouvent
des moyens pour stimuler l’intérêt dans l’histoire
franco-ontarienne. Diego Elizondo anime des
visites guidées du patrimoine d’Ottawa, rédige
une chronique sur l’actualité et la culture franco-
ontarienne chaque semaine, ou partage des capsules
sur les médias sociaux14. Éric Barette a créé son balado
Assis Devant qui raconte l’histoire de l’Ontario. Ce sont
des approches modernes pour stimuler l’intérêt, mais
il faut que les jeunes s’y accrochent.
En situation minoritaire, je crois que l’histoire et le
patrimoine sont essentiels pour soutenir et stimuler
nos conceptualisations identitaires. Maintenir l’intérêt
est très pertinent pour nos sociétés.
Conclusion
La majorité des immigrants dans l’histoire n’ont
jamais eu la chance de retourner dans leur patelin et
de renouer avec leurs familles ou leurs amis. Nous
sommes vraiment chanceux d’avoir effectué ce
voyage, qui s’est avéré une expérience unique. Mon
plus grand plaisir a été d’avoir accompagné mon père
chez Pierre et de voir leurs sourires, qui traduisait le
bonheur sincère des retrouvailles.
Il est essentiel de renouer ou maintenir les liens
familiaux et d’amitié. Un retour aux racines permet
de nous rappeler nos origines et de renforcer
notre conceptualisation identitaire. L’histoire et le
patrimoine ont besoin d’une relève pour continuer
de nourrir nos identités qui ne cessent d’évoluer.
En effet, l’historien franco-ontarien Michel Bock a
souligné leur importance : « Que sommes-nous et que
deviendrons-nous sans comprendre ce que nous avons
été? La question est ancienne, mais est peut-être plus
d’actualité que jamais15. »
13 Carrière Wellington, Mémorial de la Bataille d’Arras, https://www.
carrierewellington.com/, [consulté le 7 décembre 2022].
14 Le psychologue américain Jonathan Haidt croit que ce sont les médias
sociaux qui causent la dégradation du capital social par l’érosion de la
conance dans les institutions et des « récits communs ». Voir : Jonathan
Haidt, «After Babel – How Social Media Dissolved The Mortar of Society
and Made America Stupid », The Atlantic, mai 2022, pp. 56 à 66.
15 Michel Bock, « Le sort de la mémoire dans la construction historique de
l’identité franco-ontarienne », Francophonies d’Amérique, numéro 18,
automne 2004, p. 124, https://doi.org/10.7202/1005355ar, [consulté le
7décembre 2022].
MÉMOIRES
LE CHAÎNON, HIVER 2023 65
Immigration et qualité de vie
Collectif, Histoires d’immigration, récits, Ottawa,
Éditions David, 2021, 232 pages, 20 $.
Paul-François Sylvestre
NOUS AVONS LU POUR VOUS
les découvertes, toutes les expériences que ma naissance,
ma vie et mes rencontres bâtissent tous les jours, pierre
sur pierre».
Caroline Fabre écrit que l’avion l’a emmenée un peu plus
loin de sa vie en France pour la conduire un peu plus près
de ses rêves ici, au Canada. Pour la Parisienne Géraldine
Gauthier, l’arrivée au Canada a été «synonyme d’une
deuxième naissance». Claude Geagea décrit comment
l’arbre arraché du Liban a ni par prendre racine au
Canada.
Marc Hache, également de la France, a participé à des
congrès de l’ACFO et a critiqué le conservatisme des
dirigeants. Le président lui a décoché cette remarque
terrible: «Mais pour qui tu te prends, blanc-bec? On na
pas besoin d’un maudit Français pour nous donner des
leçons ici. Rentre donc chez vous!» Il est plutôt devenu
citoyen canadien et er militant franco-ontarien.
Jacqueline Pelletier, d’Ottawa, a vécu plus d’une
expérience où des immigrants l’ont initiée à cette
«autre» réalité. Linconnu disparait quand on apprend
à se connaître. Géraldine Richer, de Casselman, raconte
comment deux familles, l’une franco-ontarienne, l’autre
suisse alémanique, en ont formé qu’une, «signe que les
liens de l’amitié sont impérissables».
Je souligne, en terminant, qu’environ 300000immigrants
viennent auCanada chaque année, et quenviron
150000deviennent des citoyens et citoyennes chaque
année. Certains fuient l’oppression, la tyrannie ou la
guerre, mais tous cherchent à améliorer leur qualité
devie.
En janvier 2021, les Éditions David invitaient les nouveaux
arrivants, les personnes issues de l’immigration et les gens
de la communauté d’accueil à partager leur expérience. Cela
a donné lieu à un ouvrage collectif tout simplement intitulé
Histoires d’immigration.
Comme les fonds accordés visaient un projet régional, le
concours s’adressait uniquement aux gens de la région
d’Ottawa et de l’Est ontarien. Quarante récits ont été choisis
parmi une soixantaine de textes reçus. Les auteurs et autrices
sont originaires des pays suivants: Algérie, Angola, Burundi,
Caraïbes, Côte d’Ivoire, Égypte, France, Grande-Bretagne,
Haïti, Île Maurice, Liban, Maroc, Martinique, Pays-Bas, Pologne,
République démocratique du Congo, Rwanda, Syrie et Tunisie.
Les gens d’accueil viennent d’Ottawa, de Casselman et de
Cornwall.
Les thèmes abordés dans ce recueil vont du désir d’émigrer
à l’adaptation dans le pays d’accueil, en passant par la
préparation au départ, les chocs culturels, les rencontres
inoubliables, la quête identitaire et les procédures
d’immigration. L’ancienne gouverneure générale, Michaëlle
Jean, signe une préface qui rappelle que l’aux de réfugiés, de
migrants et d’immigrants déstabilise encore bien des gens. Elle
décrit avec une précision remarquable le contexte actuel de
l’immigration au niveau mondial.
Adam Berrada, du Maroc, n’hésite pas à dire que l’immigration
revêt une vertu insoupçonnée: «elle éprouve fortement la
solidité des liens du couple ou du foyer qui s’y est engagé1».
Sa petite famille en est ressortie grandement soudée. Nabila
Fathi, également du Maroc, clame que vivre au Canada, c’est
vivre «dans un pays inclusif où tout est possible».
Pour Justine Tshula, de la République démocratique du Congo,
l’immigration est un parcours parsemé de dés. À la recherche
d’un renouveau, elle a embrassé ses obstacles, les a surmontés
et vaincus. L’Haïtienne Marie Eugénie Lubin abonde dans le
même sens en soulignant que l’immigration nous invite à
faire de nouvelles découvertes. Richard Kubele, pour sa part,
déplore que la non-reconnaissance de ses qualications
académiques et de ses expériences professionnelles acquises
au Congo ait été vécue «comme un déclassement social».
Jean Mohsen Fahmy, originaire d’Égypte, reconnaît que son
histoire d’immigration sest dénie par la «construction d’une
nouvelle identité qui rassemble et unie tous les traits, toutes
1 Toutes les citations de l’article sont tirées du Collectif, Histoires
d’immigration, récits, Ottawa, Éditions David, 2021.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
66
Les 34 leaders de l’ACFÉO,
l’ACFO et l’AFO
Serge Dupuis,Les porte-paroles franco-ontariens,
essai, Ottawa, Éditions David, 2021, 272 pages,
24,95 $.
Paul-François Sylvestre
LAssociation canadienne-française d’éducation de l’Ontario
(ACFÉO), l’Association canadienne-française de l’Ontario
(ACFO) et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO)
ont connu 36 présidents ou présidentes, dont deux ayant
eu deux mandats pendant des périodes diérentes. Dans
Les Porte-paroles franco-ontariens, Serge Dupuis situe ces
34hommes ou femmes dans un contexte plus large de
l’histoire politique de l’organisme.
L’auteur aspire «à raconter une histoire de la collectivité
franco-ontarienne qui est aussi, sans toutefois être limitée
à celle-ci, celle de son organisme porte-parole et des gens
qui l’ont dirigé1». Les 34 portraits biographiques s’insèrent
donc dans «un récit de l’Ontario français, son organisme de
représentation politique, et sur l’expérience individuelle des
gens qui ont occupé le fauteuil de la présidence2».
Le premier portrait déroge à la règle énoncée puisquil ne
s’agit pas d’un président. Alfred Évanturel (1846-1908) na
pas connu l’ACFÉO; il a été député, ministre provincial et seul
francophone à occuper le poste de président de l’Assemblée
législative de l’Ontario.
Voici la liste des 34 personnes ayant été président ou
présidente de l’ACFÉO-ACFO-AFO: Napoléon-Antoine
Belcourt, Charles-Siméon Boudreault, Alphonse-Télesphore
Charron, Philippe Landry, Samuel Genest, Léon-Calixte
Raymond, Paul-Émile Rochon, Adélard Chartrand, Ernest
Désormeaux, Gaston Vincent, Aimé Arvisais, Roger N. Séguin,
Ryan Paquette, Omer Deslauriers, Jean-Louis Boudreau,
Gisèle Richer, Jeannine Séguin, Yves Saint-Denis, André
Cloutier, Serge Ploue, Jacques Marchand, Rolande Faucher,
Jean Tanguay, André Lalonde, Tréva Cousineau, Jean Comtois,
Alcide Gour, Jean-Marc Aubin, Jean Poirier, André Thibert,
Simon Lalande, Mariette Carrier-Fraser, Denis Vaillancourt et
Carol Jolin.
1 Serge Dupuis,Les Porte-paroles franco-ontariens, Ottawa, Éditions David,
2021.
2 Ibid.
NOUS AVONS LU POUR VOUS
LE CHAÎNON, HIVER 2023 67
NOUS AVONS LU POUR VOUS
Lessai couvre six périodes:
1 – La résistance (1910-1927)
Au cours de la première période, les présidents de
l’ACFÉO ont cherché à «enraciner la dualité nationale
en Ontario. Cela sest exprimé principalement par le
travail sur le développement d’un régime scolaire
franco-ontarien et sa défense pendant la crise du
Règlement 173.»
2 – La détente (1928-1944)
De 1928 à 1944, le réseau institutionnel canadien-
français s’élargit pour inclure une variété d’organismes
et de coopératives dirigés par des laïcs. L’Église,
exerçant moins son rôle de rempart de la survie,
«l’ACFÉO cherche des solutions dans la sophistication
du réseau institutionnel canadien-français4».
3 – Le développement (1945-1968)
Durant la période de développement, on assiste à une
nouvelle forme de relation entre les Franco-Ontariens
et l’État. LACFÉO joue son rôle de revendication ou
de pression, mais il y a aussi un contexte canadien où
l’État accepte de nouvelles responsabilités sociales et
culturelles.
4 – La démocratisation (1969-1989)
Dès la période de démocratisation, l’ACFO doit
apprendre à représenter les nouveaux-arrivants
qui connaissent le français et désirent vivre parmi
les Franco-Ontariens. Ils sont souvent membres
d’une minorité visible, de confession musulmane
ou les deux. Les présidents «Serge Ploue, Jacques
Marchand et Rolande Faucher éprouvent des
dicultés à établir des ponts5».
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Ibid.
5 – La fragmentation (1990-2005)
Entre 1990 et 2005, l’organisme porte-parole
trouve dicile de faire émaner une voix commune
des volontés individuelles et sectorielles. Il nest
eectivement pas facile de «parler au nom des
francophones de l’Ontario, dans toute leur diversité
contemporaine et pour toutes les régions6».
6 – La recomposition (2006-2020)
La fonction de porte-parole de la communauté franco-
ontarienne demeure une tâche ardue. On assiste à des
conits de personnalités et un certain autoritarisme
qui nuisent à la légitimité de l’organisme.
Personnellement, j’aurais aimé que l’ouvrage renferme
une bibliographie et un index qui auraient été utiles
aux chercheurs. Comme le livre s’adresse au grand
public, l’éditeur a choisi de ne pas inclure ces outils de
recherche.
6 Ibid.
LE CHAÎNON, HIVER 2023
68
Toutes les cartes
géographiques sont fausses
Benjamin Furst, Les erreurs dans les cartes, essai sur une
idée originale de Jean Poderos, Paris, Éditions Courtes et
longues, coll. Les Erreurs, 2021, 144pages, 56,95 $.
Paul-François Sylvestre
NOUS AVONS LU POUR VOUS
Parmi les erreurs cartographiques les plus célèbres, il y a la
Californie comme une île, l’Arctique comme un continent et
une chaîne de montagnes qui divise l’Afrique en deux d’est
en ouest. Voilà quelques exemples de ce que nous apprend
Les erreurs dans les cartes de Benjamin Furst.
À la base, «toute carte est fausse parce quelle trie,
synthétise, simplie un espace dont la complexité se prête
mal à la représentation exhaustive1». Des erreurs ont
longtemps été prises pour des vérités, entretenues par des
puissances politiques ou religieuses. Ainsi, le Moyen Âge et
la Renaissance ne remettent pas en question la notion d’une
Terre au centre de l’univers, en parfaite adéquation avec le
dogme chrétien.
Évoquée par Platon puis par de nombreux auteurs de
l’Antiquité, la mythique Atlantide apparaît sur plusieurs
cartes. Dans un cas, «l’Atlantide recouvre l’Amérique, divisée
en dix royaumes dont celui d’Atlas, ls de Poséidon2». On
n’hésite pas non plus à créer des contrées mystérieuses
comme l’Eldorado.
En Amérique centrale, les cartes des codex aztèques
juxtaposent une dimension temporelle à la
représentation spatiale. «Aux éléments topographiques
et hydrographiques sont fréquemment conjugués des
hiéroglyphes et des représentations picturales qui font
référence aux événements mythologiques et historiques3.»
Des cartes de la Nouvelle-France présentent un territoire
plus immense que réel, «traduisant le fantasme d’une
maîtrise totale4»; ainsi, la Province de Louisiane s’étend
jusqu’aux Grands Lacs sur une carte de Louis Hennepin et
Jean-Baptiste Homann.
Les mappemondes médiévales divisent un univers circulaire
et entouré d’un océan primordial en trois continents
séparés les uns des autres par une masse d’eau rectiligne: la
Méditerranée entre l’Europe et l’Afrique, le Nil entre l’Afrique
et l’Asie, et le Tanaïs entre l’Asie et l’Europe.
À partir du 17e siècle, souverains et généraux s’appuient
de plus en plus sur la cartographie pour préparer leurs
1 Benjamin Furst, Les erreurs dans les cartes, essai sur une idée originale de
Jean Poderos, Paris, Éditions Courtes et longues, 2021.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ibid.
campagnes militaires. Encore faut-il
qu’elle soit précise. Selon lauteur, Napoléon a sans
doute perdu Waterloo à cause d’une carte erronée.
Une page d’Atlas5 peut parfois servir l’imposture. En
1821, un aventurier écossais fait sensation en revenant
d’Amérique centrale et en se proclamant cacique du Poyais,
un royaume ctif dans l’actuel Honduras.
«La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre», écrivait
Yves Lacoste en 19766. La cartographie aussi, comme l’ont
bien compris les autorités soviétiques qui n’hésitent pas à
produire des fausses cartes de l’URSS.
Une carte peut nous faire perdre le nord. C’est le cas de
celle inventée par Stuart McArthur, agacé de toujours voir
son Australie natale coincée dans le coin inférieur droit
des cartes. En 1979, il crée la Carte corrective universelle du
monde en plaçant le sud en haut de la carte et mettant
l’Australie au centre du monde.
Les querelles de frontières inuent sur la cartographie.
Une position ambiguë du Cachemire varie selon quil soit
revendiqué par l’Inde, le Pakistan ou la Chine. Même une
carte du Canada, datant de 2008, élargit sa souveraineté
pour inclure une partie du pôle Nord, au-delà des eaux
internationales.
L’auteur parle de «Paper Streets» et «Paper Towns»
en décrivant les plans de développement urbains, qui
dessinent un espace en devenir. Ces cartes portent sur des
projets plus quelles ne décrivent la réalité d’un territoire.
Benjamin Furst conclut son ouvrage en ces termes:
«Toute carte est fausse. Parce quelle ne peut représenter
le territoire dans ses moindres détails, parce qu’elle est un
dessin en deux dimensions d’un espace en trois dimensions,
une guration gée d’un espace en évolution, la carte doit
simplier la réalité7.»
5 Le royaume d’Atlas mentionné plus haut.
6 Yves Lacoste, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, Editions
Maspero, Paris, 1976.
7 Benjamin Furst, Op. cit.
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